L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français
11 Que le corps de Jésus-Christ et la sainte Écriture sont entièrement nécessaires à l’âme fidèle
Oh ! que ta douceur infinie Répand de charmantes faveurs, Sauveur bénin, sur les ferveurs De qui dignement communie ! Ce grand banquet où tu l’admets N’a point pour lui de moindres mets Que son bien-aimé, son unique ; Que toi, dis-je, seul à choisir, Et seul à qui son cœur s’applique Par-dessus tout autre désir.
Que j’en verrais croître les charmes Si d’un amoureux sentiment Le tendre et long épanchement M’y donnait un torrent de larmes ! Que tous mes vœux seraient contents D’en baigner tes pieds en tout temps Avec la sainte Pécheresse ! Mais où sont ces vives ardeurs ? Où cette amoureuse tendresse ? Où cet épanchement de pleurs ?
En présence d’un tel Monarque, A l’aspect de toute sa cour, Un transport de joie et d’amour En devrait porter cette marque ; Mon cœur par mille ardents soupirs Devrait pousser mille désirs Jusques à la voûte étoilée, Et dans cet avant-goût des cieux Ma joie en larmes distillée Couler à grands flots de mes yeux.
En cet adorable mystère Je te vois présent en effet, Dieu véritable, homme parfait, Sous une apparence étrangère ; Tu me caches cette splendeur Dont ta souveraine grandeur Avant les temps est revêtue : Seigneur, que je te dois bénir D’épargner à ma faible vue Ce qu’elle n’eût pu soutenir !
Les yeux même de tout un monde En un seul regard assemblés, De tant de lumière aveuglés, Rentreraient sous la nuit profonde ; Ils ne pourraient pas subsister S’ils attentaient à supporter Des clartés si hors de mesure ; Et l’éclat de ta majesté, Quand elle emprunte une figure, Fait grâce à notre infirmité.
Sous ces dehors où tu te ranges Je te vois tel qu’au firmament ; Je t’adore en ce sacrement Tel que là t’adorent les anges. La différence entre eux et moi, C’est que les seuls yeux de la foi M’y font voir ce que j’y révère, Et qu’en ce lumineux pourpris Une vision pleine et claire Te montre à ces heureux esprits.
Mais il faut que je me contente D’avoir pour guide ce flambeau, En attendant qu’un jour plus beau Remplisse toute mon attente ; C’est ce jour de l’éternité Dont la brillante immensité Dissipera toutes les ombres, Et de la pointe de ses traits Détruira tous ces voiles sombres Qui couvrent tes divins attraits.
La parfaite béatitude, Éclairant nos entendements, Fera cesser les sacrements Dans son heureuse plénitude ; Ce glorieux prix des travaux, Qui nous met au-dessus des maux, Ote le besoin du remède ; Face à face tu t’y fais voir ; Sans fin, sans trouble, on t’y possède ; On t’y contemple sans miroir.
L’esprit, de lumière en lumière S’y transforme en ta déité, Qu’il embrasse et voit tout entière, Cet esprit tout illuminé Y goûte le Verbe incarné ; Toi-même à ses yeux tu l’exposes, Tel que dans ces vastes palais Il était avant toutes choses, Et tel qu’il demeure à jamais.
Le souvenirs de ces merveilles Fait qu’ici tout m’est ennuyeux, Que tout y déplaît à mes yeux, Tout importune mes oreilles ; Le goût même spirituel M’est un chagrin continuel Près de cette douce mémoire ; Et, quoi qu’il m’arrive de bien, Tant que je ne vois point ta gloire, Tout m’est à charge, tout n’est rien.
Tu le sais, ô Dieu de ma vie ! Qu’ici-bas il n’est point d’objet Où se termine mon projet, Où se repose mon envie : A te contempler fixement, Sans fin et sans empêchement Je mets ma gloire souveraine ; Mais, avant que de voir finir La mortalité que je traîne, Ce bonheur ne peut s’obtenir.
Je dois donc avec patience Te soumettre tous mes désirs, Ne chercher point d’autres plaisirs. N’avoir point d’autre confiance. Les saints qui règnent avec toi Vécurent au monde avec foi, Avec patience y languirent, Et leur cœur en toi satisfait De ce que leurs vœux se promirent Attendit constamment l’effet.
J’ai la même foi qu’ils ont eue ; J’ai le même espoir qu’ils ont eu ; Et, croyant tout ce qu’ils ont cru, J’aspire comme eux à ta vue, Avec ta grâce et pareils vœux J’espère d’arriver comme eux A tes promesses les plus amples, Et jusqu’à cette fin sans fin Ma foi, qu’appuieront leurs exemples, Suivra sous toi le vrai chemin.
J’aurai de plus pour ma conduite Les livres saints, dont le secours A toute heure adoucit le cours Des maux où mon âme est réduite ; Je trouve en leurs instructions Des miroirs pour mes actions, Sur qui je les règle et me juge ; Et par-dessus tous leurs trésors J’ai pour remède et pour refuge Le banquet de ton sacré corps.
Cet accablement de misères Qui m’environne incessamment Pour le supporter doucement Me rend deux choses nécessaires ; J’ai besoin en toutes saisons De deux choses dans ces prisons Où me renferme la nature ; Et, manque de l’une des deux, De lumière, ou de nourriture, Mon séjour n’y peut être heureux.
Seigneur, ta bonté singulière, Pour m’aider à suivre tes pas, M’y donne ton corps pour repas, Et ta parole pour lumière. Dans ces misérables vallons Sans l’un et l’autre de ces dons Ta route serait mal suivie ; Car l’un est l’immuable jour, Et l’autre le vrai pain de vie Qui nourrit l’âme en ton amour.
L’âme de ton amour éprise Peut regarder ces deux soutiens Comme deux tables que tu tiens Dans le trésor de ton Église ; L’une est celle de ton autel, Où se prend ton corps immortel Pour nourriture et médecine ; Et l’autre, celle de ta loi, Qui nous instruit de ta doctrine, Et nous affermit en la foi.
C’est elle qui du sanctuaire Tirant pour nous le voile épais, Jusqu’en ses plus profonds secrets Nous introduit et nous éclaire : C’était pour nous la préparer Qu’il te plut jadis inspirer Les prophètes et les apôtres ; Et tes augustes vérités Chaque jour encor par mille autres Répandent sur nous leurs clartés.
Créateur et Sauveur des hommes, Qu’on te doit de remerciements D’avoir fait ces banquets charmants Pour des malheureux que nous sommes ! Tu nous les tiens à tous ouverts Pour montrer à tout l’univers Cette charité magnifique Qui, déployant tous ses trésors, N’y donne plus l’Agneau mystique, Mais ton vrai sang et ton vrai corps.
Là, sans cesse tous les fidèles, Des traits de ton amour navrés, Et de ton calice enivrés, Goûtent quelques douceurs nouvelles ; Toutes les délices des cieux Font un raccourci précieux Dans ce calice salutaire ; L’ange les y goûte avec nous ; Mais comme sa vue est plus claire, Ses plaisirs sont aussi plus doux.
Prêtres, qu’illustre est votre office ! Que haute est cette dignité Dont vous tenez l’autorité De faire ce grand sacrifice ! Deux mots sacrés et souverains Font descendre un Dieu dans vos mains ; Tous le prenez dans votre bouche ; Et dans ces festins solennels Cette même main qui le touche Le donne au reste des mortels.
Que ces mains doivent être pures ! Que cette bouche, que ce lieu Où loge si souvent un Dieu Doit être bien purgé d’ordures ! O prêtres, que tout votre corps Doit avoir dedans et dehors Une intégrité consommée ! Et qu’il faut voir de sainteté Dans cette demeure animée De l’auteur de la pureté !
Une bouche si souvent prête A recevoir le sacrement Doit prendre garde exactement Qu’il n’en sorte rien que d’honnête. Loin tous inutiles discours D’un organe qui tous les jours A Jésus-Christ sert de passage ; Point, point d’entretien que fervent ; Point d’œil que simple, chaste, et sage, En qui l’approche si souvent.
Vos mains, qui touchent à toute heure L’Auteur de la terre et des cieux, Doivent accompagner vos yeux A s’élever vers sa demeure. Songez bien surtout que sa loi Vous demande un sévère emploi Qui réponde au grand nom de prêtre ; Et que, lorsqu’il y dit à tous, « Soyez saints comme votre Maître, » Il parle aux autres moins qu’à vous.
Seigneur, qui de ce caractère Nous as daigné favoriser, Ne nous laisse pas abuser De son auguste ministère ; Aide-nous, fais-nous dignement Former un dévot sentiment Par l’assistance de tes grâces, Afin qu’en toute pureté Nous puissions marcher sur tes traces, Et mieux servir ta majesté.
Que si de l’humaine impuissance L’insensible et commun pouvoir Relâche trop notre devoir De ce qu’il lui faut d’innocence, Fais que de sincères douleurs Effacent à force de pleurs Tout ce qui s’y coule de vice ; Et que, ravis de ta bonté, Nous attachions à ton service Une humble et ferme volonté.