Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 7
Depuis la destruction de Jérusalem jusqu'à la fin de la guerre

CHAPITRE 11
Sédition des sicaires à Cyrène. Conduite infâme de Catullus. Accusation contre Josèphe. Fin misérable de Catullus. Epilogue de l'histoire de la guerre des Juifs.

Sédition des sicaires à Cyrène.

1. La fureur des sicaires s'attaqua aussi comme une épidémie aux villes de la Cyrénaïque, Jonathan, le plus scélérat des hommes, tisserand de son métier, se réfugia à Cyrène ; il persuada un assez grand nombre de pauvres gens de le suivre et les emmena au désert, leur promettant de leur montrer dis signes divins et des apparitions. Son entreprise et ses fourberies restèrent généralement ignorées ; cependant les Juifs les plus distingués de Cyrène dénoncèrent à Catullus, gouverneur de la Libye pentapolitaine, l'exode et les menées de Jonathas. Le gouverneur envoya des cavaliers et des fantassins et s'empara facilement de cette troupe désarmée. La plupart furent tués, d'autres pris vivants et amenés à Catullus. Quant a l'instigateur, Jonathan, il se sauva sur l'heure, mais fut pris après des recherches actives faites dans tout le pays. Conduit devant le gouverneur, il imagina un moyen d'échapper lui-même au supplice et de fournir ainsi à Catullus l'occasion de sévir injustement, car il prétendit faussement que les Juifs les plus riches lui avaient suggéré son dessein.

Conduite infâme de Catullus.

2. Catullus accueillit avec empressement ces calomnies et enfla considérablement l'affaire, en prenant un ton tragique pour se donner l'apparence d'avoir, lui aussi, triomphé d'une guerre juive. Qui pis est, non content d'ajouter foi aux mensonges des sicaires, il en fut encore l'inspirateur ; c'est ainsi qu'il donna l'ordre à Jonathas de dénoncer un certain Juif, du nom d'Alexandre dont il était depuis longtemps l'ennemi et auquel il portait une haine ouverte ; il enveloppa dans ses accusations Bérénice, la femme d'Alexandre, les mit à mort tous deux et fit égorger après eux tous les Juifs connus par leur richesse, c'est-à-dire environ un millier d'hommes. Il croyait commettre ces crimes avec sécurité, parce qu'il confisquait leurs patrimoines au profit du fisc impérial.

Accusation contre Josèphe.

3. Pour empêcher même que des Juifs d'autres pays pussent dénoncer son injustice, il poussa plus loin le mensonge et persuada Jonathas et quelques-uns de ceux qui avaient été pris avec lui d'étendre l'accusation de révolte aux Juifs les plus considérés d'Alexandrie et de Rome. Un de ceux qui furent ainsi accusés frauduleusement était Josèphe, l'auteur de cette histoire[1].
Cependant cette machination ne réussit pas au gré des espérances de Catullus. Il vint à Rome, amenant enchaînés Jonathas et ses compagnons, pensant que l'enquête se bornerait aux fausses accusations formulées auprès de lui et par son ordre. Mais Vespasien conçut des soupçons sur l'affaire, il rechercha la vérité, reconnut l'injustice de l'accusation portée contre ces Juifs, les remit en liberté sur les instances de Titus et infligea à Jonathas la peine qu'il méritait ; il fut, en effet, torturé, puis brûlé vif.

[1] Il en parle dans sa Vie. 424.

Fin misérable de Catullus.

4. Catullus, grâce à l'humanité des empereurs, fut seulement réprimandé ; mais il devint, peu de temps après, la proie d'une maladie compliquée et incurable qui le fit mourir douloureusement. Ce n'est pas seulement dans son corps qu'il était puni, car la maladie dont souffrait son âme était encore plus atroce. En proie à des terreurs, il s'écriait souvent qu'il voyait les spectres de ceux qu'il avait tués se dresser devant lui ; incapable de réprimer ses transports, il s'élançait de sa couche comme s'il était soumis à des tortures et au supplice du feu. Le mal faisait de jour en jour des progrès ; ses entrailles rongées sortaient de son corps ; c'est ainsi qu'il mourut, donnant la preuve la plus manifeste que la Providence divine punit les méchants.

Epilogue de l'histoire de la guerre des Juifs.

5. Ici se termine cette histoire, que nous avons promis d'écrire avec une grande exactitude pour l'instruction de ceux qui veulent connaître les circonstances de cette guerre des Romains contre les Juifs. Pour le style[2], je laisse à mes lecteurs le soin de l'apprécier. Mais quant à la vérité des faits, je ne crains pas de dire avec assurance que ce fut, dans tout le cours de mon récit, le seul but où j'aie visé.

[2] Josèphe avait d'abord écrit son histoire en araméen (plus haut, I, 3) ; des collaborateurs (servi litterari) l'aidèrent à produire l'édition grecque. Thackeray a cru distinguer deux secrétaires, dont l'un imitait Thucydide, l'autre les Tragiques grecs. Voir son livre intitulé : Josephus. the Man and the Historian. New York, 1929.

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