1.[1] Achab, roi des Israélites, eut sa résidence à Samarie et garda le pouvoir pendant vingt-deux ans, sans faire autrement que les rois précédents, sinon qu’il imagina pis encore par un comble de perversité, imitant leurs forfaits et leurs offenses envers la divinité, et rivalisant surtout avec l’impiété de Jéroboam. En effet, il se prosterna devant les génisses fabriquées par ce roi, et y ajouta encore d’autres inventions extravagantes. Il prit pour femme une fille d’Ithobal[2], roi des Tyriens et des Sidoniens[3], qui avait nom Jézabel(é)[4], et qui lui apprit à adorer ses propres dieux. C’était une femme entreprenante et hardie ; elle en vint à ce degré d’insolence et de frénésie qu’elle bâtit un temple au dieu des Tyriens, qu’ils appellent Bèlos[5], et fit planter en son honneur un bois sacré[6] d’arbres de toute espèce. Elle institua, en outre, pour ce dieu des prêtres et des faux prophètes. Le roi lui-même eut dans son entourage beaucoup de ces hommes, dépassant ainsi en démence et en dépravation tous ses prédécesseurs[7].
[1] I Rois, XVI, 30.
[2] Hébreu : Ethbaal ; LXX : Ἰεθεβαάλ.
[3] Bible : roi des Sidoniens.
[4] Hébreu : Izébel.
[5] Bible : Baal.
[6] Άλσος. C’est le terme employé par les LXX pour traduire Aschera [hébreu], qui est, en réalité, un pieu sacré.
[7] Josèphe passe sous silence la reconstruction de Jéricho par Hiel (I Rois, XVI, 34). Il est à noter que la version lucienne ne connaît pas non plus ce verset.
2.[8] Un prophète[9] du Dieu suprême, de la ville de Thesbône[10] en Galaditide, vint près d’Achab et lui révéla que Dieu lui avait annoncé qu’il ne ferait pas pleuvoir durant ces années-là et n’enverrait pas de rosée sur la terre jusqu’à ce que son prophète reparût[11]. Ayant confirmé ces paroles par serment, il se retira vers le sud et établit sa demeure près d’un torrent qui lui fournissait à boire ; quant à la nourriture, chaque jour des corbeaux la lui apportaient. Mais comme le cours d’eau vint à se tarir, faute de pluie, il se rendit dans la ville de Sarephtha[12] non loin de Sidon et de Tyr, entre lesquelles elle est située : Dieu le lui ordonnait, ajoutant qu’il trouverait là une veuve qui lui donnerait à manger. Parvenu à peu de distance de la porte, il aperçoit une ouvrière occupée à recueillir du bois. Dieu lui ayant marqué que c’était cette femme qui allait le nourrir, il s’approcha d’elle, la salua et lui demanda de l’eau à boire ; puis, comme elle s’en allait, il la rappela et la pria de lui rapporter aussi du pain. La femme jura qu’elle n’avait rien chez elle qu’une poignée de farine et un peu d’huile[13] et qu’elle allait, après avoir ramassé du bois, pétrir cette farine et en faire du pain pour elle et son enfant[14] ; après quoi, ce pain épuisé, disait-elle, ils mourraient de faim, n’ayant plus aucune ressource. — « Reprends courage, dit alors le prophète, retourne chez toi et attends-toi à un sort meilleur, mais fais-moi d’abord un petit mets pour moi et apporte-le. Car je te prédis que ce vase de farine et cette fiole d’huile ne s’épuiseront jamais pour toi, jusqu’à ce que Dieu ait fait pleuvoir. » Il dit, et la femme, revenue chez elle, fit ce qui lui avait été prescrit, et elle eut de quoi manger pour elle et de quoi nourrir son enfant et le prophète ; rien ne leur fit défaut jusqu’à ce que la sécheresse eût cessé. Ce manque de pluie est aussi mentionné par Ménandre dans les Annales d’Ithobal, roi des Tyriens, en ces termes : « Une sécheresse eut lieu sous lui depuis le mois Hyperbérétaios jusqu’au mois Hyperbérétaios de l’année suivante, mais, sur ses supplications, de violents coups de tonnerre se produisirent. Ce roi fonda la ville de Botrys en Phénicie et celle d’Auza en Libye. » Tels sont les détails donnés par Ménandre sur la sécheresse qui eut lieu sous Achab, car Ithobal, roi des Tyriens, fut le contemporain de ce roi.
[8] I Rois, XVII, 1.
[9] Il est assez singulier que le nom d’Élie manque dans tout ce passage. Serait il tombé ? (il apparaît au § 4).
[10] Hébreu : le Thisbite ; LXX : Θεσβίτης ὁ ἐκ Θεσβῶν. [hébreu]
[11] Le texte paraît altéré. La Bible dit : « si ce n’est selon mes paroles ». (héb. : [hébreu] ; LXX : ὅτι εἰ μὴ διὰ στόματος λόγου μου). Peut-être faut-il lire φήσαντος au lieu de φανέντος ?
[12] Hébreu : Çarfaita ; LXX : Σαρεπτά.
[13] Ce sont les expressions des LXX (δράξ ἀλεύρου et ὀλίγον ἔλαιον).
[14] καὶ τῷ τέκνῳ, conforme à l’hébreu. Les LXX ont le pluriel τοῖς τέκνοις (I Rois, XVII, 12 et 13).
3.[15] Revenons à la femme dont nous avons parlé, celle qui nourrissait le prophète : son enfant étant tombé malade au point de perdre le souffle et de passer pour mort, elle gémissait, se déchirait la poitrine de ses mains, poussant des plaintes que lui inspirait sa douleur ; elle accusait le prophète d’être venu chez elle pour dénoncer ses péchés et d’avoir causé ainsi la mort de l’enfant. Mais lui l’invita à reprendre courage et à lui confier son fils, à qui il rendrait la vie. Elle lui livra donc le corps et il l’emporta dans la cellule où il habitait, l’étendit sur le lit et éleva sa voix vers Dieu, lui reprochant d’avoir mal récompensé celle qui l’avait accueilli et nourri, puisqu’il lui enlevait son fils ; il le supplia de faire rentrer l’âme dans le corps de l’enfant et de lui rendre la vie. Dieu prit en pitié la mère et consentit à épargner au prophète la honte de sembler être venu chez elle pour son malheur : contre toute attente l’enfant revécut. La femme remercia le prophète et déclara qu’elle voyait clairement à présent que la divinité conversait bien avec lui.
[15] I Rois, XVII, 17.
4.[16] A quelque temps de là, il va trouver le roi Achab, selon la volonté de Dieu, pour lui annoncer la pluie prochaine. La famine sévissait alors dans tout le pays avec une complète pénurie des vivres nécessaires : non seulement les hommes manquaient de pain[17], mais le sol, privé de pluie, ne pouvait même fournir la pâture nécessaire aux chevaux et autres bêtes de somme. Aussi le roi, ayant appelé Obédias[18], l’intendant de ses biens[19], lui dit qu’il voulait s’en aller vers les sources des fleuves et les torrents[20], afin de récolter l’herbe qui pourrait s’y trouver pour en nourrir le bétail ; il ajouta qu’il avait envoyé par toute la terre à la recherche du prophète Élie[21] sans le découvrir. Et il ordonna à Obédias de l’accompagner. Ayant décidé le départ, Obédias et le roi se partagèrent les pistes à suivre et s’en furent chacun de son côté. Or, dans le même temps où la reine Jézabel faisait massacrer les prophètes, Obédias en avait caché cent dans les cavernes souterraines et les nourrissait en leur procurant seulement du pain et de l’eau. Obédias s’était séparé du roi quand il rencontra le prophète Élie : il lui demanda qui il était[22] et, renseigné, s’inclina devant le prophète. Élie lui commanda alors d’aller auprès du roi et de lui annoncer qu’il était présent. Mais Obédias lui demanda : « Quel mal t’ai-je fait pour m’envoyer vers celui qui cherche à te tuer et fouille dans cette intention toute la terre ? Ignores-tu qu’il a dépêché en tout lieu des hommes chargés, s’ils te saisissaient, de te conduire à la mort ? — J’appréhende, d’autre part, ajouta-t-il, que, Dieu t’apparaissant à nouveau, tu t’en ailles en un autre endroit, et qu’alors, le roi m’envoyant te chercher et n’ayant pu te trouver nulle part, je paie de ma mort sa déconvenue. » Il supplie donc le prophète de prendre souci de sa sécurité, lui révèle le zèle dont il a fait preuve au profit de ses confrères, comment il avait sauvé cent prophètes, tous les autres ayant été immolés par Jézabel, et qu’il les tenait cachés et les nourrissait. Mais Élie l’invite à aller sans crainte trouver le roi et lui garantit sous serment qu’il se montrera le jour même à Achab.
[16] I Rois, XVIII, 1.
[17] Nous lisons άρτων avec les mss. ROM et Naber (αὐτῶν Niese).
[18] Hébreu : Obadya ; LXX : Ἀβδιού.
[19] La Bible en fait le commandant du palais.
[20] Πηγὰς τῶν ὑδάτων καὶ τοὺς χειμάρρους ; mêmes expressions que chez les LXX (I Rois, XVIII, 1).
[21] Voilà enfin Élie nommé. Hébreu : Eliyahou ; LXX : Ήλιού (L : Ἡλιές).
[22] Détail malencontreux ajouté par Josèphe. Dans l’Écriture, Obadya reconnaît immédiatement le prophète.
5.[23] Alors Obédias se décide à annoncer à Achab le retour d’Élie. Le roi alla à sa rencontre et lui demanda avec colère s’il était bien celui qui avait fait tant de mal au peuple hébreu et causé la stérilité. Élie, incapable de flatter le roi, répond que c’est lui, Achab, qui est responsable de tous ces malheurs, lui et sa famille, parce qu’ils ont introduit dans le pays des dieux étrangers et les adorent, au mépris de leur Dieu national, le seul véridique, et sans plus se soucier de celui-ci. Quant à présent, il l’invitait, dès son retour, à réunir autour de lui tout le peuple sur le mont Carmel, ainsi que ses prophètes et ceux de sa femme, dont il indiqua le nombre[24], et les prophètes des bocages sacrés, au nombre d’environ quatre cents. Quand ils furent tous accourus sur ladite montagne, mandés par Achab, le prophète Élie, se dressant au milieu d’eux, leur demanda jusqu’à quand ils vivraient ainsi flottant dans leur sentiment et leurs opinions. En effet, s’ils tenaient que le Dieu de leur pays était le vrai et l’unique, il fallait lui obéir et suivre ses commandements ; que s’ils ne faisaient aucun cas de lui et jugeaient qu’il fallait adorer des dieux étrangers, ils n’avaient qu’à s’attacher à ceux-ci. Le peuple n’ayant rien répondu à ces paroles, Élie voulut éprouver la puissance des dieux étrangers et celle de son Dieu dont il était là le seul prophète, tandis que les autres étaient quatre cents : il demanda qu’on lui permit de prendre une génisse et, une fois immolée, de la placer sur le bûcher sans allumer de feu par-dessous ; les autres feraient de même et supplieraient leurs dieux de consumer les bois ; ainsi ils connaîtraient la véritable nature de Dieu. Cette proposition agréée, Élie invita les prophètes à faire leur choix les premiers, à immoler la génisse et à invoquer leurs dieux. Comme rien ne se produisit après ce sacrifice, en dépit de leurs prières et de leurs invocations, Élie, en raillant, les exhorta à appeler leurs dieux à grands cris, car, sans doute, ils étaient en voyage[25] ou endormis. En vain ils continuèrent leurs invocations de l’aube jusqu’à midi, se tailladant avec leurs glaives et leurs lances, selon la coutume de leur pays. Alors, Élie, voulant à son tour effectuer son sacrifice, pria les faux prophètes de reculer, le reste du peuple de s’avancer près de lui pour bien veiller à ce qu’il ne mit pas le feu aux bois à la dérobée[26]. La foule s’étant approchée, il prit douze pierres, selon le nombre des tribus du peuple hébreu, et en dressa un autel de sacrifice, autour duquel il creusa un fossé très profond. Puis il posa les bûches sur l’autel et les chairs au-dessus, et commanda qu’on remplit quatre cruches d’eau à la fontaine et qu’on les versât sur l’autel de façon à faire déborder le liquide et à remplir tout le fossé comme avec une source jaillissante[27]. Cela fait, il commença de prier Dieu, le suppliant de manifester sa puissance au peuple depuis si longtemps égaré. Pendant qu’il parlait, soudain une flamme s’abattit du ciel aux yeux du peuple et dévora la victime ; l’eau même s’évapora et tout l’endroit resta à sec.
[23] I Rois, XVIII, 16.
[24] 450 d’après la Bible (I Rois, XVIII, 19).
[25] Ἀποδημεϊν. Conforme à l’hébreu [hébreu] (I Rois, XVIII, 27). Les LXX n’ont pas traduit ces mots.
[26] Détail ajouté à la Bible.
[27] Nous lisons avec Niese ὡς πηγῆς ἀναδοθείσης.
6.[28] À ce spectacle, les Israélites se jetèrent à terre et adorèrent le Dieu un, l’appelant le plus grand et le seul véritable, traitant les autres de vains noms forgés par une croyance grossière et insensée. Puis ils se saisissent des prophètes de ces faux dieux et les mettent à mort sur l’exhortation d’Élie. Et celui-ci dit au roi d’aller prendre son repas, sans autre souci, car bientôt il verrait Dieu envoyer la pluie. Alors Achab se retira ; Élie monta au sommet du mont Carmel, s’assit sur le sol, appuya sa tête contre ses genoux et pria son serviteur de monter ; sur un poste de guette d’où ses regards porteraient sur la mer, et, dès qu’il verrait un nuage se former quelque part, de le prévenir, car jusque-là le ciel était resté serein. Le serviteur fit la course à plusieurs reprises et chaque fois dit ne rien voir ; à son septième voyage, il déclara apercevoir un point noir dans l’air, pas plus grand que la trace du pied d’un homme[29]. A cette nouvelle, Élie envoie un messager à Achab pour lui conseiller de rentrer à la ville avant que n’éclate l’averse. Achab arrive dans la ville de Yesrael, et peu après, le ciel s’obscurcit et se couvre de nuages, un vent violent survient avec une pluie abondante. Et le prophète, animé de l’esprit de Dieu, courut avec le char du roi jusqu’à la ville de Yesrael[30].
[28] I Rois, XVIII, 39.
[29] Ἰχνους ἀνθρωπίνου. Cf. LXX : ὡς ἴχνος ἀνδρός. L’hébreu a [hébreu] : « comme une paume d’homme ».
[30] Ἰεσραήλας Ἰζάρου. C’est un doublet du nom de la ville de Yizréel. La forme Ἰζάρου se retrouve seule (plus bas au § 8). Il n’y a pas lieu de corriger Ἰζαρου en Ἰσαχάρου (Cocceius).
7.[31] Quand la femme d’Achab, Jézabel, apprit les miracles accomplis par Élie et le massacre de ses prophètes, furieuse, elle lui dépêcha ses messagers, avec menace de le faire périr comme il avait fait périr ses prophètes. Effrayé, Élie s’enfuit dans la ville appelée Bersoubée[32], qui est à l’extrémité du territoire occupé par la tribu de Juda, près du pays des Iduméens ; ayant laissé là son serviteur, il se retira dans le désert. Après avoir, dans des prières, demandé la mort, — car il n’était pas meilleur que ses pères pour tenir si fort à la vie, eux morts, — il s’endormit au pied d’un arbre[33]. Quelque bruit le réveille : il se lève et trouve près de lui de la nourriture et de l’eau[34]. Il mange et, avant repris des forces grâce à ce repas, parvient au mont appelé Sinaï[35], où l’on dit que Moise reçut les lois de Dieu. Là il trouve une caverne profonde ; il y pénètre et y établit son séjour. Comme une voix mystérieuse lui demandait pourquoi il était venu là, désertant la ville, il répondit que c’était parce qu’il avait tué les prophètes des dieux étrangers et persuadé au peuple qu’il n’y avait qu’un seul Dieu, celui qu’ils avaient adoré dès le commencement ; c’est pour expier cet acte qu’il était recherché par l’épouse du roi. De nouveau la voix s’élève et lui dit de sortir le lendemain à la lumière : il lui serait révélé alors ce qu’il avait à faire. Le jour venu, il sort de la caverne, entend trembler la terre et voit une raie de feu brillante[36]. Puis le silence s’établit et une voix divine l’exhorte à ne pas s’inquiéter de ce qui s’était passé, car nul de ses ennemis ne triompherait de lui, lui ordonne de rentrer dans son pays et de désigner, comme roi des Hébreux, Jéhu (Yéous), fils de Némessaeos[37] et, comme roi des Syriens, Azaèl(os) de Damas, enfin de se choisir comme successeur à lui même Élisée (Elissaeos)[38] de la ville d’Abéla[39] : le peuple impie serait anéanti, partie par Azael, partie par Jéhu. Élie, ayant entendu ces paroles, retourne au pays des Hébreux et, ayant surpris Élisée, fils de Saphat(os), en train de labourer avec quelques autres qui poussaient douze attelages, il s’approcha et lança sur lui son manteau. Aussitôt Élisée se mit à prophétiser et, laissant ses bœufs, suivit Élie. Cependant il lui demanda la permission d’embrasser ses parents et, comme Élie la lui accorda, il prit congé d’eux[40] et s’en alla ensuite avec lui, et, durant toute la vie d’Élie, il fut son disciple et son serviteur.
[31] I Rois, XIX, 1.
[32] Hébreu : Beer Schéba ; LXX : Βερσαβεέ.
[33] L’hébreu a [hébreu] qu’on traduit habituellement « sous un genièvre ». Les LXX, embarrassés, ont reproduit l’hébreu : ὑποκάτω Ραθμέν (ou Ραθαμειν).
[34] Josèphe rationalise et ne mentionne pas expressément l’ange du récit biblique.
[35] Horeb dans la Bible. La Bible fait marcher Élie quarante jours et quarante nuits (I Rois, XIX, 8).
[36] Remarquer avec quelle platitude Josèphe écourte ici le magnifique récit de la Bible (XIX, 11-13).
[37] Hébreu : Yèhou, fils de Nimschi ; LXX : Ἰοὺ υ. Ναμεσσί.
[38] Hébreu : Elischa ; LXX : Ἐλισσαιά.
[39] Hébreu : Abul Mehola ; pour les LXX, la mention de la ville manque, sauf dans l’Alexandrinus (Άβελμαού ; L. : Αβελμεουλ).
[40] Ajouté par Josèphe.
8.[41] Tels furent les actes de ce prophète. Cependant, il y avait un certain Naboth (Nabouthos[42]) dans la ville d’Izaros[43], qui possédait un champ dans le voisinage du roi. Celui-ci lui demanda de lui vendre, au prix qu’il voudrait, son champ qui était proche des siens, car il désirait les joindre et n’en faire qu’un seul domaine ; que s’il ne voulait pas d’argent, il lui serait loisible de choisir en échange un des champs du roi. Naboth répondit qu’il n’en ferait rien et qu’il entendait cueillir lui-même les fruits de sa terre, celle qu’il avait héritée de son père. Tourmenté comme d’une offense de n’avoir pu s’emparer du patrimoine d’autrui, le roi s’abstint du bain et du repas. Comme Jézabel, sa femme, lui demandait le motif de son chagrin, pourquoi il refusait de se baigner, ne déjeunait ni ne dînait, il lui raconta la stupidité de Naboth, et comment, encore qu’il eût usé envers lui de paroles plus conciliantes et plus humbles qu’il ne convient à la puissance royale, il avait eu la mortification de se voir refuser l’objet de ses désirs. Jézabel l’exhorta à ne pas se montrer pusillanime en l’occurrence, à bannir son chagrin et à reprendre soin de son corps comme à l’ordinaire ; elle se chargeait, pour sa part, du châtiment de Naboth. Aussitôt elle envoie des lettres aux notables Israélites au nom d’Achab, les priant d’ordonner un jeûne et de faire une assemblée où s’assoirait au premier rang Naboth, qui était d’une famille illustre ; trois[44] hommes sans scrupules, subornés par eux, viendraient témoigner contre lui qu’il avait blasphémé Dieu et le roi ; alors on le lapiderait et on s’en déferait ainsi. Naboth, convaincu, suivant l’ordre de la reine, d’avoir blasphémé Dieu et Achab, mourut lapidé par la foule. Jézabel, à cette nouvelle, entre chez le roi et l’invite à prendre possession, sans bourse délier, de la vigne de Naboth. Achab se réjouit[45] de cette bonne fortune ; il saute hors du lit et court voir la vigne de Naboth. Mais Dieu, courroucé, envoie le prophète Élie dans le champ de Naboth pour rencontrer Achab et l’interroger pourquoi, après avoir tué le légitime propriétaire du champ, il s’en était constitué injustement l’héritier. Quand il parut devant Achab, le roi lui dit qu’il pouvait prononcer sur lui comme il l’entendrait[46], car il avait honte d’être surpris par lui en faute. Alors Élie lui prédit que, dans le même lieu où le cadavre de Naboth a été dévoré par les chiens, son sang et celui de sa femme sera répandu, et toute sa famille périra, pour avoir osé de telles iniquités et fait périr un citoyen iniquement, contrairement aux lois de sa patrie. Achab, pénétré de douleur et de remords pour son crime, revêtit un cilice et s’en alla pieds nus, sans toucher aucune nourriture, confessant hautement ses péchés, dans l’espoir d’apaiser Dieu. Dieu dit alors au prophète que, tant qu’Achab vivrait, il ajournerait le châtiment de sa race en considération de son repentir, mais qu’il accomplirait sa menace sur le fils d’Achab. Et le prophète en informa le roi.
[41] I Rois, XXI, 1 ; Josèphe intervertit, comme les LXX, l’ordre des chapitres XX et XXI et place l’épisode de Naboth avant la guerre avec Ben Hadad.
[42] Hébreu : Naboth ; LXX : Ναβουθαί.
[43] Hébreu : le Yezreélite ; cf. supra, § 346.
[44] Bible : deux hommes.
[45] Ἥσθη. L’hébreu ne dit pas expressément qu’Achab se soit réjoui, mais seulement qu’il se leva pour descendre dans la vigne de Naboth (I Rois, XXI, 16). Les LXX disent, au contraire, anticipant sur le verset 21, qu’Achab déchire ses vêtements et met un cilice.
[46] Invention de Josèphe.