Aussitôt qu'il eut été placé sur le trône Épiscopal, le Gouverneur de la Province investit l'Église avec une troupe de Juifs, et de Païens, et menaça Pierre de l'en chasser, s'il n'en sortait volontairement. Il persécutait de la sorte ceux qui croient d'un autre sentiment que l'Empereur, à dessein en apparence de lui faire sa Cour, mais en effet de contenter sa passion, car il était fort attaché au culte des Idoles, et se réjouissait fort des disgrâces des Chrétiens. Pierre ayant vu cette guerre qu'on lui avait suscitée si inopinément, sortit secrètement d'Alexandrie, monta sur un vaisseau, et alla à Rome. Quelques jours après Euzoïus arriva d'Antioche à Alexandrie, et mit en possession des Églises Lucius, qui comme nous l'avons vu, avait donné dans Samosate tant de preuves de son injustice, et de son impiété. Lorsque le peuple qui avait été nourri de la saine doctrine d'Athanase, s'aperçut qu'on lui présentait des aliments différents, il s'abstint des assemblées. Lucius étant entouré d'une troupe de Païens qui lui servaient comme de gardes, fit battre quelques-uns des Catholiques, fit mettre les autres en prison, en contraignit d'autres de s'enfuir, et pilla les maisons des autres. J'insérerai ici une lettre de Pierre, où il décrit toutes ces violences beaucoup mieux que je ne pourrais faire, mais il faut que je rapporte auparavant un événement singulier.
Il y a en Égypte des hommes qui se sont éloignés du bruit des villes, pour mener dans le désert une vie d'Anges, et qui parmi les sablons les plus stériles produisent les fruits de leurs bonnes œuvres. Antoine a été un des plus célèbres Instituteurs de cette manière de vivre ; mais depuis qu'il fut heureusement arrivé au port de l'immortalité, l'impie Lucius déclara la guerre aux imitateurs de sa vertu, au célèbre Macaire, à un autre du même nom, à Isidore, et à quelques autres, les retira de leurs cellules, et les envoya à une ile, dont les habitants n'avaient jamais reçu aucune teinture de la piété. Dès que leur vaisseau approcha de la côte, le démon qui y était adoré, quitta l'Idole où il faisait sa demeure, pour entrer dans le corps de la fille du Prêtre, et l'ayant agitée avec violence, il la traîna sur le rivage, et lui fit dire quelque chose de fort semblable, à ce que cette fille remplie d'un esprit de Python, dit autrefois dans la ville de Philippe.
O serviteurs de Dieu, s'écria-t-elle, que votre puissance est terrible ! Il n'y a point de lieu où vous ne nous poursuiviez. Vous nous avez chassés des montagnes, des collines, et des déserts. Nous espérions que dans cette île abandonnée, nous serions à couvert de vos traits, mais notre espérance était vaine. Vos persécuteurs vous ont envoyés ici pour nous chasser, plutôt que pour vous faire aucun déplaisir. Nous nous retirons, car nous ne saurions supporter l'éclat de votre vertu.
Les démons ayant parlé de la sorte par la bouche de cette fille, ils la jetèrent à terre, et se retirèrent. Les saints Solitaires s'étant mis en prières, la relevèrent, et la rendirent à son père, saine de corps, et d'esprit. Ceux qui furent témoins de ce miracle, se jetèrent à leurs pieds, et les supplièrent de leur montrer le chemin du salut. Ils démolirent eux-mêmes le Temple du démon qu'ils avaient adoré, reçurent la doctrine de la foi, et le Sacrement de Baptême. Lorsque la nouvelle d'un si merveilleux événement eut été portée à Alexandrie, tout le monde s'assembla, et se souleva contre Lucius, en criant que Dieu donnerait des marques de sa colère, si l'on continuait à persécuter les Saints.
Lucius consentit que les Solitaires retournassent à leurs Cellules, par l'appréhension que le peuple n'excitât une sédition. Ce récit pourrait suffire pour faire voir sa malice ; mais la lettre de Pierre représentera ses autres crimes. Je n'en mettrai ici que le milieu., de peur qu'elle ne paraisse trop longue.