L’Ecriture confirme le point de vue que nous avons énoncé touchant le rôle consommateur de l’amour, par rapport aux actualisations antérieures et particulières du bien.
Dans la loi de l’Ancien Testament déjà, nous voyons se détacher de la multitude des principes et des commandements particuliers, de ceux même du décalogue, le commandement unique et suprême qui est le terme de convergence de tous les autres et l’âme pour ainsi dire de l’institution tout entière. « L’amour interprétant la loi », a dit excellemment M. Godet dans son Rapport sur la sanctification du Dimanche, a c’est comme un auteur traduisant son propre ouvrage. »
C’est dire que l’interprétation sera tout ensemble libre et fidèle. Ainsi le législateur hébreu, en commandant à l’homme, dans Deutéronome 6.4-5, d’aimer Dieu « de tout son cœur, de toute son âme… », montrait au fidèle Israélite quel était le point de convergence, l’intention unique de toutes les ordonnances rituelles et cérémoniales ; il lui enseignait que le jour où il serait capable d’aimer Dieu de tout son cœur, tous les autres commandements lui seraient devenus superflus, qu’ils n’étaient qu’autant de jalons marquant la route vers cet idéal suprême, qui ne pouvait encore être contemplé que de loin dans l’Ancienne Alliance, alors que le cœur de l’homme n’était pas encore régénéré par le Saint-Esprit.
Le commandement de l’amour fut donc jeté devant les pas de l’Israélite comme une pierre d’attente sollicitant constamment tous ses désirs et tout ses efforts, comme une promesse plus encore que comme un commandement pleinement applicable ; et il en fut du commandement comme de la promesse elle-même, qui, jetée dès le principe au-devant de l’homme dans la totalité de ses éléments principaux, devait aller se développant, se précisant, s’enrichissant de plus en plus, jusqu’à l’avènement de l’Alliance où l’amour de Dieu est répandu dans le cœur de l’homme par le Saint-Esprit (Romains 5.5).
L’histoire de la piété dans l’Ancienne Alliance présente d’ailleurs déjà de magnifiques exemples de réalisations de l’idée de l’amour, bien qu’encore intermittentes, imparfaites, et non passées à l’état de nature ou de produits permanents. Comp. Psaumes 73.25.
La tradition juive avait reconnu l’intuition du législateur en faisant du grand commandement de l’amour, Deutéronome 6.5, joint à Lévitique 19.18, le sommaire de la loi, et Jésus-Christ, qui est venu pour accomplir la loi à la fois par son enseignement et par sa pratique (Matthieu 5.17), a ratifié sur ce point l’enseignement traditionnel des Juifs (Luc 10.26-27 ; Matthieu 22.37).
Nous avons donc le droit de dire des commandements de la première table ce que Paul a dit de ceux de la seconde, qu’ils sont tous compris et accomplis dans le devoir d’aimer Dieu. Tous les devoirs envers la personne divine (Ier commandement), envers son culte (IIme), envers son nom (IIIme) et envers son jour (IVme), ont été accomplis dans la vie du Seigneur par le fait qu’il a aimé son Père d’un amour sans réserve ; cette disposition constante lui a enseigné en même temps quand la lettre du commandement devait être sacrifiée par obéissance à l’esprit ; elle lui a permis d’opposer au servilisme hypocrite de la morale des scribes et des Pharisiens, qui travestissait les commandements de Dieu et en particulier le IVme en une lettre qui tue, la glorieuse liberté du Fils servant son Père et interprétant toutes ses volontés. Selon saint Paul, comme selon Jésus-Christ, l’amour est « l’accomplissement de la loi » (Romains 13.8-10 ; Galates 5.14), et, comme Christ est le terme vivant de toute l’ancienne économie (Romains 10.5), l’amour est la fin pratique de tous les commandements (1 Timothée 1.5).
La même pensée est exprimée sous une autre image Colossiens 3.14. Les expressions que nous venons de rappeler évoquaient l’idée d’un vase vide attendant la liqueur qui doit le remplir. La figure du « lien de la perfection » nous représente des membra disjecta attendant le souffle qui doit les pénétrer et les réunir : l’amour, qui relie en une seule vie les déterminations particulières du bien qui, dans cette unité organique seulement, réalisent leur part de perfection.
Nous avons déjà constaté la connexité qui existe dans la pensée de Paul entre les trois notions d’amour, d’esprit et de liberté, l’amour étant la vertu qui accomplit le bien à la fois dans son essence intime, opposée à la lettre, et avec joie, comme la manifestation naturelle et nécessaire de la volonté de l’agent, ce qui s’oppose au motif puisé dans le devoir légal ou dans la crainte. Comp. Jean 8.32-35, surtout le v. 34, où Jésus oppose à l’obéissance extérieure et matérielle, qui n’est que servile, l’obéissance filiale, qui est libre, joyeuse et seule complète. Dans Romains 8.21, la notion de liberté, enrichie de celle de gloire, est également opposée, comme l’élément essentiel de l’état parfait des enfants de Dieu, à celle de servitude et d’opprobre. Dans 2 Corinthiens 3.17, la notion de spiritualité est associée à celle de liberté dans la vie de communion avec Jésus-Christ. A l’esprit est opposée la lettre qui tue (Romains 7.6 ; 2 Corinthiens 3.6) ; à la liberté de l’amour, l’esclavage de la chair et de l’égoïsme (Galates 5.1,13-14) ; à l’amour parfait, la crainte (1 Jean 4.18) ; car aucun de ces éléments ne peut plus se rencontrer dans l’état de perfection.
Ce que nous venons de dire de l’amour pour Dieu, est également vrai de l’amour pour Christ, qui renferme l’amour pour Dieu. Aussi Jésus-Christ termine-t-il ses enseignements à ses disciples, Jean ch. 13 à 17, en comprenant tous leurs devoirs envers lui dans celui de l’aimer, l’amour pour Christ devant être l’âme en même temps que le critère de toute vraie obéissance (Jean 14.15,21 ; 15.10) ; or, dans l’amour pour Christ est renfermé l’amour pour le Père, dont Christ est la révélation parfaite (Jean 14.9,23).
La première épître de Jean est tout entière le développement de cette pensée que l’amour est l’accomplissement parfait de la loi et du bien.