1.[1] Comme le roi voyait les murailles de Jérusalem dépourvues de tours et d’autres moyens de défense et qu’il estimait que la solidité de l’enceinte devait répondre à l’importance de la ville, il restaura ces murs et les rehaussa de tours élevées. Il bâtit aussi des villes qui furent au nombre des plus puissantes, Asdr(os) et Maghédon, et une troisième, Gazara[2]. Cette dernière ville faisait partie du territoire des Philistins ; Pharaon, roi des Égyptiens, parti en campagne, y avait mis le siège et l’avait emportée d’assaut. Après en avoir fait périr tous les habitants[3], il la renversa de fond en comble et la donna ensuite en présent à sa fille, mariée à Salomon. En conséquence, le roi la rebâtit, parce qu’elle avait une forte position naturelle et qu’elle pouvait être utile en cas de guerre et si les circonstances venaient à changer. Non loin de Gazara, il fonda encore deux villes : l’une s’appelait Bétchôra[4], l’autre Baleth[5]. Et il en édifia d’autres encore, dans des sites appropriés à la jouissance et au plaisir, bien favorisées par une température égale, de belles récoltes et d’abondants cours d’eau. Il pénétra également dans le désert de la Haute-Syrie et s’en rendit maître ; là, il fonda une très grande ville à deux journées de distance de la Haute-Syrie, à une journée de l’Euphrate et à six jours de Babylone la grande. S’il établit cette ville aussi loin des régions habitées de la Syrie, c’est que plus bas il n’y a d’eau nulle part dans le pays et qu’on ne trouve qu’en cet endroit seul des sources et des puits. Ayant donc bâti cette ville et l’ayant environnée de remparts formidables, il l’appela Thadamora[6] ; c’est encore le nom qu’elle porte chez les Syriens. Quant aux Grecs, ils l’appellent Palmyre.
[1] I Rois, IX, 15.
[2] Hébreu : Haçor, Meghiddo, Ghézer ; LXX : Ἀσσούρ, Μαγεδδώ, Γαζέρ.
[3] I Rois, IX, 16 ; II Chroniques, VIII, 3. Les LXX ont ce passage plus haut, IV, 31 et voient de l’hébreu un nom de ville ἐν Μεργέβ (L. : Αροαβ). Josèphe paraît encore ici plus près de l’hébreu que des LXX.
[4] Hébreu : Beth-horon ; LXX (III Rois, II, 35 ; X, 23 ; II Chron., VIII, 5) Βαιθωρών.
[5] Bible : Βααλάθ.
[6] Hébreu : Thadmor.
2. Tels étaient dans ce temps-là les faits et gestes du roi Salomon. D’aucuns se seront demandé pourquoi tous les rois égyptiens, depuis Minæos (Ménès), le fondateur de Memphis, qui précéda de beaucoup d’années notre ancêtre Abram, jusqu’à Salomon, dans un intervalle de plus de treize cents ans, ont été appelés Pharaon (Pharaôthès)[7] ; aussi ai-je jugé nécessaire, pour dissiper leur ignorance et éclaircir l’origine du nom, de dire ici que Pharaon chez les Égyptiens signifie roi. Je crois qu’à leur naissance ils recevaient d’autres noms, mais dès qu’ils devenaient rois, on leur donnait le titre qui désigne leur puissance dans la langue nationale. C’est ainsi que les rois d’Alexandrie, d’abord appelés d’autres noms, recevaient à leur avènement au trône le nom de Ptolémée, d’après celui du premier roi. De même, les empereurs romains, après avoir porté d’autres noms de naissance, sont appelés César, titre qu’ils tiennent de leur primauté et de leur rang, et abandonnent les noms que leur ont donnés leurs pères. Voilà pourquoi, je suppose, Hérodote d’Halicarnasse, quand il raconte qu’après Minæos, le fondateur de Memphis, il y eut trois cent trente rois d’Égypte, n’indique pas leurs noms, parce qu’ils s’appelaient du nom générique de Pharaon. Et en effet, comme, après l’extinction de ces rois, une femme monta sur le trône, il nous dit son nom, à savoir Nicaulis[8], montrant bien que si les rois mâles pouvaient porter le même nom, il n’en était plus de même pour la femme : c’est pourquoi il nous a indiqué son nom propre. De mon côté, j’ai trouvé aussi dans les livres de notre pays qu’après Pharaon, beau-père de Salomon, aucun roi d’Égypte ne fut plus appelé de ce nom[9], et que plus tard Salomon reçut la visite de la femme en question, reine d’Égypte et d’Éthiopie. Mais nous aurons bientôt à nous occuper d’elle. Pour l’instant j’ai rappelé ces choses afin de signaler sur combien de points s’accordent nos livres et ceux des Égyptiens.
[7] A la suite de ce mot on lit la phrase, sûrement interpolée : « ayant reçu ce surnom d’un roi Pharaôthès qui régna après eux dans le temps intermédiaire. »
[8] Hérodote l’appelle Nitocris (II, 100).
[9] Déjà Whiston a relevé l’erreur commise ici par Josèphe. L’Écriture ajoute tantôt le nom Pharaon au nom propre du roi (II Rois, XXIII, 29 ; Jérémie, XLIV, 30), tantôt emploie Pharaon, tout court. (T. R.)
3.[10] Le roi Salomon soumit à son pouvoir ceux des Cananéens qui ne lui étaient pas encore assujettis, à savoir : ceux qui vivaient sur le mont Liban et jusqu’à la ville d’Amathé ; il leur imposa tribut, et chaque année choisissait parmi eux des hommes pour lui servir de mercenaires, de domestiques et de laboureurs. Chez les Hébreux, en effet, nul n’était esclave — il n’eût pas été juste, quand Dieu leur avait soumis tant de peuplades, où ils pouvaient recruter leurs mercenaires, de réduire les Hébreux eux-mêmes à une telle condition ; — tous préféraient donc passer leur vie à guerroyer en armes sur des chars et des chevaux plutôt que d’être esclaves. Quant aux Cananéens qu’il prit à son service, il leur désigna des chefs au nombre de cinq cent cinquante[11] qui en reçurent du roi l’entière surveillance, afin de leur enseigner tous les travaux et les besognes auxquels il les employait.
[10] I Rois, IX, 20 ; II Chroniques, VIII, 7.
[11] Comme I Rois, IX, 23 ; les Chroniques ont 250.
4.[12] Le roi construisit aussi beaucoup de navires dans le golfe d’Égypte, formé par la mer Érythrée, au lieu dit Gasiôn Gabel(os)[13], non loin de la ville d’Aelan(a)[14], qui s’appelle maintenant Bérénice : cette région, en effet, appartenait jadis aux Juifs. Il reçut aussi un présent approprié à la flotte de Hirôm, roi des Tyriens : celui-ci lui envoya, en effet, des pilotes et un bon nombre de marins experts, à qui Salomon ordonna de faire voile, accompagnés de ses intendants, vers l’antique Sophira[15], la Terre d’Or actuelle, — c’est une région de l’Inde, — et de lui en rapporter de l’or. Quand ils en eurent amassé environ quatre cents talents[16], ils retournèrent auprès du roi.
[12] I Rois, IX, 26 ; II Chroniques, VIII, 17.
[13] Hébreu : Eclongaber ; LXX : Γασίων Γαβέρ.
[14] Hébreu : Eloth ; LXX : Αίλάθ.
[15] Comme les LXX ; hébreu : Ophir.
[16] 420 dans I Rois, IX, 28 ; 450 d’après II Chroniques, VIII, 18.
5.[17] La femme qui gouvernait en ce temps-là l’Égypte et l’Éthiopie[18] était d’une sagesse accomplie et, à tous égards, digne d’admiration ; ayant ouï parler du mérite et de l’intelligence de Salomon, elle conçut un si vif désir de le voir, d’après tout ce qu’on racontait journellement au sujet de son pays, qu’elle se rendit auprès de lui. Elle voulait ; disait-elle, se convaincre par l’expérience et non sur la renommée, qui, par sa nature, peut être complaisante à une fausse apparence et se démentir ensuite, puisqu’elle dépend entièrement de la qualité des informateurs. Tel fut le motif de son voyage, mais elle voulut surtout faire l’épreuve de la sagesse du roi en lui proposant à résoudre des difficultés qui passaient son propre entendement. Elle s’en vint donc à Jérusalem en grande pompe et avec un grand déploiement de richesse. Elle emmenait des chameaux chargés d’or, de parfums variés et de pierres précieuses. Quand elle fut arrivée, le roi la reçut avec joie. Il se montra fort empressé en toute chose à son égard et, en particulier, résolut les problèmes proposés plus vite qu’on n’eût pu s’y attendre, grâce à la vive pénétration de son esprit. La reine fut stupéfaite, reconnaissant l’extraordinaire sagesse de Salomon, dont la réalité dépassait encore la réputation. Elle admira aussi infiniment la demeure royale pour sa beauté et sa grandeur ainsi que pour la disposition des édifices, où elle put constater toute la prudence du roi. Mais ce qui porta son admiration à son comble, ce fut la maison appelée Forêt du Liban, la magnificence des repas quotidiens, les apprêts, le service, le vêtement des serviteurs, l’élégance savante qu’ils déployaient dans leurs fonctions ; elle n’admira pas moins les sacrifices quotidiens offerts à Dieu et les soins qu’y apportaient les prêtres et les Lévites. Ce spectacle, renouvelé chaque jour, l’émerveillait à l’extrême, et, ne pouvant contenir sa surprise, elle manifestait ses sentiments d’admiration en adressant au roi des paroles qui trahissaient son émotion : « En vérité, dit-elle, ô roi, tout ce qui vient à notre connaissance par ouï-dire, nous le recevons avec méfiance ; mais pour ces biens que tu possèdes en toi-même, je veux dire la sagesse et la prudence, et ceux que la royauté t’a conférés, la renommée qui nous en est parvenue n’était certes pas mensongère. Que dis-je ? Si vraie fût-elle, elle nous a dépeint une félicité bien inférieure à celle dont je suis ici témoin. En effet, la renommée n’essayait que de persuader les oreilles, mais elle ne renseignait pas sur la valeur des choses autant que le font l’observation directe et la vision personnelle. C’est ainsi que moi, qui n’ajoutais pas foi à ces rapports qui me décrivaient tant de choses et si grandes, je viens d’en contempler de bien plus considérables. Et j’estime heureux[19] le peuple des Hébreux, ainsi que tes serviteurs et tes amis, qui ont la joie tous les jours de servir ta personne et d’entendre ta sagesse. Aussi peut-on à bon droit bénir Dieu, qui a tant aimé ce pays et ses habitants qu’il t’en a fait roi.
[17] I Rois, X, 1 ; II Chroniques, IX, 1.
[18] Bible : la reine de Saba (en Arabie). Il n’est pas question de l’Égypte ni de l’Éthiopie dans le récit biblique.
[19] μακάριόν τε τόν Ἑβραίων λαόν xτλ. Les LXX ont : Μακάριαι αἱ γυναῖxές σου (III Rois, X, 8) qui supposent une mauvaise lecture de l’hébreu [hébreu] au lieu de [hébreu]. Josèphe semble plus près, ici encore, du texte hébreu que des LXX. Il est vrai qu’il a pu suivre la leçon de II Chroniques, IX, 7, où le grec a : μαxάριοι οί άνδρες σου. (L a corrigé dans Chroniques ἄνδρες en γυναῖνες.)
6.[20] Lorsqu’elle eut ainsi témoigné par ses paroles les sentiments que lui avait inspirés le roi, elle acheva de les exprimer par ses présents. Elle lui donna, en effet, vingt talents[21] d’or, une quantité inimaginable d’aromates et des pierres très précieuses[22]. On dit aussi que la racine du baume, que notre contrée produit encore aujourd’hui[23], nous vient d’un présent de cette femme. A son tour, Salomon[24] lui fit beaucoup de présents de valeur, en se conformant surtout à ses désirs : non seulement il ne lui refusait rien, mais, plus prompt qu’elle, il allait au-devant de ses intimes désirs et montrait sa générosité en s’empressant de lui céder justement ce qu’elle ambitionnait. Ayant ainsi donné et reçu ces présents, la reine d’Égypte et d’Éthiopie revint dans ses États.
[20] I Rois, X, 10 ; II Chroniques, IX, 9.
[21] Bible : 120 talents d’or.
[22] λίθον πολυτελῆ. — Peut-être faut-il rétablir un pluriel. (T. R.)
[23] Le baume de Jéricho ou d’Engadi (Ant., IX, § 7). Cette hypothèse appartient à Josèphe (la Chronique mentionne simplement le baume de choix parmi les présents de la reine de Saba).
[24] I Rois, XII, 13 (II Chroniques, IX, 12), utilisé judicieusement avant les v. 11-12 traités au commencement du chapitre suivant.