L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

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De l’examen de sa conscience, et du propos de s’amender

Prêtre, qui que tu sois, qui vas sur mon autel
Offrir un Dieu vivant à son Père immortel,
Et tenir en tes mains et recevoir toi-même
De mon amour pour toi le mystère suprême,
Approche, mais surtout prépare dans ton sein
Une humilité forte, un respect souverain,
Une foi pleine et ferme, une intention pure
D’honorer, de bénir l’Auteur de la nature ;
Sur ton œil intérieur jette l’œil avec soin,
En juge incorruptible, en fidèle témoin ;
Et, si de mon honneur un vrai souci te touche,
Fais que le cœur contrit et l’humble aveu de bouche
Sachent si bien purger le désordre caché,
Que rien par le remords ne te soit reproché,
Que rien plus ne te pèse, et que rien que tu saches
N’empêche un libre accès par ses honteuses taches.
Porte empreint sur ce cœur un regret général
Pour tout ce que jamais il a commis de mal ;
Joins à ce déplaisir des douleurs singulières
Pour les infirmités qui te sont journalières ;
Et, si l’heure le souffre, en secret devant Dieu,
Repasse-s-en le nombre, et le temps, et le lieu ;
Et, de tous les défauts où ton âme s’engage,
Étends devant ses yeux la pitoyable image.
Gémis, soupire, pleure aux pieds de l’Éternel,
D’être encore si mondain, d’être encor si charnel,
D’avoir des passions si peu mortifiées,
Des inclinations si mal purifiées,
Que les mauvais désirs demeurent tout-puissants
Sur qui veille si mal à la garde des sens.
Gémis d’en voir souvent les approches saisies
Par les vains embarras de tant de fantaisies,
D’avoir pour le dehors tant de soupirs ardents,
Et si peu de retour aux choses du dedans ;
De souffrir que ton âme à toute heure n’aspire
Qu’à ce qui divertit, qu’à ce qui te fait rire,
Tandis que pour les pleurs et la componction
Ton endurcissement a tant d’aversion ;
De te voir tant de pente à vivre plus au large,
Dans l’aise et les plaisirs d’une chair qui te charge,
Cependant que ton cœur a tant de lâcheté
Pour la ferveur du zèle et pour l’austérité ;
D’être si curieux d’entendre des nouvelles,
De voir des raretés surprenantes et belles,
Et si lent à choisir de ces emplois abjects
Que prend l’humilité pour ses plus doux objets.
Gémis de tant d’ardeur pour amasser et prendre,
Et de tant de réserve à départir ou rendre,
Qu’on a raison de croire et de te reprocher
Que ce que tient ta main ne s’en peut détacher.
Pleure ton peu de soin à régler tes paroles,
Ton silence rempli d’égarements frivoles,
Le peu d’ordre en tes mœurs, le peu de jugement
Que dans tes actions fait voir chaque moment.
Gémis d’avoir aimé les plaisirs de la table,
Et fait la sourde oreille à ma voix adorable ;
D’avoir pris pour vrai bien la molle oisiveté ;
D’avoir pris le travail pour infélicité ;
Pour des contes en l’air eu vigilance entière,
Long assoupissement pour la sainte prière,
Hâte d’être à la fin, et l’esprit vagabond
Vers ce qu’il ne fait pas ou que les autres font.
Pleure ta nonchalance à rendre ton office,
Gémis de ta tiédeur pendant ton sacrifice,
De tant d’aridité dans tes communions,
De tant de complaisance en tes distractions,
D’avoir si rarement l’âme bien recueillie,
De faire hors de toi toujours quelque saillie,
Prompt à te courroucer, prompt à fâcher autrui,
Sévère à le reprendre, et juger mal de lui.
Pleure l’emportement de tes humeurs diverses
Qu’enflent les bons succès, qu’abattent les traverses ;
Pleure enfin ta misère, et l’ouvrage imparfait
De tant de bons desseins que suit si peu d’effet.
Ces défauts déplorés, et tout ce qui t’en reste,
Avec un vif regret d’un cœur qui les déteste,
Avec de ta faiblesse un aveu douloureux,
D’où naisse un déplaisir cuisant, mais amoureux,
Passe au ferme propos de corriger ta vie,
D’avancer aux vertus où ma voix te convie,
D’élever tes désirs sans plus les ravaler,
D’aller de mieux en mieux sans jamais reculer ;
Puis, d’une volonté fortement résignée,
Qui tienne sous tes pas la terre dédaignée,
Offre-toi tout entier toi-même en mon honneur
Pour holocauste pur sur l’autel de ton cœur ;
Remets entre mes mains et ton corps et ton âme,
Afin que, tout rempli d’une céleste flamme,
Tu sois en digne état par cet humble devoir
De consacrer mon corps et de le recevoir.
Car, si tu ne le sais, pour plaire au Dieu qui t’aime,
L’offrande la plus digne est celle de toi-même ;
C’est elle qu’il faut joindre à celle de mon corps
Par d’amoureux élans, par de sacrés transports,
Qui puissent jusqu’à moi les élever unies
Et quand tu dis la messe, et quand tu communies.
Rien ne t’affranchit mieux de ce qu’a mérité
Ou ta noire malice, ou ta fragilité,
Et rien n’efface mieux les taches de tes crimes
Que la sainte union qu’ont lors ces deux victimes.
Quand le pécheur a fait autant qu’il est en lui
Qu’une douleur sensible, un véritable ennui,
Un profond repentir le prosterne à ma face
Pour obtenir pardon et me demander grâce,
Je suis le Dieu vivant qui ne veux point sa mort,
Mais qu’à se convertir il fasse un digne effort,
Qu’il vive en mon amour pour revivre en ma gloire,
Et de tous ses péchés je perdrai la mémoire ;
Tous lui seront par moi si pleinement remis,
Qu’il aura place au rang de mes plus chers amis.

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