Nous avons indiqué déjà le rapport général de l’Eglise avec les deux autres sociétés humaines, dont elle se distingue, de l’aveu de tous, par ses origines bien postérieures à celles de la famille et de l’Etat. A cette différence d’origine doivent correspondre des différences essentielles de caractère et de destination ; et, si même il se trouvait, dans tel cas particulier, que tous les citoyens fussent de fait membres de l’Eglise, ce cas ne saurait engendrer le principe que la qualité de citoyen emporte celle de membre de l’Eglise ; et ceci s’appliquera même à des Eglises unies à l’Etat par un concordat.
Le mot église se rencontre au sens propre, d’après un passage du Nouveau Testament, dans la bouche d’un notaire municipal, fort impartial par conséquent en matière religieuse (Actes 19.39-40) ; il s’oppose, dans ce texte, à la populace réunie sur une place par le hasard des circonstances, et désigne une assemblée convoquée dans un but spécial et qui sera indiqué par le complément ou l’adjectif accompagnant le substantif. Si nous parlons d’Eglise chrétienne, ce but sera évidemment l’avancement de la cause du christianisme.
De cette signification générale du mot Eglise, nous tirerons d’abord la définition de ce que l’Eglise chrétienne n’est pas ; après quoi, nous emprunterons à l’enseignement de Jésus et des apôtres la caractéristique de l’Eglise de Jésus-Christ.
Tout d’abord, l’Eglise chrétienne n’est pas une chose, un objet inanimé, une institution abstraite ; elle est une collectivité de personnes. Les expressions comme « aller à l’église », qui transforment l’Eglise en une chose, ne doivent s’entendre que par extension et métaphore.
Mais, si l’Eglise est une réunion de personnes, elle n’est ni une multitude désordonnée, recrutée selon les hasards de l’hérédité ou de la territorialité, ni non plus à l’inverse une élite se recrutant elle-même : c’est une assemblée, une multitude peut-être, convoquée dans un but religieux et chrétien.
L’Eglise chrétienne n’est pas non plus une académie, où toutes les opinions auraient droit d’être représentées, car elle repose sur le fondement d’une doctrine reconnue de tous ses membres et qui a présidé à leur rassemblement : Actes 2.42 (διδαχὴ τῶν ἀποστόλων) ; Éphésiens 2.20 ; 1 Timothée 3.15 (στύλος καὶ ἑδραίωμα τῆς ἀληθείας) ; comp. Galates 1.7-8. Elle n’est pas davantage une école, où il y aurait une doctrine reconnue ; car cette doctrine même n’est ici que le moyen et l’auxiliaire, et non pas la fin de l’institution, qui est l’édification et la pratique (1 Corinthiens 14.12,26 ; Éphésiens 4.12).
Nous traiterons :
- De la constitution permanente de l’Eglise, en regard des autres sociétés humaines, ou des caractères distinctifs de l’Eglise de Christ ;
- De l’organisation intérieure de l’Eglise, ou des différentes catégories comprises dans son sein ;
- De l’activité de l’Eglise et de ses membres, ou des obligations de l’Eglise envers les individus et des individus envers l’Eglise.
Jésus a parlé de l’Eglise en deux circonstances (Matthieu 16.18 ; 18.17), et les deux fois au singulier : l’Eglise. Elle est désignée de cette même façon dans plusieurs passages ; ainsi Éphésiens 5.25 et suiv. Il y a une multitude de familles, un grand nombre d’Etats ; il n’y a qu’une Eglise ; c’est-à-dire que, nonobstant une très grande diversité de formes et de dénominations, il existe au sein de l’humanité naturelle une société ayant son origine propre, se rattachant à l’institution de Christ et à une journée déterminée, celle de la Pentecôte (Actes 2), et possédant certaines conditions d’existence. Si, de toutes les diversités que présentent les organisations ecclésiastiques particulières, nous cherchons à dégager ces conditions communes d’existence, nous les trouvons résumées dans Éphésiens 5.26 : λουτρὸν ἐν ῥήματι. L’Eglise a une frontière extérieure qui la sépare du reste de l’humanité naturelle : c’est le baptême d’eau, dont l’institution remonte à la parole de Jésus-Christ Matthieu 28.19 ; et des moyens d’existence, qui lui sont propres aussi, l’administration de la parole évangélique et du sacrement de la sainte Cène. La parole de Christ, accompagnée de l’efficacité de l’Esprit (Jean 16), et les sacrements sont les éléments communs à l’Eglise dans toutes ses dénominations particulières.
Les Quakers et autres communautés ultra-spiritualistes envisagent que le sacrement est, non aboli, mais accompli ; ils font donc encore partie de l’Eglise ; mais une Eglise qui, pour complaire au monde, consentirait à l’abolition d’un ou deux sacrements ou de l’administration de la parole, sortirait des conditions générales de l’Eglise.
L’Eglise est une, malgré les dissidences. La secte est toute fraction de l’Eglise qui exclut les autres de la communion de l’Eglise. L’Eglise catholique romaine est la plus vaste des sectes.
Jésus appelle en second lieu l’Eglise : mon Eglise. L’Eglise est celle de Christ, non seulement parce qu’il l’a créée (Actes 20.28), mais parce qu’il la gouverne du haut du ciel et qu’elle accomplit son œuvre sur la terre. C’est aussi pour cela qu’elle est appelée son corps (Éphésiens 1.22) ; car, de même que mes membres manifestent les pensées et exécutent les volontés de mon âme, de même, l’Eglise manifeste les pensées et exécute sur la terre les volontés du Christ glorifié.
Christ, appelé le chef de l’Eglise, qui est son corps, est appelé aussi son époux, en ce qu’elle forme un même organisme spirituel avec lui (Éphésiens 5.25 et suiv.).
L’Eglise est donc sainte, malgré les scandales qui s’y produisent et s’y répètent. Elle n’est pas pure ; elle se purifie incessamment, soit en expulsant de siècle en siècle le mal qui est dans son sein, soit en rejetant du milieu d’elle les membres incurables.
Jésus dit à Pierre : « Tout ce que tu auras lié sur la terre. » L’Eglise est donc œcuménique, malgré l’exiguïté de ses limites actuelles ; elle est universelle, sinon de fait, du moins de droit et par sa destination, qui est de s’étendre jusqu’au bout de la terre. Elle n’exclut de son sein que ceux qui s’en excluent consciemment et volontairement eux-mêmes, par le refus de participer aux moyens de grâce qui y sont offerts : la parole et les sacrements.
Et enfin, comme Jésus dit à Pierre : « Sur cette pierre, j’édifierai mon Eglise…, » et dans le second passage : « Dis-le à l’Eglise », nous dirons que l’Eglise est en quatrième lieu visible, reconnaissable en certains temps et en certains lieux, malgré l’absence de son Chef. La distinction entre l’Eglise visible et l’Eglise invisible, faite par les réformateurs, dans l’intérêt de leur polémique avec l’Eglise catholique, qui prétendait à la qualité de seule légitime, n’est propre qu’à troubler la notion de la chose. Le caractère de visibilité n’est pas un vice, une imperfection de l’Eglise terrestre ; il est la condition actuelle de son existence ; et, si l’on parle d’Eglise invisible (Hébreux 12.23), ce ne peut être que par extension.
Nous définissons donc l’Eglise : la société qui, au sein de l’humanité naturelle, se compose de tous ceux qui ont reçu le baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, à l’égard desquels l’Esprit de Dieu agit par le moyen de la parole et des sacrements, et qui ne sont pas sortis de sa communion par une profession d’incrédulité consciente et volontaire.
Nous estimons que l’acte dit de la ratification du vœu du baptême — que l’on ferait mieux de dénommer : l’admission à la sainte Cène — n’est pas, comme on l’entend quelquefois, l’acte par lequel l’individu entre dans l’Eglise, puisque nous disons qu’on y entre par le baptême, mais celui par lequel il déclare vouloir y rester. Nous avons établi d’ailleurs, dans la Dogmatique, l’impropriété de l’expression : « ratification du vœu du baptême, » qui suppose que l’engagement de l’enfant baptisé a été pris par procuration, et qui scinde le sacrement en deux parties, dont la première attend la seconde pour être validée par elle rétroactivement.
Depuis l’avènement du Christ, et spécialement depuis le jour de la Pentecôte qui fut celui de la fondation de l’Eglise, l’humanité se décompose donc en trois fractions : 1° celle qui est restée jusqu’ici en dehors de toute participation aux moyens de grâce offerts par l’Evangile, la parole et les sacrements ; 2° celle qui est entrée dans la sphère de ces moyens de grâce, et à l’égard desquels l’Esprit de Dieu agit par le moyen de la parole et des sacrements ; 3° celle qui en est sortie par un acte d’incrédulité consciente et volontaire.
Notre définition de l’Eglise chrétienne exclut donc à la fois la notion latitudinaire de l’Eglise, selon laquelle elle se confondrait avec l’humanité baptisée, et, reposant comme l’Etat lui-même sur les principes tout matériels de l’hérédité et de la territorialité, renfermerait sans distinction de croyances religieuses tous les habitants d’un même pays et tous les héritiers d’une certaine institution ; elle exclut également la conception que nous appellerions rigoriste, selon laquelle elle ne comprendrait que les croyants et les fidèles. On ne saurait arguer en faveur de cette opinion de textes comme Actes 2.44, qui nous donnent bien la définition d’un état de fait à un moment donné, mais non pas l’expression de l’essence même de la chose.
Nous n’acceptons pas non plus la définition de l’Eglise comme de l’assemblée des professants ; car, en excluant de la communauté de l’Eglise les membres mineurs, qui sont réputés cependant faire partie intégrante des deux autres sociétés, la famille et l’Etat, on confond manifestement la qualité de membre de l’Eglise avec celle de membre actif ou de fonctionnaire. Nous exigeons la profession de la foi de tout membre actif ou fonctionnaire de l’Eglise, mais nous disons, d’une part, qu’on pourrait être resté de fait dans l’Eglise tout en faisant une profession de foi mensongère, et, d’autre part, qu’on peut être membre de l’Eglise, participant de ses moyens de grâce, sans être encore en état de faire cette profession.
Cette Eglise, une, sainte, universelle et visible, se décompose en une multitude de dénominations particulières, issues, soit du principe territorial, — et cela déjà à l’époque apostolique : Eglises de Rome, de Corinthe, etc., — soit de divergences dogmatiques ou ecclésiastiques en dedans des limites générales que nous venons de tracer.
Ici, deux extrêmes sont à éviter. L’un est l’indifférentisme ecclésiastique, qui consiste à n’attacher aucune importance à l’organisation intérieure de l’Eglise, sous le prétexte erroné que Jésus et les apôtres n’auraient rien prévu ni réglé en ce point (comp. au contraire Matthieu 18.17 et les Epîtres pastorales) ; ou bien, tout en se rattachant à une organisation particulière, on se déclare prêt à la sacrifier sur l’autel de l’alliance évangélique, et l’on traite des divergences, dictées cependant par la conscience, de misérables questions nées du péché et de l’égoïsme du cœur humain. Nous croyons, au contraire, que la diversité des Eglises, qui peut être un excès et une anomalie dans certains cas, est voulue de Dieu en principe, comme un symptôme inévitable de la vie, et que, sans se condamner mutuellement, les diverses dénominations peuvent coexister l’une à côté de l’autre, en se reconnaissant le droit de répondre à des besoins divers. L’expérience a d’ailleurs montré que rien n’est plus funeste que les tentatives de fusion prématurées.
La seconde exagération, c’est l’esprit sectaire, qui rompt toute communion avec les croyants membres d’autres dénominations ecclésiastiques, et qui en cela porte tout d’abord dommage à ceux mêmes qui en sont animés.
La morale chrétienne n’a pas à se prononcer sur les avantages ou les inconvénients de telle ou telle organisation ecclésiastique particulière, qu’elle se rattache au système monarchique, aristocratique ou démocratique. L’Evangile n’a rien tranché sur les préférences à donner au système épiscopal sur le presbytérien ou vice-versa, tous les deux pouvant se justifier et devenir nécessaires à tel moment de la vie de l’Eglise. Disons que le système épiscopal s’impose aux époques de fondation de l’Eglise, et c’est sous ce régime que l’Eglise a été formée (Epîtres pastorales). Le système presbytérien, qui accorde une part à l’élément laïque dans l’administration de l’Eglise, se recommande comme plus profitable à un moment plus avancé de son développement.
Nous en dirons autant de l’union de l’Eglise et de l’Etat, tant qu’elle repose sur un concordat qui laisse à l’Eglise la libre administration de ses moyens spirituels ; et c’est une des exagérations contenues dans le livre fameux de Vinet sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, que d’avoir déclaré cette union condamnable en soi, en la qualifiant d’incestueuse, tandis qu’elle n’est, selon nous, que périlleuse, dans le cas indiqué plus haut.
L’Eglise aura donc le droit et le devoir de transformer son organisation extérieure, au fur et à mesure de ses besoins, et de créer dans son sein les institutions nouvelles appelées par les nécessités ou les besoins de chaque époque et de chaque milieu particulier (Actes 6).
Quelle que soit toutefois la latitude laissée à l’Eglise par son Chef invisible, quant à son organisation intérieure, il est cependant une institution qui, d’après la volonté expresse de Jésus-Christ, doit rester permanente dans son sein ; c’est celle du ministère évangélique. Christ a institué pour tous les temps dans son Eglise la distinction des ministres et des simples fidèles, et nous avons dès lors à traiter du rôle du ministère évangélique et de celui du sacerdoce universel dans l’Eglise chrétienne.
Les passages qui se rapportent à l’institution du ministère évangélique sont : Luc 12.42 ; Matthieu 28.20 ; Actes 1.8 ; Éphésiens 4.11, et les Epîtres pastorales.
Le ministère évangélique n’est ni une caste, comme l’était le sacerdoce israélite et comme le clergé catholique prétend l’être, ni une simple fonction transitoire ou une délégation de l’Eglise, comme la fonction d’ancien ou de membre du conseil de paroisse.
Il n’est pas une caste, c’est-à-dire une classe d’hommes réunis par une communauté de charges et de privilèges indépendants des qualités personnelles des individus dont elle se compose. Parmi les charges qui constituent le clergé catholique en caste, citons le célibat, le port d’un costume particulier qui distingue ses membres de l’ensemble des citoyens, et, parmi les privilèges, l’usage de la coupe dans le sacrement de la Cène, refusé à l’ensemble des fidèles.
Les actes même dont le ministre est chargé, spécialement dans le culte, ne lui appartiennent que par raison d’ordre public, en vertu de son mandat, et non pas ensuite d’un caractère de sainteté inhérent à sa personne ou à son état, et rien n’empêche de remettre à titre exceptionnel la prédication de la parole de Dieu et l’administration des sacrements à toute personne désignée par la confiance de l’Eglise, lorsque celle-ci serait placée dans l’alternative d’être privée de ces moyens de grâce ou de les recevoir par un autre organe qu’un ministre consacré.
Le ministre n’est pas un maître, mais un serviteur (2 Corinthiens 4.5) ; il n’est pas la source de la vérité, il n’en est que l’organe ; ambassadeur pour Christ et comme on l’a dit, « suppliant auprès des âmes » (2 Corinthiens 5.20).
Le ministère n’est pas non plus, en revanche, une fonction temporaire, naissant ou cessant avec la délégation de l’Eglise, comme c’est le cas dans toutes les Eglises où la consécration au ministère évangélique est confondue avec l’installation dans un poste particulier : système illogique, d’ailleurs, en ce que cette consécration devrait se renouveler à chaque mutation de poste ou de fonction.
Le ministère évangélique, qui ne constitue pas une caste et n’est pourtant pas une simple fonction, est une profession qui, comme l’apostolat lui-même, puise son autorité non pas dans une délégation humaine, comme la fonction, mais dans une vocation directe du Seigneur lui-même (Luc 10.16 ; Jean 6.70 ; 2 Corinthiens 5.20). Cela signifie que le ministère ne saurait être l’expression des opinions, des croyances ou des volontés de l’Eglise dans les services qui lui sont confiés : l’administration de la parole de Dieu et des sacrements. Toute profession terrestre, d’ailleurs, devant être acceptée par le chrétien comme de vocation divined, il serait étrange que le ministre fit seul exception à cette règle, et il y aurait d’autre part du cléricalisme à dire que ce caractère lui appartient à lui seul.
d – On accuse à tort Vinet de ne pas représenter ce point de vue dans sa Théologie pastorale.
Le ministre diffère donc du simple fidèle en ce qu’il fait l’occupation de sa vie entière de l’œuvre à laquelle les autres membres de l’Eglise ne peuvent consacrer que les intervalles de leurs occupations terrestres, et que, renonçant dans ce but au gagne-pain que lui procurerait une profession terrestre, il reçoit de l’Eglise elle-même un salaire compensant ce sacrifice. C’est le sens du fait de la pêche miraculeuse (Luc 5.1-11) ; c’est le droit que saint Paul a proclamé 1 Corinthiens 9.14 ; 1 Timothée 5.17 (doubles honoraires), et qu’il a confirmé en y renonçant pour lui-même (1 Corinthiens 9.6).
Le rôle de l’Eglise n’est donc pas de conférer la charge de ministre de Jésus-Christ, qui existe avant qu’elle ait été consultée ; son rôle est de la reconnaître en inscrivant, à la suite des épreuves jugées suffisantes, le ministre au nombre de ses fonctionnaires disponibles.
Le double élément que nous venons d’indiquer, la charge transmise directement par le Chef de l’Eglise, et la reconnaissance de cette charge par l’Eglise, est symbolisé dans la cérémonie de la consécration : le transfert de la charge, par l’imposition des mains, qui s’accomplit non par l’intermédiaire de l’Eglise entière, mais par l’organe d’un homme déjà porteur de cette charge, selon l’exemple donné par l’Eglise primitive (1 Timothée 5.22 : « N’impose pas… » et non : « N’imposez pas… ») ; la reconnaissance de cette charge, par la présence de l’Eglise et de ses autorités.
La succession apostolique n’est point nécessaire pour valider la qualité du ministère évangélique, puisqu’elle supposerait un fait impossible à vérifier et d’ailleurs fort improbable, c’est qu’il n’y a pas eu d’interruption de transmission de la charge, des temps apostoliques à nos jours. Il y a des époques de création dans l’Eglise, où la vocation divine se légitime d’une manière si éclatante, par la seule puissance de l’Esprit, qu’elle se passe du signe extérieur ; l’autorité d’un pareil ministère prend sa source dans la personne qui le porte. Mais il est conforme à la bonne administration de l’Eglise qu’une fois suffisamment reconnue dans une individualité créatrice, la transmission s’opère chez ses successeurs par le signe extérieur de l’imposition des mains.
Le ministère diffère du pastorat, en ce que le pastorat, comme d’ailleurs l’anciennat ou le diaconat, est une fonction exercée au sein d’une Eglise particulière ; mais comme le ministère ne commence pas avec le pastorat, il ne cesse pas non plus avec lui ; le ministre retiré de la fonction n’est pas pour cela rentré au nombre des laïques, et il conserve le devoir et le droit de prêcher et d’administrer les sacrements, à titre de suppléant des ministres en fonctions.
La qualité de ministre suppose donc trois conditions nécessaires pour être bien remplie :
- La vocation divine, antérieure à la naissance et révélée au sujet (comp. Galates 1.15) ;
- La foi personnelle, sans laquelle cette vocation serait stérile ;
- Une préparation scientifique et pratique qui assure à l’exercice de cette charge son maximum d’efficacité.
Le ministère est-il indélébile ? Pour répondre à cette question, nous demandons : L’apostolat l’était-il ? Oui, car lorsque l’apôtre, appelé jadis à devenir pêcheur d’hommes (Luc 5.1-11) et retourné à ses filets après sa chute, eut été réhabilité par le Maître, il fut rétabli dans sa charge d’apôtre en même temps que dans sa qualité de disciple (Jean 21.15 et suiv.), et saint Paul aurait sans doute considéré comme une forfaiture d’abandonner jamais la charge qui lui avait été réservée dès sa naissance (Galates 1.15 ; 1 Corinthiens 9.10). Le caractère du ministre est donc selon nous indélébile, s’il est réellement de vocation divine et bien que l’exercice en soit toujours subordonné aux forces disponibles et aux occasions offertes ; c’est ce que notre liturgiee exprime en faisant prendre l’engagement d’exercer ce ministère, pour autant que Dieu en donnera la force et l’occasion, jusqu’au terme de la carrière terrestre. — Non, répondons-nous à la question posée, si cette vocation divine n’a jamais existé, si le pseudo-ministre a trompé l’Eglise, peut-être en se trompant lui-même. Disons toutefois qu’un ministère commencé sans vocation, sans foi ou sans préparation, peut reconquérir ces avantages dans son cours et valider après coup une consécration qui n’avait pas été ratifiée par le Seigneur ; comme, à l’inverse, une consécration valable peut être invalidée par la déchéance morale de l’individu, qui, dans ce cas, portera la peine soit de la perte qu’il inflige à l’Eglise en quittant une charge pour cause d’indignité personnelle, soit de l’usurpation qu’il commet en conservant la charge qu’il déshonore.
e – Celle de l’Eglise évangélique neuchâteloise indépendante de l’Etat, qui reproduit, avec de légères modifications, celle en usage dans l’ancienne Eglise neuchâteloise.
En revanche, tout chrétien, même bien doué et fidèle, ne saurait revendiquer le droit d’accomplir des actes publics dans l’Eglise, comme la prédication et l’administration des sacrements, parce qu’à ce droit devrait correspondre de la part de l’Eglise le devoir de l’accepter et de le reconnaître, sans que les garanties nécessaires lui soient offertes. Or, je puis bien, simple fidèle, reconnaître comme mon devoir d’écouter la prédication du ministre qui est monté en chaire en vertu d’un mandat reconnu par l’Eglise, mais non pas celle d’une personnalité quelconque, qui peut-être est seule à s’attribuer à elle-même ce mandat et les aptitudes nécessaires pour le remplir.
Le ministère n’ayant pas une existence indépendante de l’Eglise et son institution étant comprise dans l’institution de celle-ci ; ayant, en d’autres termes, sa fin dans l’Eglise, et non l’inverse, cette charge, permanente durant l’économie actuelle, ne sera pourtant pas éternelle ; comme le dimanche, comme le serment, le ministère sera, non pas aboli, mais accompli. Il a dès maintenant pour mission de se rendre inutile en hâtant les temps où tous seront ministres, c’est-à-dire arrivés à la stature de Christ et également enseignés de Dieu. C’est le terme annoncé par l’Ecriture, Jérémie 31.34 ; Actes 2.17-21 ; Éphésiens 4.12 ; comp. Jean 6.45.
Le sacerdoce universel, mentionné et reconnu dans plusieurs passages (1 Pierre 2.9 ; Éphésiens 2.18 ; 4.13 ; 1Tim.2.5 ; comp. Exode 19.6), consiste en ce que toutes les obligations et tous les privilèges de la Nouvelle Alliance sont dès maintenant accessibles à chacun de ses membres, entre autres celui de s’approcher de Dieu par la prière et celui de confesser Jésus-Christ dans le monde et dans l’Eglise, dans les limites tracées par l’ordre public (« annoncer les vertus de celui qui nous a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière », 1 Pierre 2.9). Le sacerdoce universel n’est donc pas une institution réservée à l’avenir ; il date des origines de la Nouvelle Alliance, mais il ne sera accompli que dans l’économie future, par l’élévation de tous au niveau de la stature de Christ (Éphésiens 4.13), alors que nous serons tous, de fait comme de droit, « rois et sacrificateurs » (Apocalypse 1.6).
Le principe du sacerdoce universel est violé lorsque le ministère spécial s’interpose entre le fidèle et Dieu, soit qu’il s’arroge le droit exclusif d’exercer tous les offices compris dans la tâche générale de l’Eglise et se pose ainsi comme intermédiaire indispensable de certaines grâces spirituelles, soit qu’il s’érige en directeur des consciences, en imposant aux fidèles des rites ou des croyances qui n’ont qu’un caractère humain.
La première charge détachée du faisceau de l’apostolat pour être constituée à part, non plus comme une délégation permanente du Seigneur, mais comme une fonction temporaire, fut le diaconat (Actes 6), qui correspond à l’anciennat dans nos Eglises suisses.
Il est à remarquer que le don de gouvernement, c’est-à-dire d’administration extérieure de l’Eglise, est nommé en quatrième rang seulement, 1 Corinthiens 12.28 ; il sera donc utile que les fonctions qui y correspondent soient remplies plutôt par les membres laïques de l’Eglise et occupent le moins possible le temps que les ministres doivent réserver à l’étude et à la prédication de la Parole de Dieu.
Il est dans l’esprit de l’institution du sacerdoce universel que le ministère stimule l’activité des membres de l’Eglise et sollicite leur concours dans tous les cas où ils sont capables de procurer l’édification commune.
La doctrine des rapports entre le ministère spécial et le sacerdoce universel fait l’objet d’une branche spéciale de la Théologie qui se détache du tronc de la Morale chrétienne, la Théologie pastorale.
Les différentes obligations de l’Eglise sont déterminées par les différentes catégories d’individus avec lesquelles elle peut se trouver en rapport, et dont nous distinguons trois : les membres fidèles ; les membres infidèles ou déchus ; les hommes qui lui sont étrangers ; catégories auxquelles nous rapportons ces trois obligations de l’Eglise : s’édifier soi-même, se purifier, s’étendre.
La première de ces obligations se rapporte au premier caractère de l’Eglise, qui est l’unité ; le second rappelle qu’elle est sainte ; le troisième, qu’elle est universelle. L’Eglise réalise cette triple obligation par le culte public, la discipline ecclésiastique et la mission.
Le but de l’institution de l’Eglise chrétienne résidant moins dans l’instruction que dans la conversion des inconvertis et dans l’édification des convertis, l’Eglise répond à ces diverses obligations par le culte, qui se présente tout d’abord sous deux formes principales : le culte des adultes et celui des enfants ou des membres mineurs de l’Eglise.
Ce n’est pas que le culte, celui des enfants en particulier, ne renferme et ne doive renfermer un enseignement ; il est évident que la chaire de l’Evangile doit exposer la doctrine évangélique soit dans la prédication, soit dans le catéchisme ; mais nous disons que dans l’un et l’autre cas, cet élément didactique est subordonné au but pratique, religieux et moral. La chaire n’enseignera donc que pour amener les âmes, adultes et enfants, à Jésus-Christ (2 Corinthiens 5.20 : « ambassadeurs pour Christ, afin que vous soyez réconciliés avec Dieu ») ; la vérité chrétienne ne sera exposée dans le culte que pour produire la vie chrétienne (πρὸς οἰκοδομήν, 1 Corinthiens 14.26). En outre, le prédicateur de l’Evangile, par cela même qu’il est prédicateur de l’Evangile, doit partir de la donnée chrétienne authentique ; car remettre en question ou en discussion cette donnée, serait transformer la chaire, destinée à l’édification de l’Eglise, en une arène de dispute, et le temple en un atelier de scepticisme.
Si le but principal du culte n’est pas l’enseignement, il ne saurait se réduire non plus à une manifestation de l’état de l’Eglise, comme le veut Schleiermacher, qui pour cette raison le range dans la troisième partie de son Ethique : Das darstellende Handeln. Le culte est sans doute, de fait, une manifestation de la foi de l’Eglise, mais s’il n’était que cela, s’il ne devait pas avoir d’effet au-delà de cette manifestation elle-même, il sortirait de la morale pour rentrer dans l’esthétique. Ce ne serait plus qu’une fête religieuse se suffisant à elle-même et ayant sa fin en elle-même ; l’Eglise ressemblerait au Pharisien qui n’était venu au temple que pour dire : « O Dieu ! je te rends grâces. » L’Eglise se réunit avant tout pour recevoir et non pour représenter ; pour progresser en vie et en piété, plutôt encore que pour manifester sa vie. Le culte est un service (λατρεία, Romains 1.9 ; 12.1), auquel répond une grâce ; c’est un acte de communion entre Dieu et l’homme, dans lequel chaque partie apporte et reçoit tour à tour. Cela étant, nous pouvons dire tout d’abord que la vie entière du chrétien est un culte, un échange continuel entre Dieu et le fidèle, où le fidèle apporte journellement sa misère et Dieu communique sa grâce. Mais ce culte incessant, que nous appelons la vie chrétienne, ne saurait se soutenir et s’entretenir qu’en se localisant, s’actualisant et se détachant à intervalles réguliers de l’ensemble de l’existence, en prenant conscience de lui-même en certains moments et en certains lieux : c’est le culte individuel et intérieur, que Jésus-Christ a recommandé (Matthieu 6.5), qu’il a si souvent pratiqué lui-même (Luc 6.12 ; Matthieu 14.23), et que chaque fidèle célèbre dans son cœur et son cabinet solitaire.
Mais ce culte individuel ne saurait suffire à tous les besoins de l’âme, et ici aussi s’applique la sentence divine : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ! Soit la prière, soit la méditation de la Parole de Dieu, exigent pour donner tout ce qu’elles promettent le concours fréquent de la communauté. Il n’est pas douteux, d’après Matthieu 18.20, que Jésus n’attribue à la prière collective à deux ou à trois, une efficacité plus grande qu’à la prière individuelle et isolée, soit qu’objectivement elle agisse plus puissamment sur le cœur de Dieu, soit qu’elle soit plus forte de sa nature, étant mieux secondée.
Ce culte collectif restreint, à son tour, ne suffit point encore aux besoins ni de l’individu, ni de l’Eglise. La prière, d’une part, la méditation de la Parole de Dieu, de l’autre, devront être rendues, dans un lieu et à des heures déterminées, accessibles à tout le peuple de l’Eglise ; le culte privé ou domestique sera complété et couronné par le culte public. Le lieu et le jour désignés pour répondre à ces conditions de publicité sont évidemment le temple ou la chapelle, et le dimanche.
Comme le culte privé ou domestique, le culte public se composera de deux facteurs principaux : la présentation à Dieu de l’état de l’Eglise, et la réponse de Dieu. Le premier sera constitué par la prière, puis par le chant, qui est encore la prière, mais par l’organe de tous, et qui constitue dans le culte l’élément esthétique s’ajoutant à l’élément purement pratique, sans toutefois qu’il soit jamais permis de compromettre, par là, le but pratique du culte, comme cela a eu lieu dans l’Eglise catholique et dans certaines Eglises d’Amérique. Le second élément du culte sera la réponse de Dieu, représentée par la lecture et la prédication de la Parole de Dieu, et par la bénédiction. Ces deux éléments principaux du culte public se réunissent, se concentrent et s’incorporent, pour ainsi dire, dans un acte à la fois matériel et spirituel qui exprime tout ensemble la communion de chaque membre de l’Eglise avec Dieu et avec tous ses frères : la sainte Cène.
La liturgie est d’après cela le langage que l’officiant tient à Dieu au nom de l’Eglise, et la prédication, celui qu’il tient à l’Eglise au nom de Dieu. Beck trouvait contradictoire de déclarer l’officiant majeur quand il parle au nom de Dieu et mineur quand il parle au nom de l’Eglise. Nous rétorquons l’argument en disant que dans la prédication, il parle au nom de Dieu sans doute, mais à l’Eglise ; dans la prière, il parle au nom de l’Eglise sans doute, mais à Dieu ; et voilà la raison pour laquelle l’Eglise a raison de prescrire les paroles qu’il doit dire.
En même temps que le culte public est un moyen efficace et indispensable de progrès spirituel ou de réveil pour les membres de l’Eglise, il est un témoignage rendu au monde qui ne reste pas sans effet, puisque ce culte doit rester ouvert à tous ceux qui veulent y participer. Mais le but premier et direct du culte public est l’édification de l’Eglise elle-même. Comp. 1 Corinthiens 14.12-26.
Le catéchisme, sous la forme où il se fait souvent, n’a pas un caractère assez bien défini ; il oscille entre le culte et la leçon de religion ; et c’est probablement la raison pour laquelle il est abandonné des adultes. Il devrait être rendu à son idée première de culte des enfants.
Cependant le culte public, tel que nous venons de le décrire, ne suffit pas encore à tous les besoins de l’Eglise ; il satisfait au besoin d’ordre, mais non pas au besoin de liberté. Un seul officiant s’y trouve en face de tous ses frères. Le principe du sacerdoce universel réclame l’institution d’autres réunions où tous les fidèles puissent présenter en commun leurs requêtes particulières et communiquer leurs méditations. C’est là sans doute l’ἐπισυναγωγή, que l’auteur sacré nous recommande de ne pas abandonner (Hébreux 10.25). La raison d’être de ces cultes libres, — que l’on a cru flétrir sous le nom de « conventicules », comme si le conventicule n’avait pas été la forme primitive de l’assemblée chrétienne (Actes 1.14), — est donc bien manifeste. Une autre raison d’être de ce genre de réunions est le besoin d’instruction biblique, qui resterait en souffrance si l’Eglise n’offrait que des cultes de prédication sur des textes isolés et souvent très réduits.
Nous avons établi que le caractère de sainteté de l’Eglise est sans cesse menacé, tout d’abord par le fait matériel de son union avec l’Etat, partout où cette union existe, même avec le tempérament d’un concordat. L’Etat étant une société fondée sur le fait naturel de la naissance, tandis que l’Eglise l’est au contraire sur le fait spirituel du baptême, il peut y avoir aisément conflit entre ces deux principes ou confusion de l’un avec l’autre. C’est ainsi que l’on a prétendu avec quelque apparence de raison que, dans une Eglise nationale comme dans l’Etat, toutes les opinions avaient le droit d’être représentées, et que, dans les assemblées ecclésiastiques pas plus que dans les corps législatifs politiques, il ne pouvait y avoir de raison de conscience qui interdit à une minorité de se soumettre à la majorité. On oubliait en cela deux faits décisifs : c’est d’abord qu’aucun citoyen ne peut se séparer de l’Etat, tandis qu’il peut toujours se séparer d’une Eglise, même nationale, et qu’il doit le faire dans certains cas ; c’est ensuite que les intérêts traités dans une assemblée politique sont d’ordre terrestre et temporel, et n’engagent pas la conscience, tandis que les intérêts que toute Eglise chrétienne doit satisfaire sont de l’ordre spirituel et ont une portée éternelle. Une société qui ne contraint personne à lui appartenir et qui prétend en même temps administrer les intérêts les plus capitaux de l’homme, a le droit de vouloir rester homogène, et la minorité ne doit pas s’imposer à la majorité sous la forme d’une fraction tracassière et turbulente, puisqu’elle a la faculté de se séparer d’un corps dont elle renie les principes fondamentaux.
Au reste, le droit de discussion n’est pas illimité même dans les assemblées politiques, où il est régi et réglé par la constitution, qu’il n’est pas loisible aux législateurs de mettre en question. A combien plus forte raison en sera-t-il ainsi dans l’Eglise, qui a une histoire et des croyances qui ont fait cette histoire et qui l’ont faite elle-même. — Mais, répondent les partisans de la démagogie religieuse, nous avons le droit de rester dans une Eglise nationale, qui nous appartient légalement autant qu’à nos adversaires. — Nous accordons l’anomalie du rapport où l’Eglise se trouve avec l’Etat en cas pareil ; mais, cette concession faite, le droit des opposants ne nous en paraît pas mieux fondé. Car, du moment que la société civile, à tort ou à raison, forme un contrat avec telle ou telle association, religieuse ou autre, c’est un contrat bilatéral qu’il ne lui appartient pas de modifier seule, en portant atteinte aux principes constitutifs de l’autre partie, et les rationalistes sont aussi mal venus à réclamer leur part et leur place dans une Eglise nationale réformée et évangélique qu’ils renient, qu’à prétendre s’implanter dans l’Eglise nationale catholique, ou dans l’Eglise nationale juive, ce qu’ils n’ont d’ailleurs pas même tenté jusqu’ici.
Mais ce n’est pas seulement du fait de l’union avec l’Etat que le caractère de sainteté d’une Eglise peut être menacé. Il l’est en tout temps, on ne doit pas se le dissimuler, par les instincts du cœur de l’homme. Le cœur de l’homme est naturellement opposé à la vérité et à la loi divines ; et, comme nous avons dit qu’il est inutile de prétendre former une Eglise pure dans l’économie présente, on peut dire que là, dans le cœur naturel des membres de l’Eglise, réside un danger permanent, à ce double point de vue de la vérité et de la vie ; l’Eglise libre de Corinthe, à laquelle Paul adressa la Ire aux Corinthiens, nous en donne la preuve la plus convaincante.
L’Eglise a le devoir de défendre son caractère de sainteté sous le double rapport de la croyance et de la vie : Elle n’est pas pure, elle est mélangée, mais elle est sainte, parce qu’elle est consacrée à Dieu ; or, sa doctrine une fois faussée, les fondements de la foi renversés, elle n’est plus sainte, parce qu’elle n’est plus : elle n’existe plus comme association religieuse de chrétiens ; elle n’est plus qu’une société coopérative ayant un certain capital et certains revenus à gérer, ou, dans le meilleur cas possible, une société d’utilité publique.
L’Eglise a donc le droit de discipline. Mais le mode de cette discipline différera selon qu’il s’exercera envers les fonctionnaires de l’Eglise comme tels ou envers de simples fidèles.
L’Eglise a le droit et le devoir de demander à tous ses membres une profession de foi et d’établir cette profession de foi comme le signe de ralliement auquel tous pourront se reconnaître, pourvu toutefois que cette profession soit conforme aux documents primitifs de la révélation chrétienne et renferme, sans rien y ajouter d’accessoire, les faits historiques auxquels elle-même doit son existence. Ce qui a causé la défaveur des anciens symboles et confessions de foi ecclésiastiques, contre lesquels on s’insurge de toutes parts aujourd’hui, c’est qu’ils imposaient à la conscience individuelle un fardeau qu’elle ne pouvait plus porter. Aujourd’hui, on verse à l’extrême opposé et l’on prétend qu’une Eglise n’a pas besoin de confession de foi et ne doit pas en avoir. — C’est prétendre que l’Eglise est une association religieuse ou morale, ayant pour but unique l’instruction mutuelle, ce qui est, comme nous l’avons dit, contraire à son idée.
Cette profession de foi, l’Eglise a le devoir de la demander avant tout à ses futurs ministres, qui seront chargés d’enseigner dans son sein, et elle ne saurait se désister de ce droit sans forfaiture. — Quelles que soient donc les conditions de l’enseignement théologique, qu’il soit directement donné par l’Eglise, ce qui est l’état normal, ou qu’il soit réuni aux autres branches de l’instruction supérieure, l’Eglise doit avoir le droit d’examiner, au double point de vue de la science et de la foi, et au besoin de repousser ceux qui aspirent à la charge de ministres officiants dans son sein, et elle ne saurait remettre ce soin à autrui. De ce fait résulte la légitimité de la prétention pour l’Eglise d’instruire elle-même et de former ses futurs serviteurs, de surveiller à tous les points de vue leur préparation au saint ministère, de peur qu’il n’arrive que, parmi les candidats que l’Etat forme à son intention et qu’il lui présente, il n’y en ait pas un seul qui lui convienne, ou que la préparation qui leur est donnée n’aille, intentionnellement peut-être, à contre-fin de ses intérêts ou de ses vœux. La seule garantie certaine que l’Eglise puisse posséder à cet égard sera celle qu’elle se donnera à elle-même en formant directement, ou par voie d’association avec d’autres Eglises de son choix, ceux qu’elle doit un jour mettre à sa tête. Encore ici, les inconvénients et abus qui peuvent procéder du système (étroitesse dogmatique), n’en condamnent pas l’usage et ne sont en tout cas pas à comparer avec les inconvénients des systèmes contraires.
L’Eglise a également le droit d’exiger de tous ses membres, au moment de leur première participation à la sainte Cène dans son sein, l’adhésion aux doctrines fondamentales du christianisme ; et, quant à ceux qui en sont venus plus tard à les rejeter ostensiblement et notoirement, après y avoir adhéré, nous ne comprendrions pas qu’ils fussent encore envisagés comme membres de l’Eglise et jouissent des droits d’électeurs dans son sein. L’Eglise, qu’elle soit nationale ou libre, a donc le droit d’exiger ou d’établir des listes électorales exactes et correctes, basées sur la profession individuelle que chacun de ses membres a dû faire de sa foi aux faits fondamentaux du christianisme. Si le baptême donne entrée dans l’Eglise, la profession publique de la foi doit être la condition indispensable posée à quiconque entend jouer dans son sein un rôle actif. La renonciation à ce droit peut devenir de la part de l’Eglise, dans tel cas donné, un suicide.
Nous avons accordé que l’hérésie puisse faire invasion même dans une Eglise indépendante ; témoin les Eglises apostoliques. Mais du moins la différence entre les Eglises indépendantes et les Eglises nationales, c’est que là, les hérésies sortent de l’Eglise (1 Jean 2.19), et qu’ici, à moins de beaucoup de courage et de fidélité, elles restent et revendiquent le droit de cité.
Mais l’Eglise la plus orthodoxe et la plus homogène, quant à sa doctrine, peut être ravagée par les scandales de mœurs. Quel est le devoir de l’Eglise dans ce second cas, et quel moyen a-t-elle de conserver, malgré ces scandales, son caractère de sainteté ?
Deux partis se présentent : ou tout tolérer, ou épurer l’Eglise par l’excommunication des indignes. Le premier parti, qui reposerait sur l’idée que le mélange est de droit et non de fait seulement, est condamné par la parabole même de l’ivraie (« de nuit, — l’ennemi ») et réprouvé par la conscience. Le second semble recommandé par plusieurs passages du Nouveau Testament et a été longtemps la pratique générale de l’Eglise chrétienne, ce dont témoigne encore notre liturgie de la Cène. Les passages principaux sur lesquels on fonde le devoir d’excommunier les indignes sont Matthieu 18.17 et 1 Corinthiens 5.9-13 ; la conclusion indirecte qu’on en a tirée, c’est le devoir pour le chrétien de se séparer d’une Eglise impure et souillée par les scandales (Hébreux 13.13).
La première impression que nous cause la pensée d’épurer l’Eglise, c’est que c’est là une œuvre impossible. Où s’arrêter ? Que faudra-t-il extirper ? Que faudra-t-il laisser ? Connaissons-nous le fond des cœurs ? Pouvons-nous apprécier sainement la gravité relative de tel ou tel scandale ? Un scandale de médisance ou de rancune ne sera-t-il pas plus grave devant Dieu, dans tel cas donné, qu’un scandale d’ivrognerie ? Comment excommunier un médisant, ou un homme haineux et jaloux ? Où la médisance, où la rancune et la haine commenceront-elles à devenir des vices passibles de la peine de l’excommunication ?
La parabole de l’ivraie (Matthieu 13.24 et suiv.) ne fait que donner raison à ces impressions du bon sens (voir v. 29). On réplique que le Royaume de Dieu n’est pas l’Eglise, mais le monde. C’est là un pauvre argument. Ce n’est pas de la lettre, mais de l’esprit qu’il s’agit, et une œuvre impossible à faire dans le monde sera impossible aussi à faire dans l’Eglise.
Dans la parabole Matthieu 22, nous remarquons l’ordre du maître d’inviter à entrer dans la salle du festin tous ceux qui se trouveront, « tant mauvais que bons. » Il est vrai que l’épuration survient à la fin ; mais ce ne sont pas les convives, c’est le roi lui-même, le maître du festin, qui l’exécute. Quant à Matthieu 18.17, l’étude plus attentive de ce passage montre qu’il ne s’agit pas d’une excommunication collective et officielle, mais d’un acte privé, d’une cessation de rapports personnels et individuels entre toi et ton prochain : « Regarde-le. »
De ce que saint Paul défend même de manger avec un pécheur scandaleux (1 Corinthiens 5.9-13), on conclut a fortiori qu’il ne doit pas être permis de communier avec lui. Mais la conclusion va à contre-fin ; je suis maître de ma table, et j’ai le droit d’en exclure qui je veux ; y admettre un vicieux, surtout si ce vicieux fait en même temps profession ouverte d’appartenir à Jésus-Christ, c’est faire acte de solidarité avec lui. Mais la table sainte appartient au Seigneur, et il n’est dans la compétence de personne, pas même du ministre, d’en exclure spontanément un de ses semblables. Aussi bien remarquons-nous, dans le même chapitre (v. 3-5), que saint Paul n’excommunie pas même l’incestueux ; mais, par la puissance de l’Esprit et de la prière commune de l’Eglise et de l’apôtre, il ordonne que le pécheur soit livré à Satan, c’est-à-dire qu’il le voue à la puissance malfaisante du prince des ténèbres, comme y fut livré Job pour un temps et par Dieu lui-même. C’est donc là un acte tout moral, qui doit se passer entre Dieu et l’Eglise : l’invocation de la part de celle-ci d’un châtiment corporel sur un pécheur scandaleux, et cela encore en vue de son salut final : « afin que l’esprit soit sauvé au jour du Seigneur Jésus-Christ. » Il n’est nullement question là d’une exclusion officielle de la table sainte, prononcée à la majorité des voix par un collège de pasteurs et d’anciens. Comp. encore 2 Thessaloniciens 3.14, qui n’a trait non plus qu’à la conduite privée et personnelle que les chrétiens fidèles doivent tenir envers les pécheurs scandaleux.
De la comparaison de ces passages, nous tirons la conclusion que la discipline officielle et coercitive, telle qu’elle a été pratiquée dans l’Eglise, est contraire à l’esprit du Nouveau Testamenta ; que le système des Eglises pures est irréalisable sur la terre, et qu’il n’appartient à aucun homme d’exclure son semblable de la participation aux moyens de grâce qui lui sont offerts par l’Eglise. L’Eglise n’excommunie pas, elle invite le pécheur scandaleux, sous sa propre responsabilité, à s’excommunier lui-même. Il n’en résulte point que les scandales doivent être tolérés dans l’Eglise ; ils doivent être énergiquement combattus (1 Corinthiens 6.2), d’abord par la prédication publique de la Parole de Dieu ; puis, lorsqu’ils se produisent chez des croyants ou chez des hommes qui s’étaient fait passer pour l’être et revendiquaient le nom de frères en Christ, par la répréhension individuelle, et au besoin par la rupture des relations personnelles avec le coupable ; enfin, comme mesure extrême, par l’invocation, de la part de l’Eglise ou de la part des fidèles individuellement, des châtiments de Dieu sur le pécheur scandaleux, afin que, par la souffrance corporelle, il soit ramené à la repentance, si cela est encore possible. La question de la séparation du croyant d’avec l’Eglise infidèle sera traitée plus loin.
a – De la négation du droit d’excommunication ne résulte naturellement pas l’interdiction de toute mesure disciplinaire envers les fonctionnaires de l’Eglise, soit à l’égard de la doctrine, soit à celui des mœurs. — Il y a lieu aussi de distinguer entre l’excommunication et la radiation du rôle des électeurs, à laquelle il a été fait allusion plus haut et qui n’implique pas par elle-même l’exclusion de la table sainte.
On peut demander enfin quel droit aura un pasteur de renvoyer un catéchumène, et jusqu’où ce droit s’étendra. Nous répondons : Le pasteur ne renvoie pas son catéchumène ; il suspend le moment de sa ratification ; il agit pédagogiquement, envers un novice qui n’est pas encore en état de se diriger spontanément lui-même, en prolongeant son temps de noviciat. Il en a le droit, parce qu’il lui a été accordé par le catéchumène lui-même. Par le fait seul qu’il lui a demandé l’instruction religieuse, il s’est soumis d’avance à toutes les mesures disciplinaires que le pasteur croira devoir prendre dans son intérêt spirituel et pour dégager sa propre responsabilité d’un scandale dont l’Eglise serait menacée ; le pasteur doit d’ailleurs se montrer toujours de nouveau disposé à le recevoir, aussitôt que les raisons qui avaient motivé sa suspension sont levées. Que si le catéchumène s’approchait de là table sainte sans y avoir été admis, il le ferait sous sa propre responsabilité.
Nous entendons par étrangers les personnes qui n’ont pas encore été introduites dans l’Eglise par le baptême : les païens, les mahométans, les Juifs, et ceux qui, en pays chrétien, ont rompu avec elle ou sont restés en dehors de son influence. Le devoir de l’Eglise, comme Eglise, est de travailler à la propagation du règne de Dieu sur la terre et à la réalisation des prophéties qui annoncent que l’Evangile sera finalement apporté à toute créature qui est sous le ciel (Matthieu 13.31-32 ; 24.14 ; 28.20). C’est ce que l’on appelle la mission. Jusqu’ici les différentes œuvres de cette catégorie ont été remises à des sociétés particulières de mission ou d’évangélisation indépendantes de l’organisation ecclésiastique. Leur travail a eu de grands et beaux résultats, que tout le monde reconnaît. Ce mode de procéder a d’ailleurs été jusqu’ici indispensable quant à la mission extérieure, par le fait de l’union de la plupart des Eglises avec l’Etat ; car des Eglises nationales, entretenues par le produit de l’impôt national, étaient absolument et matériellement inhabiles à entreprendre une œuvre quelconque comme Eglises en dehors des limites territoriales de la nation. Cet état de choses changera, lorsque les Eglises seront rendues à leur vraie position par la rupture du lien qui les attache à l’Etat. Alors, elles auront non seulement le droit, mais le devoir de reprendre à elles toutes ces œuvres, laissées jusqu’ici, mais provisoirement, à des sociétés particulières, et cela dans leur propre intérêt autant que dans celui de ces œuvres elles-mêmes. L’œuvre de la mission, au lieu d’être un champ à part et isolé de la vie de l’Eglise, deviendra alors une annexe de l’organisation ecclésiastique ; la mission extérieure sera une émanation directe de la vie de l’Eglise elle-même. Nous en dirons autant de toutes les autres œuvres fondées ou entretenues par des comités et des sociétés ; œuvres de diaconesses, de mission intérieure, etc. : toutes reviendront à l’Eglise, au double avantage de l’Eglise et d’elles-mêmes.
Il nous reste à traiter des devoirs de l’individu envers l’Eglise ; ceux des ministres, formant sous le nom de Théologie pastorale une discipline théologique à part, n’auront pas à nous occuper ici.
L’individu doit se garder de deux aberrations, dans ses rapports avec l’Eglise particulière dans laquelle il se trouve providentiellement placé. La première est l’individualisme exagéré, qui lui fait oublier les droits de l’Eglise sur lui et les devoirs qu’il a envers elle, ainsi que les avantages que la communauté lui assure. La seconde est ce que nous appellerons le collectivisme ou le socialisme religieux, qui le porte à abdiquer sa responsabilité individuelle au profit de la responsabilité collective et à se reposer du soin de son salut sur l’Eglise dont il fait partie, sans sentir la nécessité d’une foi personnelle et spontanée. Cette dernière aberration est le danger des Eglises nationales, auquel succombent la plupart de leurs membres ; la première se produit plus fréquemment sous le régime de l’indépendance de l’Eglise, et elle conduit volontiers au séparatisme. Le séparatisme est la disposition qui pousse un certain nombre d’anciens membres de l’Eglise à l’abandonner, pour des griefs plus ou moins plausibles ou spécieux, celui, par exemple, que la communauté ne répond plus aux convictions et ne suffit plus aux besoins individuels, et cela sans avoir tenté tous les moyens légitimes pour combattre et surmonter le mal dont on se plaint. Le danger du séparatisme est l’esprit de jugement et de critique, qui ne se fait que trop remarquer chez ceux qui ont cédé à cette tendance, ce que l’apôtre appelait l’esprit de secte, en le rangeant au nombre des œuvres de la chair (Galates 5.19). Sous couleur de fidélité à ses principes et à sa conscience, on est entraîné à juger les principes et la conscience d’autrui, et l’on s’indigne des lenteurs de ceux qui, plus prudents peut-être et aussi fidèles, restent à leur poste parce que, sans approuver le mal environnant et tout en restant fermement attachés au principe, ils se souviennent que rien n’est parfait ici-bas. A ne vouloir passer sur aucun désordre, sur aucune anomalie, sur aucun abus, à refuser toute accommodation à l’état de fait, même temporaire et provisoire, on risque en effet de se faire plus sage et plus fidèle que Dieu et que Jésus lui-même, qui a dit à des disciples trop intolérants : « Tout ce qui n’est pas contre nous, est pour nous. »
Nous posons en thèse générale le principe que le chrétien, soit simple fidèle, soit ministre, doit rester à son poste, même dans une Eglise dégénérée, pourvu que ce soit encore une Eglise, y remplir fidèlement son devoir, sans en rien retrancher, opposer une résistance calme, mais invincible, à toutes les attaques, persistant à confesser sa foi comme auparavant et à glorifier son Dieu sans colère et sans zèle amer ; et alors, ou bien il l’emportera et fera triompher le bien sur le mal, ou bien il sera violemment expulsé de ce poste, excommunié ou destitué par l’Eglise infidèle ; et dans ce cas, il se retirera avec la conviction de ne pas avoir devancé le signal providentiel, et de n’avoir pas fait sa propre volonté. Nous avons un modèle de cette manière d’agir dans la conduite de Jésus et des apôtres envers la synagogue juive. L’épître aux Hébreux marque le signal de la rupture. Toutefois, la question peut se trouver compliquée d’une façon si imprévue, que nous ne posons ici qu’un principe général et ne voudrions pas hasarder de règle absolue.