Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 7
Depuis la destruction de Jérusalem jusqu'à la fin de la guerre

CHAPITRE 10
Les sicaires en Égypte. Destruction du temple d'Onias.

Les sicaires en Égypte.

1. Après la prise de Masada, effectuée dans ces conditions, le général laissa dans la place une garnison, puis se rendit à Césarée avec ses troupes. Car il ne restait plus un ennemi dans le pays, déjà soumis tout entier par une longue guerre qui avait répandu dans beaucoup de colonies juives, même très éloignées, des rumeurs et des dangers de troubles. C'est ainsi qu'après les événements, de nombreux Juifs trouvèrent encore la mort à Alexandrie d'Égypte. Car ceux des sicaires qui purent échapper à la répression de la révolte et s'y réfugièrent, non contents de s'être sauvés, commencèrent de nouvelles menées révolutionnaires et persuadèrent à une grande partie des hôtes qui les avait accueillis de revendiquer leur indépendance, de nier que les Romains fussent supérieurs et de considérer Dieu comme leur seul maître. Quand ils virent quelques Juifs de condition élevée se dresser contre eux, ils les égorgèrent et s'attachèrent aux autres en les exhortant à se révolter. Alors les chefs du conseil[1], en présence de ces égarements des sicaires, jugèrent qu'il serait dangereux pour eux de négliger ces tentatives ; ils réunirent donc tous les Juifs en assemblée et condamnèrent la fureur désespérée des sicaires en les dénonçant comme les auteurs de tous ces troubles ; ils déclarèrent que ces hommes, n'ayant pas, même dans la fuite, l'espérance d'un salut assuré, — car reconnus par les Romains, ils seraient bientôt mis à mort — faisaient maintenant retomber tout le malheur mérité par eux sur ceux qui n'avaient participé à aucun de leurs crimes.
Ils supplièrent donc la multitude de se garder de la ruine dont ces sicaires la menaçaient, et de se justifier elle-même auprès des Romains en les leur livrant. Comprenant la grandeur du péril, les Juifs se laissèrent persuader par cet avis, et, s'élançant avec fureur contre les sicaires, ils les firent prisonniers. On en captura aussitôt six cents, et tous ceux qui s'enfuirent en Egypte et dans la ville égyptienne de Thèbes furent en peu de temps arrêtés et ramenés. Il n'y avait personne lui ne fût frappé de leur constance et de leur fureur, que l'on doit peut-être appeler force d'âme. On imagina contre eux toutes sortes de tourments et de supplices dont on accablait leur corps, à seule fin de leur faire reconnaître César pour leur maître : mais aucun ne céda ni ne parut sur le point de prononcer ces mots : tous gardèrent leur opinion élevée au-dessus de la contrainte, comme s'ils recevaient la torture et le feu sur un corps insensible, sur une âme presque joyeuse. Ce fut surtout la conduite des enfants qui étonna les spectateurs : on ne put contraindre aucun d'eux à nommer César son maître. Tant la force de l'intrépidité dominait en eux la faiblesse du corps !

[1] La Gérousia.

Destruction du temple d'Onias.

2. Lupus[2], qui était. alors gouverneur d'Alexandrie, manda aussitôt à César ce mouvement des Juifs. Celui-ci, qui se méfiait des Juifs à cause de leur continuel penchant à la révolte, craignant qu'ils ne se réunissent en corps et n'attirassent à eux quelques alliés, ordonna à Lupus de détruire dans la région dite d'Onias le temple des Juifs[3]. Celui-ci s'élève en Égypte dans une région qui a été colonisée et a reçu son nom dans les circonstances que voici. Onias, fils de Simon, un des grands-prêtres de Jérusalem, fuyant Antiochos, roi de Syrie[4], qui était alors en guerre avec les Juifs, vint à Alexandrie, où Ptolémée le reçut avec bienveillance à cause de la haine de ce roi contre Antiochos. Onias lui promit de lui procurer l'alliance du peuple juif, s'il se laissait persuader par ses paroles. Comme le roi lui promettait de faire ce qu'il pourrait, Onias lui demanda l'autorisation de construire un temple en quelque point de l'Égypte, et de servir Dieu suivant les coutumes des ancêtres ; il ajouta qu'ainsi les Juifs seraient encore plus hostiles à Antiochos, qui avait ruiné le Temple de Jérusalem, qu'ils témoigneraient au roi d'Égypte encore plus de bienveillance, et que la tolérance de leur culte en attirerait un plus grand nombre auprès de lui.

[2] Personnage inconnu.

[3] Léontopolis (Tell el Yehudiyeh), au nord-est de Memphis, où l'on a retrouvé les fondations du temple juif.

[4] Antiochos Épiphane.

3. Gagné par ces paroles, Ptolémée lui assigna un territoire situé à cent quatre vingts stades de Memphis, dans le nome dit d'Héliopolis. C'est là qu'Onias bâtit une citadelle, puis éleva un temple, non point pareil à celui de Jérusalem, et ressemblant plutôt à une tour faite de grandes pierres qui s'élevait à soixante coudées. Mais l'autel fut construit à l'image de celui de la métropole et le temple orné d'objets semblables, sauf le chandelier : à la place de celui-ci, Onias fit fabriquer une lampe d'or, répandant une lumière éclatante, qu'il suspendit à une chaîne d'or. Toute l'enceinte était fermée d'un mur de briques cuites, muni de portes de pierre. Le roi fit don à ce temple de grandes terres pour lui constituer des revenus, assurant ainsi aux prêtres une vie facile et à Dieu tout ce qu'exigeait la piété. Dans tout cela Onias n'obéissait pas à des sentiments louables ; il y avait en lui l'intention de rivaliser avec les Juifs de Jérusalem, car il leur en voulait de son exil — et il espérait crue par la construction de ce temple il y attirerait la multitude loin de la métropole. Il y avait d'ailleurs une prophétie qui remontait à six cent ans en arrière[5] et dont l'auteur, sous le nom d'Isaïe, annonçait la fondation de ce temple eu Egypte, par la main d'un Juif. C'est donc ainsi que ce temple fut construit.

[5] Isaïe, XIX, 18 ; voir Antiq., XIII, 68. On a souvent considéré ce verset d'Isaïe comme interpolé.

4. Quand Lupus, le gouverneur d'Alexandrie, eut reçu la lettre de César, il se rendit à ce sanctuaire, se fit livrer quelques-unes des offrandes et ferma le temple. Lupus mourut peu après ; Paulinus, qui lui succéda dans ce gouvernement, ne laissa en place aucun des objets du culte et menaça les prêtres de peines graves s'ils ne les lui apportaient pas tous. Il ne permit pas à ceux qui voulaient honorer Dieu d'entrer dans le temple, en ferma les portes et le rendit complètement inaccessible, de manière à ne laisser dans ce lieu aucune trace du culte divin. Depuis la fondation du temple jusqu'à sa fermeture, il s'était écoulé trois cent quarante trois ans[6].

[6] Le nombre 343, historiquement inexact, est égal à 7 × 7 × 7 : un pareil calcul, fondé sur des raisons mystiques, a pu motiver l'erreur de chronologie (R. Eisler).

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant