Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE VIII

CHAPITRE XI
Victoire d'Abdias, le fils de Roboam, sur Jéroboam ; mort d'Abdias après un règne de trois ans, son fils Asa lui succède ; mort de Jéroboam après un règne de vingt-deux ans, son fils Nadab lui succède et meurt dans un guet-apens fomenté par Baasa.

Prédictions d’Achias à la femme de Jéroboam ; mort de son fils.

1.[1] Il ne devait pas se passer longtemps que la divinité ne fit retomber toutes ces impiétés avec le châtiment qu’elles méritaient sur la tête de Jéroboam et celle de toute sa famille. Comme il avait à ce moment-là un fils malade, appelé Obimès[2], il ordonna à sa femme de dépouiller sa robe royale, de s’habiller comme une femme du peuple et de se rendre chez le prophète Achias, car, disait-il, cet homme s’entendait merveilleusement à prédire les événements à venir et lui avait fait à lui-même des révélations touchant sa royauté. Il la priait, quand elle serait chez lui, de l’interroger, en se donnant pour une étrangère, au sujet de son fils, afin de savoir s’il se relèverait de sa maladie. La reine se travestit, ainsi que le lui avait prescrit son mari, et vint dans la ville de Silo où habitait Achias. Au moment où elle allait pénétrer dans la maison du prophète, qui avait perdu la vue par suite de son grand âge, Dieu apparut à Achias et l’instruisit à la fois de la visite de la femme de Jéroboam et des réponses qu’il fallait faire à ses questions. Quand la femme fut entrée dans sa demeure, se présentant comme une femme du commun et une étrangère, le prophète s’écria : « Entre, femme de Jéroboam. Pourquoi te déguises tu ? Tu ne peux donner le change à Dieu qui, dans une apparition, m’a prévenu de ton arrivée et m’a prescrit le langage que je devais tenir. Retourne donc chez ton mari et dis-lui que Dieu parle ainsi[3] : « Puisque je t’ai fait grand, toi qui étais petit et infime, que j’ai retranché la royauté de la race de David pour te la donner, que tu ne t’es pas souvenu de mes bienfaits et qu’ayant délaissé mon culte, tu as fabriqué et révéré des dieux de fonte, je t’abattrai de nouveau comme je t’ai élevé, je détruirai toute ta famille[4], j’en ferai la proie des chiens et des oiseaux. Car un roi sera suscité par moi sur tout le peuple, qui n’épargnera personne de la race de Jéroboam. Dans ce châtiment sera compris le peuple lui-même, qui sera chassé de ce beau pays et dispersé dans les régions de l’autre côté de l’Euphrate[5], parce qu’il s’est associé aux impiétés du roi et qu’il se prosterne devant ses dieux fabriqués par lui, après avoir abandonné mes sacrifices. Et toi, ô femme, hâte-toi d’aller annoncer ces choses à ton mari. Quant à ton fils, tu le trouveras mort : au moment même où tu entreras dans la ville, la vie l’abandonnera. Il sera enseveli parmi les pleurs de tout le peuple, qui l’honorera d’un deuil public : car il était le seul vertueux de la lignée de Jéroboam. » Quand il eut fait ces prophéties, la femme s’enfuit toute troublée ; désolée de la mort de ce fils, elle pleurait le long du chemin et se frappait la poitrine à la pensée de cette fin imminente et, désespérée d’une infortune irrémédiable, elle allait avec une hâte meurtrière pour l’enfant, — puisque plus elle se pressait, plus approchait le moment de le voir mort, — mais à quoi l’obligeait le devoir envers son mari. Quand elle arriva, elle trouva l’enfant expiré, selon ce qu’avait dit le prophète, et elle conta tout au roi.

[1] I Rois, XIV, 1. Le chapitre manque dans la plupart des mss. de la Septante.

[2] Hébreu : Abiya.

[3] Texte altéré.

[4] La Bible ne mentionne que les mâles (XIV, 10).

[5] Bible : de l’autre côté du fleuve.

Campagne de Jéroboam contre Abias ; discours d’Abias.

2.[6] Jéroboam, sans se soucier de toutes ces menaces[7], rassembla une grande armée et partit en guerre contre Abias, fils de Roboam, qui avait succédé à son père comme roi des deux tribus : il méprisait, en effet, un adversaire aussi jeune. Mais Abias, informé de l’invasion de Jéroboam, loin de s’en effrayer, montra un courage au-dessus de son âge et de l’attente de l’ennemi. Il leva une armée dans les deus tribus et vint au-devant de Jéroboam en un endroit appelé le mont Sémaron[8]. Là il établit son camp tout près de l’ennemi et fit ses préparatifs de combat. Ses forces se montaient à quatre cent mille hommes ; l’armée de Jéroboam en comptait deux fois autant. Cependant, comme les deux armées rangées face à face s’apprêtaient à l’action et aux dangers et allaient se choquer, Abias se posta debout sur un lieu élevé et, d’un signe de la main, demanda au peuple et à Jéroboam de l’écouter d’abord tranquillement. Le silence établi, il commença à parler ainsi : « Que Dieu ait octroyé pour toujours le commandement à David et à ses descendants, vous mêmes ne l’ignorez pas, mais je m’étonne de voir que, détachés de mon père, vous vous soyez donnés à un esclave comme Jéroboam, et que vous veniez ici maintenant combattre ceux à qui Dieu attribua la royauté et pour leur arracher l’empire qui leur reste : car la part la plus grande en est, contre toute justice, détenue jusque maintenant par Jéroboam. Or, je ne pense pas qu’il continue d’en jouir longtemps. Dieu, en le châtiant même pour le passé, saura mettre fin à son impiété et aux offenses qu’il n’a cessé de commettre envers lui et qu’il vous a entraînés à imiter, alors que mon père ne vous avait fait tort en rien, mais vous avait simplement froissés par des paroles prononcées dans une assemblée sous l’influence de conseillers pervers ; c’est pour cela qu’en apparence vous l’avez abandonné, lui, par colère, tandis qu’en réalité vous vous êtes détachés de Dieu et de ses lois. Pourtant il eût été juste de votre part de pardonner à un homme jeune, et inexpérimenté dans le gouvernement d’un peuple, non seulement des propos désagréables, mais même quelque acte fâcheux qu’il aurait pu commettre par l’effet de sa jeunesse et de son ignorance des affaires : vous auriez dû agir ainsi par égard pour son père Salomon et pour les bienfaits dont celui-ci vous a comblés ; car il convient que la faute des enfants soit rachetée par les mérites des pères[9]. Mais vous n’avez songé à rien de tout cela, ni naguère, ni maintenant, et vous voilà toute une grande armée marchant contre nous. Cependant, qu’est-ce qui vous donne foi en la victoire ? Sont-ce les génisses d’or et les autels établis sur les hauteurs, qui sont des preuves de votre impiété et non de votre dévotion ? Ou est-ce votre armée, supérieure en nombre à la nôtre, qui vous donne bon espoir ? Mais la force des myriades n’est rien quand une armée combat pour une cause scélérate : c’est dans la justice seule et la piété envers la divinité que peut résider l’espérance vraiment certaine de vaincre ses adversaires, et cette espérance, elle est chez nous qui avons observé dès l’origine les institutions légales et révérons notre Dieu propre, non un Dieu façonné à la main d’une matière fragile, ni inventé par un roi criminel dans le dessein de tromper le peuple, mais un Dieu qui s’est créé lui-même, et qui est le commencement et la fin de toutes choses. Je vous conjure donc, même à cette heure, de vous repentir et de suivre un plus judicieux avis en renonçant à la lutte et en vous ralliant aux institutions nationales et aux principes qui vous ont conduits à un si haut degré de prospérité. »

[6] II Chroniques, XIII, 2.

[7] Josèphe raccorde à sa façon I Rois, XIV, 1-18 avec II Chroniques, XIII.

[8] Hébreu : Cemaraïm ; LXX : Σομόρων.

[9] Le discours du roi dans les Chroniques n’invoque pas cet argument, qui est familier à la tradition rabbinique. C’est la théorie du [hébreu] du « mérite des pères ».

Défaite de Jéroboam ; mort d’Abias ; Asa lui succède.

3.[10] Ainsi parla Abias au peuple. Tandis qu’il parlait encore, Jéroboam dépêcha en secret quelques soldats qui sortirent du camp par des issues dissimulées pour aller cerner Abias. Celui-ci ainsi pris au milieu des ennemis, son armée s’effraya et perdit courage[11]. Mais Abias se mit à les exhorter et les conjura de mettre leurs espoirs en Dieu, en un Dieu qui, lui, ne se laisserait pas cerner par les ennemis. Alors tous ensemble invoquent le secours de Dieu, et les prêtres avant donné le signal en sonnant de la trompette, ils poussent des clameurs et marchent contre leurs ennemis. Dieu fit fléchir le courage de ceux-ci et brisa leur vigueur ; il donna, au contraire, l’avantage à l’armée d’Abias. Ils firent un carnage des troupes de Jéroboam tel que l’histoire n’en donnait pas de semblable ni chez les Grecs, ni chez les Barbares, et durent à Dieu une victoire étonnante et mémorable. Cinq cent mille ennemis tombèrent sous leurs coups ; ils saccagèrent leurs villes les mieux fortifiées, qu’ils enlevèrent d’assaut, Béthel et sa toparchie, et Isana[12] avec la sienne. Après cette défaite, Jéroboam ne reprit plus aucune puissance tant que vécut Abias. Mais ce dernier ne survécut que peu de temps à sa victoire ; il mourut après un règne de trois ans. On l’ensevelit à Jérusalem dans les tombeaux de ses ancêtres : il laissait vingt-deux fils et seize filles. Il avait eu tous ces enfants de quatorze femmes. Il eut pour successeur au trône son fils Asa (Asanos) ainsi que la mère du jeune homme, nommée Machéa[13]. Sous son pouvoir, le pays d’Israël[14] jouit pendant dix ans de la paix.

[10] II Chroniques, XIII, 13.

[11] Détail ajouté par Josèphe.

[12] Hébreu : Yeschana ; LXX : Ἰεσυνα (ἰεσσηνα). Outre ces deux villes, la Chronique mentionne encore Ephron.

[13] Nommée dans II Chroniques, XV, 16 ; hébreu : Maacha. (Maacha est aussi le nom de la mère d’Abiam, d’après I Rois, XV, 2.) Aucun texte ne dit qu’elle ait été associée au trône.

[14] Lapsus pour « les deux tribus ».

Mort de Jéroboam ; règne de Nadab ; Baasa l’assassine et s’empare du trône.

4.[15] Voilà ce qui nous a été transmis touchant Abias, fils de Roboam, fils de Salomon. Jéroboam, le roi des dix tribus, mourut à son tour, après vingt-deux ans de règne. Il eut pour successeur son fils Nadab(os), alors qu’Asa avait déjà régné deux ans. Le fils de Jéroboam gouverna deux ans, semblable à son père en impiété et en perversité. Pendant ces deux ans, il attaqua Gabatha[16], ville des Philistins, qu’il s’obstina à investir pour s’en emparer. Mais il mourut dans un guet-apens tendu par un de ses amis[17], nommé Basanos (Baasa), fils de Macheilos[18], qui, après l’avoir tué, s’empara de la royauté et extermina toute la famille de Jéroboam. Et il advint, conformément à la prophétie de Dieu, que, parmi les parents de Jéroboam, les uns périrent dans la ville déchirés et dévorés par les chiens, et les autres dans les champs subirent le même sort de la part des oiseaux[19]. C’est ainsi que la maison de Jéroboam reçut le juste châtiment de son impiété et de ses iniquités.

[15] I Rois, XV, 25.

[16] Hébreu : Gibetôn ; LXX : Γαβαθώ.

[17] La Bible ne le désigne pas comme tel.

[18] Texte altéré. Le nom est écrit Σειδούς dans les mss. RO, Μαχείλος dans PELat. Hébreu : Aniya ; LXX : Αχία.

[19] I Rois, IV, 29 combiné avec XIV, 10.

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