Les esclaves d’origine étrangère étaient, à proprement parler, les seuls vrais esclaves qu’eussent les Israélites. Ils provenaient des nations environnantes ou des étrangers domiciliés dans le pays d’Israël (Lévitique 25.44-46). Ne sont naturellement pas compris ici les Cananéens, qui sont voués à l’extermination, et non pas à la servitude seulement (Deutéronome 20.16-19). Comme il resta cependant, par suite de l’infidélité des Israélites, un assez grand nombre de Cananéens dans le pays, ils furent condamnésa à des travaux pénibles (Juges 1.28, 30), dans le genre de ceux auxquels avaient déjà été employés ces étrangers, cet amas, אספסף ou ערב (Exode 12.38), ce commun peuple (Nombres 11.4), ce ramassis, qui s’était attaché à Israël lors de la sortie d’Egypte (Deutéronome 29.10)b. En temps de guerre, quand une ville non-cananéenne se rendait volontairement, tous ses habitants étaient condamnés aux corvées ; quand elle était prise d’assaut, les hommes étaient passés au fil de l’épée, et les femmes et les enfants étaient seuls laissés en vie et réduits en esclavage (Deutéronome 20.11 ; Nombres 31.16, 26 et sq.). Il se forma ainsi en Israël une espèce d’Ilotes, dont il est surtout fait mention sous David (2 Chroniques 2.16 ; 2 Samuel 20.24)c et sous Salomon (1 Rois 9.20 ; 2 Chroniques 8.7). Cette population corvéable, employée aux travaux publics, est évaluée à 153 600 âmes dans 2 Chroniques 2.16. C’est là probablement que les particuliers trouvaient aussi leurs esclaves, car les Israélites ne paraissent point avoir tiré d’esclaves du dehors, même quand leurs relations commerciales étaient le plus florissantes. Les Israélites ont été plus passifs qu’actifs dans ce genre de commerce (Abdias 1.20 ; Joël 3.6). Au reste, la loi était bien éloignée de favoriser l’esclavage, même des païens chez les Israélites. Lisez plutôt Deutéronome 23.15 : si un esclave païen fuyant son maître, membre d’une nation voisine, se réfugiait chez les Israélites, il était défendu de le livrer à son maître ou de lui faire subir aucun mauvais traitement ; on devait au contraire lui permettre de s’établir dans telle contrée d’Israël qu’il lui plaisait de choisird. On n’a donc pas le droit de s’étonner de ce que les esclaves aient été bien moins nombreux en Israël que chez n’importe quelle nation civilisée de l’antiquité. A Athènes, dans les plus beaux temps de la république, il y avait quatre esclaves pour un homme libre. Chez les Israélites, le rapport était inverse. Parmi les exilés qui reviennent de Babylone, il n’y a que 7 337 esclaves pour 42 360 Juifse. (Esdras 2.64 ; Néhémie 7.67)
a – Quand les Israélites s’en rendaient maîtres, ce qui était loin d’arriver toujours.
b – Nous verrons plus tard se former d’une manière analogue une classe tout à fait subalterne de serviteurs du sanctuaire.
c – Voir le texte hébreu ou la trad. de Perret-Gontil (Note du T.).
d – C’est parce que la plupart des esclaves païens qui se trouvaient en Israël provenaient de cette classe corvéable formée en majeure partie des restes des Cananéens, que la Mischna appelle ordinairement les esclaves étrangers des serviteurs cananéens.
e – Il ne faut pourtant pas oublier que ce furent plutôt les Juifs pauvres et qui avaient peu d’esclaves, qui retournèrent à Jérusalem avec Esdras.
Voici maintenant ce que la loi stipule sur la position religieuse et juridique des esclaves en Israël. Ils pouvaient se faire circoncire et avoir part ainsi aux avantages religieux des Israélites. Tel était déjà l’usage du temps des patriarches (§ 82). Il n’y eut rien de changé à cet égard (Exode 12.44). Les Rabbins disent qu’on ne pouvait pas forcer un esclave à se faire circoncire, mais que s’il persistait dans son refus, au bout d’une année il pouvait être revendu, sauf dans le cas où, en entrant en service, il aurait expressément prévenu son maître qu’il se réservait une entière liberté à l’endroit de la circoncision. Une fois circoncis, l’esclave païen ne pouvait être revendu à un païen. Ce signe de l’alliance donnait à quiconque l’avait reçu, le droit de prendre part au repas pascal comme un membre de la famille, tandis que, d’après v. 45, l’étranger et le mercenaire incirconcis n’osaient point en mangerf. Admis à la célébration de la fête de Pâques, les païens circoncis l’étaient tout naturellement aussi aux repas de sacrifices (Deutéronome 12.12,18 ; 16.11,14). Ils entraient également au bénéfice du quatrième commandement, et nul n’osait troubler leur repos sabbatique (Deutéronome 5.14)g.
f – C’est ainsi que, d’après Lévitique 22.11, les esclaves d’un prêtre pouvaient goûter des aliments sacrés, comme le prêtre lui-même et toute sa famille.
g – 1 Chroniques 2.34, montre que lorsque le maître n’avait pas de descendants mâles, il pouvait donner sa fille en mariage à un esclave, qu’il considérait de ce moment comme son fils.
Quant aux femmes esclaves, une ordonnance très caractéristique par son humanité est celle que nous trouvons en Deutéronome 21.10 et sq. L’Israélite qui a fait une femme prisonnière de guerre, n’ose pas donner carrière à sa passion sans aucune forme de procès. Il doit laisser à la captive un mois de répit pour pleurer son pays et sa famille. Si plus tard elle ne lui plaît plus, il peut la renvoyer, mais non pas la vendre.
Le maître n’a aucun droit sur la vie de son esclave (Exode 21.20 et sq.). La tradition juive veut que le maître qui avait tué son esclave à coups de bâton ait été décapité. (Hottinger : Juris héb. leges, page 60.) Rien de moins vraisemblable, car il est dit simplement que l’esclave doit être vengé, et non point que le maître doit mourir de mort, selon l’expression consacrée pour désigner la peine capitale. Puis le maître n’a pas eu l’intention de tuer son serviteur ; il est seulement allé trop loin dans le châtiment qu’il lui infligeait. Ce qui est le plus probable, c’est que la punition du maître pouvait varier suivant les cas. Ce n’était que lorsqu’on avait tué son esclave de propos délibéré qu’on était puni de mort. Telle était déjà la coutume en Egypte, où la vie d’un esclave était regardée comme aussi précieuse que celle d’un homme libre (Diodore 1.77.). D’après Exode 21.21, si l’esclave survivait un jour ou deux, on n’en faisait pas vengeance, car « c’est son argent, » c’est-à-dire que le maître est assez puni par la perte de son serviteur. La tradition trouva cette loi trop douce et prescrivit la peine de mort, même quand l’esclave avait survécu un ou deux jours, — alors que le maître s’était servi pour le frapper d’un objet de forme ou de nature à donner aisément la mort. — Enfin, v. 26, quand un Israélite avait crevé un œil ou cassé une dent à son esclave en le battant, il avait à lui rendre de suite la liberté. Il y avait ainsi amende pour l’un et dédommagement pour l’autreh.
h – La loi ne statue rien sur les rapports des esclaves avec des personnes autres que leurs maîtres.
Lisez Job 31.13-15 : « Celui qui m’a fait dans le sein de ma mère, n’a-t-il pas fait aussi celui qui me sert ? » Voilà bien la pensée qui a inspiré les lois que nous venons de parcourir.
[Aristote dit : (Eth. nik. 8.13) « Il n’y a pas d’amitié à avoir pour un esclave. Un esclave, c’est un outil animé. Un outil, c’est un esclave sans âme. » Et Sénèque Epist. 5.6 : « Nous traitons nos esclaves comme des bêtes de somme. » En un autre endroit pourtant il dit : « N’oublie pas que celui que tu appelles ton esclave a la même origine que toi, jouit du même ciel, du même air ; qu’il vit comme toi et que tu mourras comme lui ! »]
Quand Salomon recommande de ne pas traiter un esclave avec trop de ménagement (Proverbes 29.19, 21), il faut voir là un conseil pédagogique analogue à ceux qu’il donne relativement aux enfants. Comparez aussi Siracide 33.25 et sq. Cependant ce n’est que chez les Esséniens et les Thérapeutes, que le Judaïsme en vint à une abolition absolue de l’esclavage.