1.[1] Sur David et ses vertus, le bien qu’il fit à son peuple, les guerres et les batailles qu’il soutint heureusement, sa mort dans un âge avancé, nous nous sommes étendu dans le livre précédent. Quand son fils Salomon, jeune encore[2], eut reçu la royauté, que son père lui avait attribuée dès son vivant selon la volonté de Dieu, le peuple entier l’acclama en lui souhaitant, comme il est coutume à l’avènement d’un roi, bonne réussite dans ses entreprises, et de voir son règne parvenir à une vieillesse heureuse et prospère[3].
[1] I Rois, II, 12.
[2] Josèphe, plus loin, donne à Salomon quatorze ans à son avènement. La tradition ne lui en donne que douze (Temoura, 14a ; Nasir, 5a ; Séder Otam Rabba, éd. Ratner, ch. XIV ; traduction syrienne de la LXX dite p dans de Lagarde, Bibl. Syriaca, 1).
[3] Nous lisons πανεύδαιμον (γήρας) avec les mss. O, E et Naber.
2.[4] Adonias, qui, du vivant même de son père, avait tenté de s’emparer du pouvoir, vint trouver Bersabé, la mère du roi, et la salua avec empressement. Elle lui demanda quel besoin l’amenait chez elle et le pria de s’expliquer, affirmant qu’elle le satisferait de grand cœur. Alors il commença par lui dire qu'elle savait fort bien elle-même qu’il avait droit au trône tant par son âge que par le choix du peuple, mais puisque la royauté était échue à Salomon, son fils, par la volonté de Dieu, il aimait et se plaisait à servir sous lui, et se déclarait satisfait de sa condition présente. Toutefois il suppliait Bersabé d’intercéder pour lui auprès de son frère et de le persuader de lui accorder pour femme Abisaké, la concubine de son père : car celui-ci, en raison de sa vieillesse, n’avait pas eu commerce avec elle ; elle était donc restée vierge. Bersabé promit de lui prêter tout son concours, disant qu’elle ne doutait pas du succès, d’abord parce que le roi tiendrait à faire plaisir à son frère, ensuite parce qu’elle l’en prierait avec instance. Adonias se retira, plein d’espoir, et la mère de Salomon s’empressa aussitôt d’aller voir son fils pour l’entretenir de ce qu’elle avait promis à la prière d’Adonias. Son fils, étant venu à sa rencontre, l’embrassa, puis, l’ayant conduite dans l’appartement où se trouvait son trône royal, s’y assit et fit placer à sa droite un autre trône pour sa mère. Bersabé s’étant assise : « J’ai une grâce, dit-elle, à te demander mon fils : accorde-la-moi et épargne-moi le chagrin et l’ennui d’un refus. » Salomon l’invite à faire connaître sa volonté, car c’était un devoir de tout accorder à une mère. Il lui reproche même doucement de n’avoir pas, dès ses premières paroles, montré la ferme confiance de voir exaucer son désir et d’avoir paru appréhender un refus ; alors Bersabé le pria de donner en mariage à son frère Adonias la vierge Abisaké.
[4] I Rois, II, 13.
3.[5] Le roi, violemment irrité par ce discours, congédie sa mère, et s’écrie que sûrement Adonias visait encore plus haut. Il s’étonne qu’elle ne l'ait pas invité à livrer encore la royauté à ce frère, en raison de son âge, alors qu’elle réclame la main d’Abisaké pour un homme qui a des amis puissants, Joab le général en chef et le prêtre Abiathar. Puis il mande Banéas, le chef des gardes du corps, et lui ordonne de mettre à mort son frère Adonias. Ensuite, ayant appelé le prêtre Abiathar : « Si tu échappes à la mort, dit-il, c’est en considération de toutes les épreuves que tu as subies aux côtés de mon père et de l’aide que tu lui as prêtée pour transporter l’arche. Mais voici le châtiment que je t’inflige, pour t’être rangé du parti d’Adonias et avoir épousé ses projets : aie garde de ne point demeurer ici, ni de te trouver jamais devant mes yeux ; mais retourne dans ton pays natal[6], vis aux champs et mène cette existence jusqu’à la mort ; ta faute t’enlève le droit de demeurer désormais à ton poste. » C’est pour ce motif que la maison d’Ithamar, selon ce que Dieu avait prédit au grand-père d’Abiathar, Éli, fut destituée de la dignité sacerdotale, laquelle passa dans la race de Phinéès, à Sadoc. Les membres de la famille de Phinéès, qui restèrent dans la vie privée à partir de l’époque où le grand pontificat avait passé à la maison d’Ithamar, et en premier lieu à Éli, furent : Boccias, fils du grand-prêtre Joseph, son fils Jotham(os), puis Maréoth(os), fils de Jotham, Arophéos, fils de Maréoth, Achitob(os), fils d’Arophéos, et Sadoc, fils d’Achitob, qui le premier devint grand-prêtre sous le roi David[7].
[5] I Rois, II, 22 (excepté les § 11-12).
[6] Bible : à Anatoth.
[7] I Chron., VI, 4-8 ; VI, 50-54. La liste biblique diffère de celle de Josèphe. Celui-ci écrit Joseph au lieu d’Abischous, Jotham au lieu de Zerahya ou d’Ouzzi, Arophéos au lieu d’Amaria ; il omet Zerabya (ou Ouzzi). Mais il y a des divergences plus singulières entre notre texte et celui d’Ant., V, II, 5. Là le nom correspondant à l’Abischoua de la Bible est Abiézer et non pas comme ici Joseph, qui paraît être une faute de copiste. De plus, la liste d’Ant., V, compte Ozi. Enfin, chose curieuse, la lignée d’Éléazar n’y est destituée du sacerdoce qu’après Ozi, tandis que, dans notre passage, la rentrée dans la vie privée (ίδεωτεύσαντες) commence déjà avec Boukki.
4.[8] Joab, le général en chef, avant appris la mort d’Adonias, entra dans une grande frayeur, car il lui était plus attaché qu’au roi Salomon[9], et, craignant non sans raison que cette amitié ne lui valût des dangers, il alla se réfugier auprès de l’autel : il s’imaginait que la piété du roi l’y laisserait en sûreté. Mais Salomon, à qui l’on était venu rapporter le dessein de Joab, lui envoya Banéas avec ordre de le faire lever et de le mener au tribunal pour s’y justifier. Joab déclara qu’il ne quitterait pas le saint lieu, et qu’il aimait mieux mourir là qu’ailleurs. Banéas avant rapporté sa réponse au roi, Salomon ordonna de lui trancher la tête sur place, comme il le désirait, et de venger ainsi les deux généraux que Joab avait injustement assassinés. Toutefois il commanda d’enterrer son corps, afin que ses crimes continuassent à jamais à peser sur sa famille, et d’autre part, que lui-même et son père fussent innocentés de la mort de Joab[10] (?). Banéas, après avoir exécuté ces ordres, est désigné lui-même comme général en chef de l’armée, et Sadoc est fait seul grand-prêtre à la place d’Abiathar, que le roi avait destitué.
[8] I Rois, II, 28.
[9] Comme la Vulgate et les versions syriennes, mais l’hébreu et la LXX ont ici : « Joab avait embrassé le parti d’Adonias, tandis qu’il n’avait pas favorisé Absalom. »
[10] Texte peu intelligible et probablement altéré. L’hébreu signifie que la famille de David sera ainsi innocentée du sang versé par Joab.
5.[11] Quant à Séméi, il lui ordonna de se bâtir une maison à Jérusalem et d’y demeurer à la disposition du roi, sans avoir le droit, sous peine de la vie, de franchir le torrent de Kédron. A la gravité de la menace, il ajouta pour lui l’obligation de se lier par serment. Séméi se déclara fort satisfait des ordres de Salomon et, ayant juré de s’y conformer, quitta sa ville natale pour fixer sa demeure à Jérusalem. Cependant, trois ans plus tard, informé que deux esclaves qui s’étaient enfuis de chez lui se trouvaient à Gitta, il courut à leur poursuite. Mais quand il fut revenu avec eux, le roi apprit le fait et s’irrita de cette infraction à ses ordres et plus encore de son oubli des serments prêtés à Dieu. Alors l’ayant mandé : « N’avais-tu pas juré, dit-il, de ne pas me quitter et de ne jamais sortir de cette ville pour aller dans une autre ? Eh bien ! tu expieras ce parjure et, puisque tu t’es mal conduit, je te châtierai et de ce crime et des outrages dont tu te rendis coupable envers mon père, lors de sa fuite, afin que tu saches que les méchants ne gagnent rien à éviter le châtiment immédiat de leurs forfaits, loin de là, pendant tout le temps où leur impunité leur donne un semblant de sécurité, le châtiment ne fait que croître et devient plus grave que celui qu’ils eussent subi au moment même du crime. Et sur l’ordre du roi, Banéas mit Séméi à mort.
[11] I Rois, II, 36. Entre les versets 35 et 36 on trouve chez les LXX un assez long passage qui n’a son correspondant ni dans l’hébreu, ni dans la Vulgate. Josèphe suit un texte conforme à l’hébreu.