« La fatalité pèse sur les temples mêmes et sur les sanctuaires des dieux : c’est ainsi que les destins avaient réglé que le temple d’Apollon périrait par la foudre, comme son oracle l’a déclaré lui-même :
« Race divine, issue du sang d’Erichthonius, qui viens recueillir en ces lieux les accents de ma voix, depuis que mon riche temple est devenu un monceau de ruines, approche et écoute mes paroles divines, qui s’échappent du fond d’un antre ombragé de lauriers. Voilà que les vents qui soufflent dans les régions éthérées se déchaînent avec un fracas horrible et se déclarent une guerre mutuelle. Puis un froid que le vent ne tempère plus s’empare de l’univers : l’air congelé ne souffle plus librement : une torche enflammée tombe au hasard sur la terre : les troupeaux sur leurs montagnes en sont saisis d’effroi ; ils se réfugient au fond des cavernes ténébreuses, et ne peuvent supporter l’aspect du fléau que Jupiter lance du haut des cieux. Ses ailes de feu dévorent les temples des immortels, le sommet des montagnes qui cachent leurs fronts dans les cieux, les vaisseaux qui fendent les flots de l’Océan. Frappée du même coup, l’épouse de Neptune recule d’horreur. Vous donc, qui êtes abreuvés d’une douleur amère, apprenez à soutenir avec courage l’immuable volonté des Parques : car la tête du grand Jupiter s’est inclinée pour donner à leurs décrets une puissance immuable, quel que soit le destin qu’aient filé leurs fuseaux. Or il y avait des siècles que cette inébranlable volonté avait décidé que ce temple serait la proie des flammes. »
Si les fuseaux des Parques ont une telle puissance, que les temples des dieux immortels aient dû devenir la proie des flammes parce qu’elles l’avaient ainsi décidé, comment de misérables mortels pourront-ils espérer de se dérober à la fatale puissance du destin ? Si tout le secours qu’on peut attendre des dieux est le conseil « de soutenir avec courage l’immuable volonté des Parques », à quoi bon alors tant de soins et de peines inutiles pour honorer les dieux ? Pourquoi des libations, pourquoi des victimes dont le sang fume sur leurs autels ? Pourquoi toutes ces marques de vénération et de reconnaissance, puisque nous ne pouvons en espérer le plus léger secours ? Devrons-nous regarder comme les auteurs du bien, des êtres qui, de leur propre aveu, sont plutôt la cause du mal ? En effet si le bien ou le mal que les destins ont décrété arrive de toute nécessité aux hommes, soit que les dieux le veuillent ou ne le veuillent pas, il n’y aura donc plus qu’une divinité qui aura droit à notre culte, c’est la Nécessité : quant aux autres dieux, qui ne peuvent nous faire ni bien ni mal, ils ne méritent que peu ou point de considération. Si au contraire les Parques ont un maître souverain, le même qui gouverne toutes choses, si ce dieu dirige en souverain les opérations des Parques, selon cette parole de l’oracle : La tête du grand Jupiter s’est inclinée pour donner à leurs décrets une puissance immuable, quel que soit le destin qu’aient filé leurs fuseaux. »
Pourquoi alors ne reconnaissez-vous pas pour l’unique sauveur le seul auteur de tout bien, ce monarque universel du monde qui est le maître même du destin, lui qui peut seul, selon vous, changer les immuables décrets des Parques ? Car celui qui s’est consacré au Dieu souverain de toutes choses ne doit révérer et servir que lui seul, et non la nécessité et la fatalité. Libre de tout lien, dégagé de toute servitude, il devra se soumettre uniquement aux lois salutaires de la Providence divine : c’est là que conduit la saine et droite raison. Voyez au contraire comment notre philosophe apprend à neutraliser la puissance du destin.