1.[1] Pendant que ces événements se passaient pour Achab, à la même époque, le fils d’Adad[2], roi des Syriens et de Damas, ayant rassemblé des troupes de tout son pays et fait alliance avec trente-deux rois de la Trans-Euphratène, marche contre Achab. Celui-ci, ne pouvant se mesurer avec une telle armée, n’accepta pas le combat, mais enferma dans les villes les plus fortes toutes les richesses du pays ; lui-même resta à Samarie, qui était environnée de remparts très puissants, et de toute façon paraissait inexpugnable. Le Syrien, ramassant ses forces, marche sur Samarie, fait camper l’armée aux alentours, et en entreprend le siège. Puis, il envoie un héraut à Achab lui demander de recevoir ses ambassadeurs qui lui expliqueront son désir. Le roi des Israélites y avant consenti, les ambassadeurs arrivèrent et déclarèrent, selon les instructions de leur roi, que les trésors d’Achab, ses enfants et ses femmes[3] appartenaient à Adad. Que si Achab en tombait d’accord et lui permettait d’y prendre tout ce qu’il voudrait, le roi emmènerait son armée et lèverait le siège de la ville. Achab ordonna aux ambassadeurs de retourner dire à leur maître qu’il lui appartenait lui avec tous les siens. Ce message accompli, le roi envoie à nouveau demander à Achab, puisqu’il avait reconnu que tous ses biens lui appartenaient, de recevoir les esclaves qu’il allait lui envoyer le lendemain, avec mandat de fouiller le palais royal et les maisons de ses amis et de ses parents ; il invitait Achab à leur livrer tout ce qu’ils y trouveraient de plus beau : « Ce qui ne leur plaira pas, dit-il, ils te le laisseront. » Irrité de ce second message du roi des Syriens, Achab réunit le peuple en assemblée et déclara qu’il avait été prêt, quant à lui, pour acheter leur sécurité et la paix, à livrer à l’ennemi ses propres femmes et ses enfants et à faite abandon de tout ce qu’il possédait : c’était ce qu’exigeait la première ambassade du Syrien. « Mais, aujourd’hui, il demande à envoyer ses esclaves, à fouiller les maisons de tout le monde et à n’y rien laisser des plus belles choses ; c’est chercher un prétexte de guerre, car il sait qu’en votre faveur, je n’épargnerais rien de ce qui m’appartient, et c’est en vous molestant vous-mêmes qu’il s’applique à provoquer une guerre. Mais je ferai ce que vous déciderez vous-mêmes. » Le peuple déclara qu’il ne fallait point écouter de pareilles paroles, mais les mépriser et se tenir prêt à la guerre. Achab pria donc les messagers de dire à leur retour qu’il continuait à acquiescer aux premières exigences du roi, dans l’intérêt de la sécurité des habitants de la ville, mais qu’il repoussait sa deuxième sommation, et il les congédia.
[1] I Rois, XX, 1.
[2] Hébreu : Ben Hadad ; LXX : υἱὸς Άδερ.
[3] Conforme au texte hébreu, qu’on a voulu corriger pour mieux opposer les deux messages successifs du Syrien.
2.[4] Fort irrité de celte réponse. Adad envoie pour la troisième fois ses messagers à Achab et le menace de faire élever par son armée un terrassement plus haut que ces remparts dont il est si fier ; il suffirait pour cela que chacun de ses soldats prit une poignée de terre[5] ; il marquait ainsi l’énormité de ses forces, pensant frapper Achab de terreur. Achab répondit qu’il ne fallait pas se vanter pendant qu’on ceignait ses armes, mais après la victoire[6], et les messagers retournèrent signifier cette réponse à leur roi, qu’ils trouvèrent à table avec les trente-deux rois ses alliés. Celui-ci ordonna incontinent d’entourer la ville d’une circonvallation, de dresser des terrassements et de ne négliger aucune méthode de siège. Devant ces opérations, Achab se trouvait dans une terrible anxiété avec tout le peuple. Mais il fut rassuré et soulagé de ses craintes par un prophète qui vint le trouver et lui déclara que Dieu promettait de livrer entre ses mains toutes ces myriades d’ennemis. Comme il demandait à qui serait due la victoire : « Aux fils de tes capitaines, répondit-il, sous ta propre conduite, vu l’impéritie de tes adversaires[7]. » Il réunit alors les fils des capitaines, qui se trouvèrent au nombre de deux cent trente-deux environ et, sachant le Syrien en train de festoyer et de se délasser, il ouvre les portes et fait sortir les enfants. Cependant, les sentinelles les ayant signalés à Adad, celui-ci envoie quelques hommes à leur rencontre et leur commande, si ces hommes venaient pour se battre, de les lui amener ligotés, et s’ils avaient des intentions pacifiques, de faire de même. Mais Achab tenait prêt tout le reste de l’armée en dedans des remparts. D’abord les fils des capitaines chargent les gardes, en tuent un grand nombre et poursuivent les autres jusqu’au camp ennemi. Témoin de leur succès, le roi des Israélites fait alors sortir tout le reste de l’armée. Celle-ci, tombant à l’improviste sur les Syriens, les écrase : en effet, ils s’attendaient si peu à cette sortie, que le choc fut reçu par des hommes désarmés et en état d’ivresse, si bien qu’en s’enfuyant des campements, ils abandonnèrent leurs armures complètes et que le roi eut peine à se sauver à cheval. Achab chemina longtemps à la poursuite des Syriens, les taillant en pièces. Après avoir pillé leur camp retranché, qui n’était pas médiocrement riche, mais renfermait quantité d’or et d’argent, il s’empara des chars et des chevaux d’Adad et s’en retourna dans la ville. Cependant le prophète lui recommanda de se préparer et de tenir ses forces prêtes parce que, l’année suivante, le Syrien entreprendrait une nouvelle campagne contre lui. Et Achab suivit cet avis.
[4] I Rois, XX, 10.
[5] Josèphe paraphrase à sa façon le verset d’ailleurs obscur de I Rois, XX, 10. L’hébreu dit : « ... si la poussière de Samarie suffit aux poignées de tout le peuple qui me suit. » Les LXX ont : εἰ ἐπποιήσει ὁ χοῦς Σαμαρείας ταῖς ἀλώπεξι « Si la poussière de Samarie suffit aux renards [hébreu] a été lu [hébreu] ». Certains mss. ont cependant ταῖς δραξί (L, Parisinus, 92 Holmes). Josèphe atteste ici l’ancienneté de la lecture [hébreu].
[6] L’hébreu dit (v. 11) : Ne s’enorgueillisse point celui qui ceint (l’armure) comme celui qui la délie [hébreu]. Les LXX ont : ... ὁ κυρτὸς ὡς ὁ ὀρθὸς « le bossu comme le droit ».
[7] Le mot hébreu paraît plutôt signifier les écuyers des capitaines.
3.[8] Adad, échappé au désastre avec tout ce qu’il put sauver de l’armée, se concerta avec ses amis pour savoir comment s’y prendre contre les Israélites. Ses amis furent d’avis de ne pas s’attaquer à eux dans les montagnes, car leur Dieu était puissant en ces endroits, et c’est ce qui expliquait la défaite actuelle : nous triompherons, disaient-ils, si nous livrons bataille en plaine. Ils lui conseillaient, en outre, de renvoyer chez eux les rois qu’il avait emmenés comme alliés, mais de garder leurs contingents, en établissant des satrapes à leur place et, pour reformer les rangs de ceux qui avaient péri, de recruter des forces dans leur pays ainsi que des chevaux et des chars. Le roi, ayant jugé ces avis excellents, organisa son armée de la sorte.
[8] I Rois, XX, 23.
4.[9] Au commencement du printemps, Adad rassembla son armée et marcha contre les Hébreux ; arrivé près d’une ville qu’on appelle Aphéka, il établit son camp dans une vaste plaine. Achab vint à sa rencontre avec ses troupes et posta son camp en face de lui ; ses forces étaient bien peu nombreuses, comparées aux ennemis. Cependant, le prophète vint le trouver de nouveau et lui déclara que Dieu lui donnerait la victoire, afin de témoigner que sa puissance n’était pas bornée aux montagnes, mais s’étendait également aux plaines, contrairement à ce que croient les Syriens. Les deux armées restèrent campées en face l’une de l’autre pendant sept jours sans bouger ; mais le dernier jour, comme les ennemis s’étaient avancés dès l’aube hors de leur camp et se déployaient en bataille, Achab à son tour fit sortir ses troupes. On en vint aux mains ; et, après un combat acharné, Achab met les ennemis en fuite et les poursuit en les taillant en pièces. Beaucoup périrent aussi sous les chars ou frappés les uns par les autres, quelques-uns réussirent à se réfugier dans leur ville d’Aphéka. Mais ceux-là aussi périrent, au nombre de vingt-sept mille, les remparts s’étant écroulés sur eux. Il périt dans cette bataille cent mille hommes en outre de ceux-là. Le roi des Syriens, Adad, fuyant avec les plus dévoués de ses serviteurs, se cacha dans le souterrain d’une maison. Ses compagnons lui ayant dit que les rois des Israélites étaient généreux et cléments et qu’ils pourraient, en recourant au mode habituel de supplication, obtenir pour lui d’Achab la vie sauve, s’il leur permettait d’aller trouver celui-ci, il y consentit. Alors, revêtus de cilices et la tête entourée de cordes, c’est dans cet accoutrement qu’anciennement les Syriens suppliaient, ils se présentèrent chez Achab et exprimèrent le souhait qu’il laissât la vie à Adad, que ce bienfait rendrait pour toujours son esclave. Achab répondit qu’il se réjouissait qu’Adad eût survécu et n’eut éprouvé aucun mal dans la bataille et lui promit les égards et les bontés qu’on a pour un frère. Ayant reçu le serment qu’il ne ferait aucun mal à Adad s’il apparaissait, ils vont le tirer de la maison où il était caché et l’amènent à Achab, qui était assis sur son char. Et Adad se prosterna devant lui. Alors Achab, lui tendant la main droite, le fait monter sur son char, l’embrasse, le rassure et l’exhorte à ne rien craindre. Adad le remercie et s’engage à se souvenir de ce bienfait toute sa vie. Il promit de restituer les villes des Israélites dont les rois ses prédécesseurs s’étaient emparés et d’ouvrir Damas de façon à permettre aux Israélites de s’y installer, ainsi que ses pères en avaient le droit à Samarie. Après échange de serments et de conventions, Achab le renvoya comblé de présents dans son royaume. Ainsi prit fin la campagne d’Adad, roi des Syriens, contre Achab et les Israélites.
[9] I Rois, XX, 26.
5.[10] Cependant un prophète, nommé Michéas[11], s’approchant d’un Israélite, le pria de le frapper à la tête : il se conformerait ainsi à la volonté de Dieu. L’homme ayant refusé, il lui prédit que, pour avoir contrevenu aux prescriptions divines, il rencontrerait un lion qui le tuerait. Et ainsi il advint. Ensuite le prophète aborde un second homme et lui intime le même ordre. L’homme le frappe et lui fend le crâne. Le prophète, la tête bandée, s’approche du roi, lui raconte qu’il avait fait la campagne et avait reçu un prisonnier en garde des mains du capitaine, mais l’homme s’étant échappé, il craignait d’être mis à mort par le chef qui le lui avait confié : celui-ci l’avait, en effet, menacé de mort en pareil cas. Alors, comme Achab affirmait qu’il méritait, en effet, de mourir, il découvre sa tête et le roi reconnaît le prophète Michéas. S’il s’était servi d’un pareil subterfuge, c’était pour arriver à lui tenir le langage suivant : « Puisque tu as, lui dit-il, laissé impuni cet Adad, qui a proféré des blasphèmes contre lui, Dieu te poursuivra et te fera périr, toi de la main d’Adad et ton peuple par son armée. » Achab, irrité contre le prophète, le fit enfermer et surveiller[12], mais il s’en retourna chez lui troublé[13] par les paroles de Michéas.
[10] I Rois, XX, 35.
[11] La Bible ne le nomme pas. Josèphe identifie ce prophète avec le Michée dont il est question un peu plus loin (I Rois, XXII, 8).
[12] Ajouté à la Bible d’après I Rois, XXII, 26, conformément à la combinaison faite précédemment entre le passage sur le prophète anonyme et l’histoire du prophète Michée, fils de Yimla.
[13] Συγκεχυμένος. Le même mot se lit dans le grec de I Rois, XX, 43 avec ἐκλελυμένος (L : πλοίων) traduisant [hébreu].