J’arrive maintenant à ses maximes ordinaires, par lesquelles il exprime la vérité de sa doctrine, espèce d’édit qu’il rend comme étant le Christ, si je puis ainsi parler : « Bienheureux vous qui mendiez (car le mot, grec exige cette traduction), parce que le royaume de Dieu est à vous ! » Je l’entends commencer par des bénédictions. A ce trait unique, je le reconnaîtrais pour le Fils de ce même Créateur qui, consacrant les éléments à mesure qu’il les produisait, n’avait d’autre parole que la bénédiction. « Mon cœur ne contient plus la parole heureuse, » s’écrie-t-il. Telle sera la parole de bénédiction qui ouvre le nouveau Testament à l’exemple de l’ancien. M’étonnerai-je que le Fils du Créateur, qui en avait les miséricordieuses entrailles, débute par des mois semblables, toujours l’ami, le consolateur, le protecteur, le vengeur du mendiant, du pauvre, de l’opprimé, de la veuve et de l’orphelin : de sorte qu’à cette bonté si compatissante et toute particulière du Christ, on reconnaît un ruisseau qui jaillit des sources du Sauveur ? Dans la foule des maximes qui attestent sa miséricorde, laquelle choisir de préférence ? je l’ignore. Dans ce champ immense ouvert devant moi, forêt, prairie, verger, il faut prendre tout ce qui se présente.
Il crie par la bouche du Psalmiste : « Jugez pour le pauvre et pour le pupille ; justifiez le faible et le pauvre ; arrachez le pauvre et l’indigent de la main du pécheur. » Même langage au Psaume 71 : « Il jugera les pauvres d’entre le peuple ; il sauvera les fils du pauvre ; il brisera l’oppresseur. » Les paroles suivantes désignent le Christ : « Toutes les nations lui seront assujetties. » Quoique David ait aussi défendu l’opprimé, ou secouru les nécessiteux, il faut se garder d’appliquer ces paroles à David qui ne régna que sur la nation juive : « Parce qu’il arrachera le pauvre des mains du puissant, ce pauvre qui n’avait point de secours ; il sera bon au pauvre et à l’indigent ; il sauvera les âmes des pauvres ; il les délivrera de l’usure et des violences, leur nom sera précieux devant lui. Que les impies soient précipités dans les enfers ! Périssent toutes les nations qui ont abandonné Dieu ! Le pauvre ne sera pas en oubli à jamais : l’attente de l’opprimé ne sera pas trompée pour toujours. – Qui est semblable à Dieu notre Seigneur ? Il habite aux lieux les plus élevés, et ses regards s’abaissent sur le ciel et la terre. Il relève le pauvre de la poussière, et l’indigent de son fumier, pour le faire asseoir entre les princes, entre les princes de son peuple, » c’est-à-dire dans son royaume céleste.
De même précédemment, au livre des Rois, Anne, mère de Samuel, saisie de l’esprit prophétique, avait rendu gloire à Dieu en ces termes : « Il fait sortir de la poussière l’indigent et le pauvre de son fumier, afin qu’il soit assis parmi les princes du peuple, » c’est-à-dire dans son royaume céleste, « et qu’il occupe un trône de gloire, » c’est-à-dire un palais. Mais comme il déchaîne sa colère, par la bouche d’Isaïe, sur les oppresseurs du pauvre ! « Vous avez ravagé ma vigne, et la dépouille du pauvre est dans vos riches demeures. Pourquoi avez-vous écrasé mon peuple, et foulé la tête du pauvre comme sous le pressoir ?
— Malheur à ceux qui établissent des lois iniques ! Malheur à ceux qui écrivent l’injustice, pour opprimer le faible dans le jugement, et faire violence au pauvre ! »
Parlerai-je de la justice qu’il rend à la veuve et à l’orphelin ? Dirai-je les consolations qu’il distribue à l’indigent ? « Protégez l’orphelin, défendez la veuve ; venez, entrons en lice, dit, le Seigneur. » Point de doute. Au Créateur qui montre tant de compassion pour tous les degrés de l’infortune et de la souffrance, appartient également le royaume promis par le Christ. Il y a longtemps que les hommes, objets de celle promesse, lui appartiennent par le gouvernement de sa providence.
— -Les promesses du Créateur regardent la terre, et celles du Christ le ciel, dis-tu.
— Tu as raison : le ciel n’a encore trouvé jusqu’ici d’autre maître que le maître de ta terre. Tu as raison : le Créateur, en me promettant des récompenses passagères, me fait croire à des récompenses éternelles, bien plus facilement que ce Dieu de Marcion qui n’a jamais fait preuve de libéralité.
« Bienheureux, vous qui, maintenant, avez faim ; car vous serez rassasiés ! » Nous pourrions renvoyer celle bénédiction au titre précédent ; parce que ceux qui ont faim se confondent avec les mendiants et les pauvres, si le Créateur n’avait destiné spécialement cette promesse à servir d’introduction à son évangile. En effet, Isaïe parle ainsi des nations qu’il devait appeler a lui des extrémités de la terre. « Voilà que les peuples accourront, en toute hâte, parce qu’ils arrivent vers le déclin des âges, allégés, parce qu’ils sont libres des fardeaux de la loi ancienne. Ils n’éprouveront plus la faim ni la soif. » Ils seront donc rassasiés. Cette promesse ne peut regarder que ceux qui sont travaillés de la faim et de la soif. Ailleurs : « Mes serviteurs seront dans l’abondance ; mais vous, vous aurez faim. Mes serviteurs seront désaltérés ; mais vous, vous aurez soif. » Nous verrons que les mêmes oppositions se trouvent annoncées par le Christ ; mais disons, en attendant, que celui qui promet l’abondance aux hommes travailles par la faim est le Christ du Créateur.
« Bienheureux, vous qui pleurez maintenant ! un jour viendra où vous vous réjouirez. »
Ouvre les prophéties d’Isaïe. « Mes serviteurs se réjouiront, et vous, vous serez confondus. Mes serviteurs feront entendre dans leur ravissement des hymnes de louange, et vous, vous crierez dans les angoisses de votre cœur. » Reconnais ces oppositions dans l’Evangile du Christ. Il réserve les ravissements, les transports, l’allégresse à ceux qui, placés dans des situations différentes, vivent dans l’affliction, la tristesse et l’anxiété. C’est que le Psalmiste avait dit : « Ceux qui ont semé dans les larmes moissonneront dans l’allégresse. » Les rires de la joie et les larmes de la douleur n’ont pas un dispensateur différent. Ainsi, le Créateur, en prophétisant les rires et les larmes, a dit le premier que « les pleurs se convertiront en joie. » Donc celui qui débuta par consoler les victimes de la pauvreté, de l’oppression, de la faim et de la souffrance, se hâta de se montrer celui qu’annonçait Isaïe : « L’esprit du Seigneur repose sur moi : le Seigneur m’a donné l’onction divine. Il m’a envoyé pour prêcher son Evangile aux pauvres. – Bienheureux, vous qui mendiez ! car le royaume des cieux est à vous ! – Il m’a envoyé relever le courage de ceux qui sont abattus. – Bienheureux, vous qui maintenant avez faim, car vous serez rassasiés. – Je viens consoler les affligés. – Bienheureux, vous qui pleurez, car bientôt vous vous réjouirez ! – Je tarirai les larmes de ceux qui pleurent dans Sion ; je changerai la cendre de leur tête en couronne, et leurs vêtements lugubres en vêtements de gloire. » Si, dès les premiers pas de sa manifestation, le Christ procède ainsi, ou il est celui-là même qui a dit d’avance : « Je viendrai accomplir ces choses ; » ou si le prophète de ces oracles n’est pas encore descendu, il faut, par une nécessité absurde, mais indispensable, qu’il ait recommandé au christ de Marcion de dire : « Vous serez bienheureux quand les hommes vous haïront, vous accableront d’outrages, et repousseront votre nom comme mauvais à cause du Fils de l’homme. » Sans doute, il les exhorte à la patience par cette déclaration. Mais mon Créateur fait-il moins par la bouche d’Isaïe ? « Ne craignez ni l’opprobre, ni l’ignominie des hommes ! » quel opprobre ? quelle ignominie ? Les tribulations qu’ils auraient à essuyer à cause du Fils de l’homme. Mais ce Fils de l’homme, quel est-il ? Celui qui est conforme au Créateur, apparemment. Et la preuve ? Nous n’en demandons point d’autre que sa mort prédite par Isaïe, s’adressant aux Juifs, premiers auteurs de cette haine : « C’est à cause de vous que mon nom est tous les jours blasphémé parmi les nations. » Et ailleurs : « Tenez pour saint celui qui limite sa vie, qui est méprisé par les nations, par les serviteurs, par les magistrats. » Si la haine était promise d’avance au Fils de l’homme, dont la mission viendrait du Créateur, et si l’Evangile atteste aussi de son côté que le nom du Chrétien, formé du mot Christ, sera poursuivi et détesté « à cause du Fils de l’homme, » c’est-à-dire du Christ véritable, cette concordance de haine et de malédiction, prédites des deux côtés, démontre que ce Fils de l’homme n’est autre que le Fils du Créateur.
D’ailleurs, s’il n’était pas encore descendu, comme on le prétend, la haine qui s’attache aujourd’hui à ce nom aurait-elle pu devancer son existence ? Car nous tenons ce titre pour auguste et vénérable ; son auteur a limité sa vie en la déposant pour nous : il est insulté journellement par les nations. Donc celui qui est né, est ce même Fils de l’homme en haine duquel on poursuit le christianisme.