Un Israélite ne pouvait devenir esclave d’une manière légalem que dans les cas suivants : il pouvait se vendre lui-même pour avoir de quoi vivre (Lévitique 25.39, 47), et il pouvait être vendu par contrainte lorsque, ayant commis un larcin, il se trouvait dans l’impossibilité de faire restitution (Exode 22.3)n. Mais il résulte nécessairement de l’ensemble de la législation sur ces matières, que, dans ce dernier cas, un Israélite ne pouvait point être vendu à un étranger. Quand Hérode prescrivit que les voleurs pouvaient être vendus à des étrangers, la chose fut à bon droit considérée comme une grave violation de la loi de Moïse (Ant. 16.1, 1). D’après Exode 21.7, un père avait le droit de vendre, non pas son fils, mais bien sa fille : troisième manière en laquelle un membre du peuple de Dieu pouvait perdre sa liberté.
m – Si quelqu’un dérobait un homme, il était puni de mort, soit que le corps du délit fût trouvé entre ses mains, soit qu’il l’eût déjà vendu. (Exode 21.16 ; Deutéronome 24.7)
n – Dans ce cas, le voleur devenait l’esclave de celui à qui il avait fait tort. Josèphe Ant. IV, 8, 27.
Presque tous ceux qui se sont occupés d’archéologie sacrée estiment qu’un créancier pouvait vendre comme esclave un débiteur insolvable et sa famille, ce qui serait un quatrième cas à ajouter aux trois précédents. Mais il faudrait commencer par bien établir que le créancier n’avait pas le droit d’agir de son chef contre le débiteur. En effet, la loi lui interdit (Deutéronome 24.10) d’entrer dans la maison de son débiteur pour y faire à son gré une saisie : elle lui interdit (Exode 22.26 ; Deutéronome 24.12) de garder pendant la nuit le vêtement pris en gage, « car, dit l’Éternel, c’est sa seule couverture, son seul vêtement pour couvrir sa peau. Où coucherait-il ? S’il arrive qu’il crie à moi, je l’entendrai aussi, car je suis miséricordieux. » Elle lui interdit de prendre en gage une meule, car ce serait prendre en gage la vie du prochain, ce qui lui est indispensable pour vivre (Deutéronome 24.6). Or, comment admettre que la législation qui renferme des prescriptions si humaines, livre la personne même du débiteur et celles de ses enfants au caprice de son créancier ? On cite Lévitique 25.39, 47 ; mais il n’y est bien probablement question que de la faculté qu’avaient les Israélites tombés dans la misère, de se vendre eux-mêmes, — et non point de la vente juridique d’un débiteur insolvable. Prenez n’importe quel livre de l’A. T. Nulle part vous ne trouverez rien qu’on puisse citer à l’appui de l’opinion généralement admise. Proverbes 22.7 : « Le riche sera maître par dessus les pauvres, et celui qui emprunte sera serviteur de celui qui prête », signale d’une manière toute générale la dépendance dans laquelle le débiteur se trouve vis-à-vis du créancier. 2 Rois 4.1 ; Amos 2.6, ch. 8, nous montrent, il est vrai, comment les choses se passaient à cet égard dans le royaume des dix tribus ; mais le premier de ces passages, qui nous raconte qu’une veuve fut une fois privée de ses deux fils par son créancier, ne nous dit nullement que ce créancier impitoyable ait eu pour lui la loi de Moïse. Et quant à Amos, il reprend très sévèrement ceux qui vendent des pauvres pour des dettes de peu d’importance. On cite encore Job 24.9 ; Néhémie 5.5 ; Ésaïe 50.1 ; Matthieu 18.25. Mais le passage de Job a uniquement en vue la dureté de cœur avec laquelle on enlève à une mère son nourrisson comme un gage de paiement.
Il ne faut pas séparer les deux versets Néhémie 5.5, 8, le dernier renfermant la plus sévère réprimande à l’adresse de ceux qui obligent les pauvres à vendre leurs enfants pour payer leurs dettes. Quant à Ésaïe 50.1 et à Matthieu 18.25, telle pouvait être la pratique sans que ce fût la loio.
o – En tout ceci, nous avons les rabbins pour nous.
Passons maintenant aux ordonnances relatives à la manière de traiter les Israélites devenus esclaves. Elles se trouvent d’une part dans Exode 21.1-11 ; Deutéronome 15.12-18, d’autre part dans Lévitique 25.39-55.
Voici ce qui résulte des deux premières :
1° Un Israélite, homme ou femme, ne peut être gardé en servitude plus de six ans (Jérémie 34.9). C’était peut-être là une ancienne coutume (Genèse 29.18) ; mais c’est avant tout une application de la grande idée sabbatique, ainsi qu’on peut s’en assurer en lisant le commencement de Deutéronome ch. 15. Après six jours de travail, — un jour de repos. Après six ans de culture, — une année de jachère. Après six ans d’esclavage, — la liberté ! Sous Sédécias l’année sabbatique fut l’occasion de la libération des esclaves Israélites (Jérémie 34.8) ; sans qu’on puisse pour cela identifier l’année sabbatique avec l’année de relâche.
2° Si l’Israélite est tombé seul en esclavage, il est seul libéré. Etait-il marié, sa femme aussi était relâchée. S’est-il marié et a-t-il eu des enfants étant esclave, sa femme et ses enfants demeurent esclaves et lui seul est libre. Tel est du moins le cas, s’il a épousé une étrangère. Si sa femme est une hébreue, elle doit servir six ans, comme son mari. Le maître doit faire des présents à l’esclave israélite qui le quitte et qui va s’établir pour son compte.
3° Si le serviteur aime son maître et ne veut pas quitter son service, il y a comparution devant les juges, pour qu’il soit bien constaté que le serviteur agit en toute liberté ; puis le maître le ramène chez lui et lui perce l’oreillep avec un poinçon contre la porte. [Ce n’est ni la porte de la ville, comme le veulent Aben Esra et Abrabanel, ni la porte du sanctuaire, comme le veut Ewald, mais celle de la maison du maître, comme cela ressort surtout de Deut. ch. 15, où il n’est pas même fait mention de la comparution devant les juges.] Pourquoi l’oreille ? Parce que c’est l’organe avec lequel on perçoit les ordres ; le sens de la cérémonie est par conséquent que le serviteur volontaire s’engage à obéir comme du passé. Elle est percée contre la porte de la maison : on s’engage à ne jamais abandonner le service de la maison à laquelle on s’est ainsi librement inféodéq. Nous ne citons pas ici Psaumes 40.7 : « Tu m’as creusé les oreilles », — parce que nous n’y voyons point une allusion à l’usage qui nous occupe. Le percement de l’oreille n’est rien en lui-même ; ce n’est que le moyen de clouer l’esclave à la porte.
p – Probablement l’oreille droite.
q – La tradition juive rapporte les derniers mots de Deutéronome 15.17, au v. 14 : « Tu donneras aussi des présents à la servante qui te quittera, « — et elle prétend que l’on ne perçait pas l’oreille des femmes. — Mais cela est bien peu naturel. Deutéronome 15.17 se rapporte évidemment aux v. 16 et 17.
[Cette cérémonie a, quoi qu’on puisse dire, quelque chose de dégradant. Les rabbins ont aussi eu cette impression, comme le montrent les interprétations allégoriques qu’ils en ont données. Ils voient dans cette opération une punition de l’oreille, car, dit Jochanan Ben Sakkaï, cette oreille a entendu descendre de Sinaï cette défense solennelle : Tu n’auras point d’autres dieux devant ma face ! et elle a accepté le joug de la chair et du sang, etc.]
L’expression, לעלם « à toujours » (Exode 21.6 ; Deutéronome 15.17) présente quelque difficulté ; non pas en elle-même, car cela veut dire évidemment : jusqu’à sa mort ; mais bien quand on se demande ce qui advenait de cet esclave volontaire, lorsqu’arrivait l’année du jubilé. [Dans Deutéronome 15.18 Moïse fait remarquer au peuple qu’il est bien juste de renvoyer un esclave au bout de 6 ans ; car, dit-il, il a travaillé le double d’un mercenaire. En effet, il a travaillé pour rien, tandis qu’un mercenaire reçoit un salaire.] Nous ne faisons ici que de signaler le problème.
4° Une loi particulière au livre de l’alliance, c’est celle de Exode 21.7-11, qui prévoit le cas où un Israélite aurait vendu sa fille à un voisin dans la pensée qu’elle deviendrait sa femme ou la femme de son fils. Si effectivement son maître l’épouse, elle demeure à jamais chez lui. S’il ne tient pas ses engagements, trois cas peuvent se présenter : a) Elle ne lui plaît pas, et alors il doit la laisser racheter par son père ou par un Israélite qui veuille l’épouser ; mais il ne peut la revendre à un étranger ; b) Il la destine à un de ses fils et il doit dès lors la considérer comme sa fille ; c) Il prend une autre femme qu’il préfère à la première, il méprise celle-ci, il ne l’entretient plus comme il s’y était engagé ; alors il doit la renvoyer sans pouvoir exiger aucun remboursement. Dans Deutéronome 15.12, c’est une tout autre affaire ; il s’agit de régler la condition d’une hébreue qui est entrée au service d’un hébreu uniquement comme servante, et sans penser à l’épouser.
Avec tout ceci, nous n’avons rien dit encore de Lév. ch. 25, qui traite des mêmes matières, mais au point de vue de l’année du jubilé :
1° Lévitique 25.39-43. Un Israélite se vend à un autre Israélite. Il ne peut pas être traité comme un esclave, mais seulement comme un journalier, tant pour ce qui est du travail qui lui est imposé, que pour les traitements en général. A l’année du jubilé, il sera renvoyé libre avec ses enfants dans son patrimoine, sans toutefois recevoir aucun présent de son maître.
2° Lévitique 25.47-55. Un Israélite se vend à un étranger établi dans le pays. Il doit également être traité uniquement comme un journalier et il peut en tout temps se racheter s’il a remonté ses affaires, — ou être racheté, si l’un de ses proches le veut bien faire. Le prix de son rachat se calcule d’après le nombre des années qu’il y a encore jusqu’à l’année du jubilé, et sur la base de ce que peut rapporter un journalier par son travail.
Or, toutes ces dispositions-là, rien n’indique comment il faut les accorder avec celles du livre de l’alliance et du Deutéronome. Ewald et beaucoup d’autres disent qu’il ne faut pas même tenter une conciliation, attendu que nous avons là des lois qui datent d’époques entièrement différentes ; on négligea de relâcher ses esclaves à la septième année, ainsi que le prescrivait le livre de l’alliance ; alors on se rabattit sur l’année du jubilé, ce qui pour les esclaves était une bien mince compensation, puisqu’il y en avait un grand nombre qui mouraient avant le retour de cette époque fortunée ; plus tard encore l’auteur du Deutéronome chercha à remettre en vigueur la loi primitive. — Mais une chose m’empêche tout d’abord d’admettre cette explication : nous verrons au § 152 que l’on ne peut raisonnablement pas attribuer à la loi du jubilé une origine postérieure à Moïse. Puis ensuite, comment expliquer une loi qui constituerait un privilège en faveur de l’Israélite en service chez un étranger, puisqu’il peut se racheter en tout temps, tandis que l’Israélite en service chez un compatriote ne pourrait parvenir à la liberté que chaque cinquantième année ? — Non, il faut absolument admettre que ces diverses lois ne se sont pas succédé, mais qu’elles se complétaient. Avec Michaélis, § 127, et Hengstenberg, je me représente, que durant les quarante-quatre premières années d’une période de jubilé, les esclaves étaient relâchés tous les six ans ; on s’en tenait uniquement en cela aux prescriptions du livre de l’alliance. Ceux au contraire qui devenaient esclaves pendant les six dernières années de la période jubilaire, étaient délivrés par le jubilé, même s’ils n’avaient pas encore fourni leur temps de servitude.
[On a proposé d’autres explications. Les rabbins ont prétendu que ces deux lois se rapportent à des personnes différentes. L’Exode aurait en vue les Israélites vendus pour vol ; le Lévitique, ceux qui se sont vendus par pauvreté. D’après Saalschutz, l’Exode parlerait d’esclaves étrangers naturalisés hébreux ou devenus hébreux en naissant de parents étrangers en esclavage chez des Israélites, et ces esclaves-là occuperaient une position intermédiaire au dessus des esclaves étrangers et au dessous des Israélites en faveur desquels est faite la loi du jubilé. Mais ces esclaves hébreux sont bel et bien des Israélites : Jérémie 34.9, son frère Juif, Deutéronome 15.12, son frère.]