Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE IV

Réponse à une autre objection : l’auteur démontre que, lors même que la ruine et la destruction de Jérusalem qui est la cité du grand Roi aurait lieu, la suprême majesté et la toute-puissance de Dieu n’en recevraient aucune atteinte, puisque cela ne saurait avoir lieu que par un effet de la volonté de Dieu même.

Pour ce qui est de Jérusalem, les gnostiques portent encore la témérité jusqu’à objecter ce qui suit : S’il est vrai, disent-ils, que Jérusalem soit la cité du Roi suprême, elle ne doit jamais périr ni être abandonnée. Or, ils raisonnent absolument comme celui qui dirait que la tige du blé étant nécessaire pour faire mûrir le blé, cette paille ne devrait jamais être séparée du froment ; ou bien que le sarment de la vigne ayant été réuni par Dieu à la vigne, on ne devrait jamais couper le raisin, de peur de l’en séparer. En effet, ces objets n’ont pas été créés pour eux-mêmes, mais pour faire arriver à maturité le fruit qu’ils soutiennent ; quand le fruit est mûr, la paille et le sarment deviennent inutiles ; on les coupe, et on les enlève du champ. Ainsi en sera-t-il de Jérusalem, qui (dans les temps où la mort du péché régnait sur l’humanité) avait supporté le joug de la servitude ; mais le fruit de la liberté ayant mûri, et ayant été apporté dans l’aire pour être séparé de la paille, et Jérusalem d’ailleurs ayant préparé elle-même un nouveau champ pour une nouvelle moisson, son existence n’était plus nécessaire.

Voici ce que dit Isaïe : « Et le jour s’avance où Jacob jettera de profondes racines ; Israël germera, il fleurira, et couvrira de ses fruits la face de la terre. » Le fruit qu’a porté Jérusalem a donc été répandu par toute la terre ; dès-lors elle est devenue inutile, elle a été enlevée du milieu du champ. C’est d’elle, en effet, que sont sortis, selon l’ordre de la chair, le Christ et ses apôtres. Toute chose qui a eu un commencement purement temporel, doit également avoir une fin temporelle.

L’ancienne loi a été fondée par Moïse, et elle a duré jusqu’à la venue de saint Jean-Baptiste. Le Christ est venu pour la compléter. « La loi et les prophètes ont duré jusqu’à Jean, » dit saint Luc. Jérusalem a duré également depuis David jusqu’à Jean, et a rempli ses destinées ; il fallait que l’ancien Testament prît sa fin, lorsque le nouveau arrivait et se manifestait.

Tout ce que Dieu fait, il le fait avec ordre et mesure ; il donne à toute chose sa mesure, parce qu’à toute chose il donne sa perfection.

C’est avec raison qu’il a été dit que l’immensité du Père trouvait cependant sa mesure dans le Fils. Le Fils mesure le Père, puisqu’il le comprend.

Nous disions donc que la nécessité de l’existence de Jérusalem n’était que temporaire ; aussi Isaïe a-t-il dit : « Et la fille de Sion sera abandonnée comme la hutte après la saison des fruits, comme une cabane dans un champ de concombres. » Mais dans quel temps serait-elle abandonnée ? n’est-ce pas après que le fruit étant mûr aurait été enlevé, et qu’il ne resterait plus que les feuilles desséchées et stériles ?

Or, ce qui arrive sur le sort de Jérusalem n’est-il pas dans l’ordre des choses, puisque la figure du monde entier lui-même doit également passer lorsque le temps en sera venu, c’est-à-dire lorsque la moisson aura été serrée dans le grenier, et que la paille laissée sur l’aire sera livrée aux flammes ? « Un jour viendra enflammé comme la fournaise ; et tous les superbes et tous ceux qui commettent l’iniquité seront comme la paille ; et le jour qui vient les embrasera. » Mais qui est celui dont la venue marque ce jour dont parle le prophète ? c’est le Christ, comme saint Jean l’explique, quand il dit : « Celui-là vous baptisera dans l’Esprit saint et dans le feu : il tient le van à sa main, et il nettoiera son aire ; et il amassera son froment dans le grenier ; et il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteindra point. » Car c’est bien le même créateur qui crée le froment et la paille ; et c’est le même aussi qui en fait la séparation au temps de la moisson. Il est vrai que la paille et le froment sont des êtres inanimés et privés de raison, et dont la destinée est purement passive ; mais il n’en est pas de même de l’homme, qui a été créé raisonnable, et par cela même, à la ressemblance de Dieu, qui est libre dans ce qu’il veut et dans ce qu’il peut, et qui a la faculté de devenir, suivant son libre arbitre, froment ou paille. C’est pourquoi il sera justement condamné, si, doué qu’il est du flambeau de la raison, il l’a laissé éteindre en lui, en vivant dans le désordre, dans l’injustice, et devenant l’esclave de ses passions et du péché ; et, comme dit le prophète : « L’homme au milieu de sa grandeur, n’a pas compris sa destinée, il s’est fait semblable aux animaux qui meurent tout entiers. »

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