Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 7
Depuis la destruction de Jérusalem jusqu'à la fin de la guerre

CHAPITRE 6
Lucilius Bassus marche sur Machaeron[1] ; description de cette ville. Siège et prise de Machaeron. Combat de Jardes. Redevances imposées aux Juifs.

[1] Μαχαιροῦς génitif οῦντος, ne doit pas se transcrire Machaerus.

Lucilius Bassus marche sur Machaeron ; description de cette ville.

1. Entre-temps, Lucilius Bassus avait été envoyé en Judée comme légat ; il reçut l'armée des mains de Vétilianus Céréalis[2], et fit capituler la forteresse d'Hérodion[3] avec sa garnison. Puis, concentrant toutes les troupes qui étaient divisées en nombreux détachements, et avec elles la dixième légion, il résolut de marcher contre Machaeron[4], jugeant indispensable de détruire cette forteresse, de crainte que sa solidité n'engageât beaucoup de Juifs à la révolte. La nature des lieux était très propre à inspirer toute confiance aux occupants, comme de l'hésitation et de la crainte aux assaillants. La partie entourée de murs est une crête rocheuse, s'élevant à une hauteur considérable et par cela même d'un accès difficile. A cet obstacle s'ajoutaient ceux qu'avait multipliés la nature, car la colline est de toutes parts entourée de ravins, véritable abîmes insondables à l'œil, difficiles à traverser et qu'il est impossible de combler sur aucun point. La vallée latérale, face à l'ouest, s'étend sur une longueur de soixante stades et a pour limite le lac Asphaltite ; c'est dans cette direction que Machaeron même dresse son sommet dominant. Les vallées du nord et du midi, bien que le cédant en profondeur à la précédente, sont également défendues contre toute attaque. On constate que celle de l'Orient ne s'enfonce pas à moins de cent coudées, elle est bornée par une montagne qui s'élève en face de Machaeron.

[2] Sextus Vettulenus Cerialis : voir plus haut, 111, 310. Les mss. portent Οὐετιλιανοῦ.

[3] Forteresse et tombeau d'Hérode au nord de Jérusalem.

[4] Extrémité nord de la Mer Morte.

2. Frappé de la forte assiette de ce lieu. Alexandre, roi des Juifs[5] y construisit le premier une forteresse ; plus tard, Gabinius s'en empara dans la guerre contre Aristobule[6]. Mais quand Hérode fut roi, il jugea que cette place méritait plus qu'aucune autre ses soins et la construction de solides ouvrage, surtout à cause de la proximité des Arabes, car elle est très avantageusement tournée vers leur territoire. Il entoura donc de remparts et de tours un vaste espace et y bâtit une ville avec un chemin montant vers le sommet de la crête. Sur la hauteur, autour de la cime même, il construisit une muraille, défendue aux angles par des tours s'élevant chacune à soixante coudées. Au milieu de l'enceinte, il bâtit un palais magnifique par sa grandeur et la beauté de ses appartements : il y aménagea, pour recevoir l'eau de pluie et la fournir en abondance, de nombreux réservoirs aux endroits les plus appropriés ; il sembla de la sorte rivaliser avec la nature, s'efforçant de surpasser, par des fortifications élevées de la main des homme, la force inexpugnable dont elle avait doté cette position. Il y déposa aussi une grande quantité de traits et de machines, et n'oublia aucun préparatif qui pût permettre aux habitants de soutenir le siège le plus long.

[5] Alexandre Jannée, 103 – 76 av. J.-C. Voir le livre XIV des Antiquités, § 83.

[6] Voir plus haut, I, 140, 160.

3. Une plante nommée rue, d'une grandeur étonnante, avait poussé dans le palais ; elle ne le cédait à aucun figuier, ni pour la hauteur ni pour l'épaisseur. On racontait qu'elle y existait dès le temps d' Hérode, et elle aurait peut-être duré très longtemps encore si elle n'avait été coupée par les Juifs qui occupèrent ce lieu. Dans la vallée qui entoure la ville du côté du nord, il y a un endroit nommé Baaras[7], qui produit une racine du même nom. Cette plante est d'une couleur qui ressemble à celle du feu. Vers le soir, les rayons qu'elle émet sur ceux qui s'avancent pour la saisir en rendent la cueillaison difficile ; elle se dérobe d'ailleurs aux prises et ne s'arrête de remuer que si l'on répand sur elle de l'urine de femme ou du sang menstruel[8]. Même alors, celui qui la touche risque la mort immédiate, à moins qu'il ne porte suspendu à sa main un morceau de cette racine. On la prend encore sans danger par un autre procédé que voici. On creuse le sol tout autour de la plante, en sorte qu'une très faible portion reste encore enfouie ; puis on y attache un chien, et tandis que celui-ci s'élance pour suivre l'homme qui l'a attaché, cette partie de la racine est facilement extraite ; mais le chien meurt aussitôt, comme s'il donnait sa vie à la place de celui qui devait enlever la plante. En effet, quand on la saisit, après cette opération, on n'a rien à craindre. Malgré tant de périls, on la recherche pour une propriété qui la rend précieuse : les êtres appelés démons — esprits des méchants hommes qui entrent dans le corps des vivants et peuvent les tuer quand ceux-ci manquent de secours — sont rapidement expulsés par cette racine, même si on se contente de l'approcher des malades. Dans ce lieu coulent aussi des sources d'eaux chaudes très différentes par le goût, car quelques-unes sont amères, les autres parfaitement douces. Il y a encore de nombreuses sources froides, alignées parallèlement dans le terrain le plus bas, mais — chose plus étonnante — on voit dans le voisinage une caverne, de profondeur moyenne et recouverte d'un rocher qui surplombe ; à la partie supérieure de ce rocher font saillie comme deux mamelles, peu écartées l'une de l'autre, dont l'une répand une eau très froide, l'autre une eau très chaude ; le mélange de ces deux sources forme un bain très agréable et efficace contre les maladies, particulièrement celles des nerfs. Cette région possède en outre des mines de soufre et d'alun.

[7] Baaru, sources thermales.

[8] Voir plus haut, IV, 480.

Siège et prise de Machaeron.

4. Bassus, après avoir examiné le site de tous côtés, résolut de s'en frayer les approches en comblant la vallée du côté de l'est ; il poursuivit ce travail avec zèle, faisant effort pour élever rapidement la terrasse qui devait faciliter le siège. Cependant les Juifs, bloqués dans la place, renvoyèrent les étrangers et les forcèrent, comme une foule inutile, de rester dans la ville basse, où ils devaient être exposés aux premiers dangers ; eux-mêmes occupèrent et gardèrent la citadelle sur la hauteur, tant à cause de ses fortes défenses que par prudence ; songeant d'avance à leur salut, ils pensaient pouvoir obtenir libre sortie en livrant la place aux Romains. Mais ils voulaient d'abord soumettre à l'expérience l'espoir qu'ils pouvaient entretenir de faire lever le siège. Ils faisaient donc tous les jours de vives sorties ; dans leurs combats avec ceux qui travaillaient aux retranchements, ils perdaient beaucoup de monde, mais ils tuaient aussi beaucoup de Romains. Le plus souvent, c'était l'occasion qui donnait la victoire aux uns ou aux autres — aux Juifs quant ils tombaient sur un ennemi qui se gardait insuffisamment, aux Romains des terrasses quand ils en surveillaient les abords et se trouvaient bien protégés pour recevoir le choc des Juifs.
Ce ne furent pas ces opérations qui devaient amener la fin du siège : un événement inattendu, produit d'une rencontre de circonstances, contraignit les Juifs à livrer la citadelle. II y avait parmi les assiégés un jeune homme du nom d'Éléazar, plein d'audace et d'activité ; il se distinguait dans les sorties, encourageant les autres à sortir et à arrêter les travaux des terrassements, infligeant aux Romains, dans ces combats, de nombreux et cruels échecs, facilitant l'attaque à ceux qui étaient assez courageux pour s'élancer à sa suite, et couvrant leur retraite en se retirant le dernier. Un jour donc, comme la lutte était achevée et que les deux partis se retiraient à la fois, Éléazar, dans la pensée dédaigneuse que nul ennemi ne recommencerait la lutte, resta hors des portes, causant avec ceux du rempart et leur prêtant toute son attention. Un soldat romain, Égyptien de naissance, nommé Rufus, voit cette occasion ; quand nul n'aurait pu s'y attendre, il s'élance soudain sur Éléazar, l'emporte avec ses armes, et, tandis que l'étonnement glace ceux qui du haut des murs assistent à cette scène, il se hâte de transporter son prisonnier auprès de l'armée romaine. Le général ordonna de le mettre à nu, de l'amener dans un endroit où il était le mieux vu des spectateurs de la ville et de le déchirer à coups de fouet. Les Juifs furent alors saisis d'une vive compassion pour ce jeune homme et là ville entière éclata en gémissements — plainte excessive, semble-t-il, pour le malheur d'un seul homme.
A cette vue, Bassus ourdit un stratagème contre les Juifs ; il se proposa de redoubler leur émotion et de les contraindre à lui livrer la forteresse en échange de la vie de cet homme ; son espérance ne fut pas déçue. Il ordonna donc de dresser une croix, comme s'il allait aussitôt attacher Éleazar ; les défenseurs de la citadelle, à ce spectacle, s'abandonnèrent à une affliction plus vive encore et, avec des cris perçants, hurlèrent qu'on leur infligeait une douleur insupportable. Alors Éléazar les supplia de ne pas le laisser subir la plus cruelle des morts, mais de veiller à leur propre salut en cédant à la force et à la fortune des Romains, maintenant que tous les autres s'étaient soumis. Les Juifs. ébranlés par ses paroles et par les vives prières qu'on leur adressait pour lui d'au dedans la ville, — car Éléazar était d'une grande famille très nombreuse — se laissèrent aller, malgré leur caractère, à la pitié ; ils envoyèrent bien vite quelques messagers, promettant de livrer la citadelle, demandant l'autorisation de s'éloigner en toute sûreté et d'emmener Éléazar. Les Romains et leur général accordèrent ces conditions ; mais la multitude de la ville basse, apprenant la convention particulière conclue par les Juifs, résolut elle-même de fuir secrètement pendant la nuit. Sitôt qu'elle eut ouvert les portes, Bassus en fut averti par ceux qui avaient traité avec lui, soit qu'ils fussent jaloux du salut de cette foule, soit qu'ils craignissent d'être déclarés responsables de sa fuite. Seuls les plus braves des fugitifs purent prendre les devants, faire une trouée et s'enfuir ; de ceux qui restèrent à l'intérieur, mille sept cents hommes furent tués ; les femmes et les enfants furent vendus comme esclaves. Cependant Bassus crut qu'il fallait maintenir les conditions arrêtées avec ceux qui avaient livré la forteresse ; il les laissa donc partir et leur rendit Éléazar.

Siège et prise de Machaeron.

4. Bassus, après avoir examiné le site de tous côtés, résolut de s'en frayer les approches en comblant la vallée du côté de l'est ; il poursuivit ce travail avec zèle, faisant effort pour élever rapidement la terrasse qui devait faciliter le siège. Cependant les Juifs, bloqués dans la place, renvoyèrent les étrangers et les forcèrent, comme une foule inutile, de rester dans la ville basse, où ils devaient être exposés aux premiers dangers ; eux-mêmes occupèrent et gardèrent la citadelle sur la hauteur, tant à cause de ses fortes défenses que par prudence ; songeant d'avance à leur salut, ils pensaient pouvoir obtenir libre sortie en livrant la place aux Romains. Mais ils voulaient d'abord soumettre à l'expérience l'espoir qu'ils pouvaient entretenir de faire lever le siège. Ils faisaient donc tous les jours de vives sorties ; dans leurs combats avec ceux qui travaillaient aux retranchements, ils perdaient beaucoup de monde, mais ils tuaient aussi beaucoup de Romains. Le plus souvent, c'était l'occasion qui donnait la victoire aux uns ou aux autres — aux Juifs quant ils tombaient sur un ennemi qui se gardait insuffisamment, aux Romains des terrasses quand ils en surveillaient les abords et se trouvaient bien protégés pour recevoir le choc des Juifs.
Ce ne furent pas ces opérations qui devaient amener la fin du siège : un événement inattendu, produit d'une rencontre de circonstances, contraignit les Juifs à livrer la citadelle. II y avait parmi les assiégés un jeune homme du nom d'Éléazar, plein d'audace et d'activité ; il se distinguait dans les sorties, encourageant les autres à sortir et à arrêter les travaux des terrassements, infligeant aux Romains, dans ces combats, de nombreux et cruels échecs, facilitant l'attaque à ceux qui étaient assez courageux pour s'élancer à sa suite, et couvrant leur retraite en se retirant le dernier. Un jour donc, comme la lutte était achevée et que les deux partis se retiraient à la fois, Éléazar, dans la pensée dédaigneuse que nul ennemi ne recommencerait la lutte, resta hors des portes, causant avec ceux du rempart et leur prêtant toute son attention. Un soldat romain, Égyptien de naissance, nommé Rufus, voit cette occasion ; quand nul n'aurait pu s'y attendre, il s'élance soudain sur Éléazar, l'emporte avec ses armes, et, tandis que l'étonnement glace ceux qui du haut des murs assistent à cette scène, il se hâte de transporter son prisonnier auprès de l'armée romaine. Le général ordonna de le mettre à nu, de l'amener dans un endroit où il était le mieux vu des spectateurs de la ville et de le déchirer à coups de fouet. Les Juifs furent alors saisis d'une vive compassion pour ce jeune homme et là ville entière éclata en gémissements — plainte excessive, semble-t-il, pour le malheur d'un seul homme.
A cette vue, Bassus ourdit un stratagème contre les Juifs ; il se proposa de redoubler leur émotion et de les contraindre à lui livrer la forteresse en échange de la vie de cet homme ; son espérance ne fut pas déçue. Il ordonna donc de dresser une croix, comme s'il allait aussitôt attacher Éleazar ; les défenseurs de la citadelle, à ce spectacle, s'abandonnèrent à une affliction plus vive encore et, avec des cris perçants, hurlèrent qu'on leur infligeait une douleur insupportable. Alors Éléazar les supplia de ne pas le laisser subir la plus cruelle des morts, mais de veiller à leur propre salut en cédant à la force et à la fortune des Romains, maintenant que tous les autres s'étaient soumis. Les Juifs. ébranlés par ses paroles et par les vives prières qu'on leur adressait pour lui d'au dedans la ville, — car Éléazar était d'une grande famille très nombreuse — se laissèrent aller, malgré leur caractère, à la pitié ; ils envoyèrent bien vite quelques messagers, promettant de livrer la citadelle, demandant l'autorisation de s'éloigner en toute sûreté et d'emmener Éléazar. Les Romains et leur général accordèrent ces conditions ; mais la multitude de la ville basse, apprenant la convention particulière conclue par les Juifs, résolut elle-même de fuir secrètement pendant la nuit. Sitôt qu'elle eut ouvert les portes, Bassus en fut averti par ceux qui avaient traité avec lui, soit qu'ils fussent jaloux du salut de cette foule, soit qu'ils craignissent d'être déclarés responsables de sa fuite. Seuls les plus braves des fugitifs purent prendre les devants, faire une trouée et s'enfuir ; de ceux qui restèrent à l'intérieur, mille sept cents hommes furent tués ; les femmes et les enfants furent vendus comme esclaves. Cependant Bassus crut qu'il fallait maintenir les conditions arrêtées avec ceux qui avaient livré la forteresse ; il les laissa donc partir et leur rendit Éléazar.

Combat de Jardes.

5. Après avoir réglé cette affaire, il se hâta de conduire son armée contre la forêt appelée Jarde[9] ; il avait appris, en effet, que beaucoup de Juifs s'y étaient rassemblés, après s'être échappés de Jérusalem et de Machaeron, pendant le siège de ces deux villes. Arrivé là, il reconnut que la nouvelle n'était pas fausse ; il fit donc cerner d'abord par sa cavalerie tout le terrain, afin de rendre ainsi la fuite impossible à ceux des Juifs qui oseraient tenter de percer ; quant aux fantassins, il leur ordonna de couper les arbres de la forêt où s'étaient abrités les fugitifs. Les Juifs furent donc réduits à la nécessité de tenter quelque grande action d'éclat, de risquer une lutte aventureuse pour arriver peut-être à s'échapper ; s'élançant en rangs serrés et avec des cris, ils tombèrent sur les troupes qui les cernaient. Celles-ci leur opposèrent une forte résistance, et comme ils déployaient au plus haut degré, les uns l'énergie du désespoir, les autres l'ardeur de vaincre, le combat se prolongea assez longtemps : mais le terme n'en fut pas le même pour les deux partis opposés. Du côté des Romains, il n'y eut en tout que douze tués et quelques blessés ; mais aucun des Juifs ne sortit sain et sauf de l'engagement. Ils moururent tous au nombre d'environ trois mille, avec leur chef Judas, fils d'Ari, dont nous avons dit précédemment[10] que, commandant un corps de troupe pendant le siège de Jérusalem, il était descendu dans un des souterrains et avait réussi à s'enfuir sans être vu.

[9] Non identifiée.

[10] Voir plus haut, VI, 92. Mais la fuite de Judas n'y est pas mentionnée, preuve nouvelle qu'il y a des lacunes dans le texte ou que la rédaction en a été hâtive.

Redevances imposées aux Juifs.

6. Vers ce temps-là César manda à Bassus et à Laberius Maximus, qui était procurateur, d'affermer toutes les terres des Juifs. Il ne voulait pas bâtir là de ville, mais se les réserver comme domaine particulier : il donna seulement à huit cents soldats licenciés de l'armée romaine un territoire pour s'établir à l'endroit appelé Emmaüs, éloigné de trente stades de Jérusalem[11].
A tous les Juifs, en quelque lieu qu'ils habitassent, il imposa un tribut annuel de deux drachmes qui devait être versé au Capitole à la place de l'offrande qu'ils faisaient auparavant au Temple de Jérusalem[12]. Tel était alors l'état des affaires des Juifs.

[11] On croit que c'est le lieu dit Kulonieh (colonia), au nord-ouest de Jérusalem, l'Emmaüs de Luc (XXIV, 13).

[12] Le demi schekel ; voir Antiq., XVIII, 313.

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