Seigneur, « le monde passe ; » et cependant tout me semble aujourd’hui semblable à ce que j’ai vu jadis ; la terre est la même, les hommes sont les mêmes, leurs travaux, leurs plaisirs, hélas ! et leurs passions toujours les mêmes. L’enfant joue comme jadis ; l’homme travaille comme jadis, et, comme jadis, le vieillard cherche le repos et le loisir. Et parce que je vois toujours des têtes blondes, noires ou blanches, il me semble que toutes ont toujours été ce qu’elles sont ! Etrange illusion ! Je ne songe pas à me dire que ces hommes ne sont pas les mêmes ; que le vieillard d’aujourd’hui est l’enfant d’autrefois ! Que si les choses sont restées, les hommes ont passé ; et qu’aujourd’hui on dépose dans la tombe celui qu’on fêtait hier.
Oui, Seigneur, tout se passe comme au temps de Noé : on vend et on achète, on se marie et on meurt ; et comme au temps de Noé, on ne songe ni à l’arche, ni à la mort, ni au salut, ni à la condamnation. Oh ! mon Dieu, que ce tourbillon du monde ne m’entraîne pas avec lui. Tiens-moi à l’écart, et donne-moi de réfléchir sérieusement sur le peu de jours qui me restent, afin d’en faire un meilleur emploi. Que je laisse là désormais ces futiles joies du monde, ambition, gloire, fortune. Que je dédaigne l’opinion de la foule, et que je ne m’inquiète des hommes que pour leur faire du bien et les sauver. Que leurs promesses et leurs menaces, leurs approbations ou leurs dédains passent sur mon âme comme l’eau sur le marbre, sans y laisser de trace, et que je ne prenne souci que d’une chose, te plaire, veiller sur mon cœur, fortifier ma foi, avancer ma sanctification. Donne-moi le courage de Noé, prédicateur de la justice, pour aller annoncer l’Évangile à ceux qui vont périr. Donne-moi de le faire avec force et avec douceur, en temps et hors de temps. Et quand l’âge arrêtera ma marche, donne-moi encore de prier pour ceux que je ne pourrai plus avertir !