(28 août)
I. Augustin, illustre docteur de l’Église, naquit dans la ville de Carthage, en Afrique, de parents nobles. Son père s’appelait Patrice, sa mère Monique. Il fut suffisamment instruit dans les arts libéraux, dès sa jeunesse, pour mériter d’être considéré comme un philosophe éminent et un remarquable rhéteur. Il lut et approfondit l’œuvre d’Aristote et tous les autres livres qu’on pouvait lire alors. Et il nous dit lui-même dans ses Confessions : « Tous les livres qu’on appelle libéraux, je les ai lus, étant, à cette époque, le misérable esclave de désirs mauvais. Quant à ce qui est de la grammaire et de l’éloquence, de la géométrie, des nombres et de la musique, je l’ai appris aisément sans le secours d’aucun maître. Mais la science, sans la charité, ne fait que nous gonfler au lieu de nous édifier. »
Il était tombé dans l’hérésie des Manichéens, qui niaient la réalité du Christ et la résurrection de la chair. Il persévéra dans cette hérésie pendant neuf ans. Mais, dès l’âge de dix-neuf ans, comme il lisait le livre d’un philosophe où était exposée la vanité du monde, il fut désolé de ne point trouver dans ce livre le nom de Jésus-Christ, dont sa mère l’avait imprégné.
Sa mère, de son côté, pleurait beaucoup et ne négligeait rien pour le ramener à la foi véritable. Or, un jour, elle vit en rêve un jeune homme qui lui demanda la cause de sa tristesse. Elle lui répondit qu’elle pleurait la perdition de son fils. Et l’inconnu lui dit : « Sois sans crainte, car là où tu es, il est aussi ! » L’excellente femme n’en insistait pas moins auprès de son évêque afin qu’il daignât intercéder pour son fils. Et l’évêque, d’une voix prophétique, lui dit : « Sois sans crainte, car c’est chose impossible que Dieu laisse périr l’enfant de tant de larmes ! »
Après avoir longtemps enseigné la rhétorique à Carthage, Augustin vint à Rome et y réunit de nombreux disciples. Sa mère l’avait suivi jusqu’aux portes de Carthage, résolue à l’accompagner si elle ne parvenait pas à le faire rester. Mais il la trompa, et, la nuit, partit seul, ce dont la pauvre femme eut un grand chagrin. Matin et soir, tous les jours, elle allait à l’église et priait pour son fils.
En ce temps-là, les Athéniens demandèrent à Symmaque, préfet impérial, qu’Augustin leur fût envoyé comme professeur de rhétorique. Mais le jeune homme préféra se rendre à Milan, où se trouvait alors saint Ambroise. Et lorsque sa mère, qui n’avait point de repos loin de lui, vint le retrouver à Milan, elle put constater qu’il n’était plus manichéen, sans être encore vraiment catholique. Mais il avait commencé à s’attacher à saint Ambroise et à écouter souvent sa prédication. Or, un jour, le saint avait longuement démontré les erreurs des manichéens, tant par des preuves tirées du raisonnement que par d’autres tirées de l’autorité ; et, dès ce moment, l’hérésie avait presque disparu du cœur d’Augustin. Quant à ce qui lui arriva plus tard, lui-même le raconte tout au long dans ses Confessions. Partagé entre son goût pour la voie du Christ et sa crainte de pénétrer dans une voie aussi étroite, il hésitait, lorsque Dieu lui inspira la pensée d’aller consulter saint Simplicien, en qui brillait la lumière de la grâce divine. Et Simplicien se mit aussitôt à l’encourager, en lui disant : « Combien d’enfants servent Dieu dans l’Église ! Et toi, savant docteur, tu n’oses le faire ! Jette-toi dans les bras de Dieu ! Il te recevra et te sauvera ! »
Vers le même temps arriva d’Afrique un ami d’Augustin, nommé Pontien ; et cet homme lui raconta la vie et les miracles du grand Antoine, qui était mort en Égypte sous l’empire de Constantin. L’exemple de ce saint alluma une telle ardeur dans l’âme d’Augustin que, se précipitant chez un de ses amis, nommé Alipe, il s’écria : « Que tardons-nous ? Les ignorants se lèvent et gagnent le ciel ; et nous, avec toute notre science, nous nous plongeons en enfer ! » Puis il s’enfuit dans un jardin, s’étendit sous un figuier, et se mit à pleurer amèrement. Or, pendant qu’il pleurait, il entendit une voix qui lui disait : « Prends et lis, prends et lis ! » Aussitôt il ouvrit les Actes des Apôtres et lut, au hasard : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus ! » Aussitôt les ténèbres du doute achevèrent de se dissiper en lui.
Cependant il souffrait de maux de dents si forts que, comme il le dit lui-même, il était presque tenté d’admettre l’opinion du philosophe Corneille, qui plaçait le souverain bien de l’âme dans la sagesse, et le souverain bien du corps dans l’absence de douleur. Ses maux de dents étaient, en effet, si vifs qu’il en avait perdu l’usage de la parole. Ne pouvant parler à ses amis, il leur écrivait, sur des tablettes de cire, pour leur demander de prier tous pour lui, afin que le Seigneur apaisât sa souffrance. Puis, en leur compagnie, il fléchit les genoux, pria et aussitôt fut guéri. Il demanda aussi par lettre à saint Ambroise de lui indiquer ce qu’il devait lire des Livres Saints, pour devenir plus apte à la foi chrétienne. Ambroise lui recommanda le prophète Isaïe, à cause de la façon dont s’y trouvent prophétisés l’Évangile et la vocation des gentils. Et comme Augustin, d’abord, ne comprenait point le vrai sens du livre, Ambroise lui dit de le relire plus tard, quand il serait plus exercé dans la lecture des Livres Saints.
Enfin, à l’approche de Pâques, Augustin, alors âgé de trente ans, reçut le baptême, en compagnie de son fils Adéodat, enfant plein d’intelligence, qu’il avait enfanté pendant qu’il était encore païen et philosophe. Et son ami Alipe se fit baptiser le même jour. Ce jour-là, Ambroise s’écria : Te Deum laudamus ! Augustin répondit : Te Dominum confilemur ! Et ainsi, se répondant l’un à l’autre, ils composèrent jusqu’au bout cette hymne, ainsi que l’atteste Honorius dans son Miroir de l’Église.
Confirmé désormais dans la foi catholique, il abandonna tout l’espoir qu’il avait mis dans le siècle, et se retira notamment des écoles où il enseignait. Il nous dit lui-même, dans ses Confessions, de quelle douceur l’amour divin inondait son âme. Peu de temps après, en compagnie de Nébrode et d’Évode, ainsi que de sa mère, il s’embarqua pour retourner en Afrique ; mais, en arrivant au port d’Ostie, il eut la douleur de voir mourir sa pieuse mère. Rentré dans son domaine familial, il jeûnait et priait avec ses disciples, écrivait des livres et prêchait. Et sa renommée se répandit en tous lieux. Telle était cette renommée qu’Augustin évitait à dessein d’entrer dans les villes où l’on avait besoin d’un évêque, par crainte d’être promu de force au siège épiscopal.
Mais il y avait à Hippone un homme très riche qui lui fit dire que, si seulement il l’entendait parler, il renoncerait sans doute au siècle. Augustin, aussitôt, se mit en route pour l’aller voir ; et voici que l’évêque d’Hippone Valère, apprenant son arrivée, l’ordonna, presque malgré lui, prêtre de son église. Et comme il s’affligeait de cet honneur, de braves gens, mettant son chagrin sur le compte de son orgueil, lui disaient, pour le consoler, que sans doute cette prêtrise était au-dessous de ce qu’il valait, mais que, du moins, elle avait l’avantage de l’approcher de l’épiscopat. Aussitôt élu prêtre, Augustin institua un monastère à Hippone, et commença à vivre suivant la règle établie par les saints apôtres. Et comme l’évêque Valère, qui était grec, ne connaissait pas très bien la langue latine, il conféra à Augustin le droit de prêcher en sa présence, dans l’église, contrairement à l’usage de l’Église d’Orient. Ne pouvant s’acquitter lui-même de cette prédication, le saint évêque voulait, du moins, qu’un autre s’en acquittât. Et c’est ainsi qu’Augustin réfuta et convainquit le prêtre manichéen Fortunat, et d’autres hérétiques, manichéens, donatistes, et rebaptisateurs.
Cependant Valère craignait qu’Augustin ne lui fût enlevé pour devenir évêque dans quelque autre ville : car il avait été forcé, une fois déjà, de le cacher, pour empêcher qu’on ne l’emmenât occuper ailleurs un siège épiscopal. Il finit par obtenir de l’archevêque de Carthage la permission de se retirer lui-même de son siège d’Hippone, et d’y être remplacé par Augustin. En vain celui-ci fit tout au monde pour s’y refuser : force lui fut de céder. Et le regret qu’il en eût s’accrut encore lorsque, plus tard, il apprit qu’un concile avait défendu qu’un nouvel évêque fût ordonné du vivant de l’ancien.
Ses vêtements, sa chaussure, ses ornements n’étaient ni trop luxueux, ni trop négligés, mais d’une élégance moyenne et conforme à l’usage. Sa table fut toujours d’une frugalité extrême. Mais, tout en ne se nourrissant que de légumes, il avait presque toujours de la viande pour ses hôtes et pour les malades. Un jour qu’il avait invité des amis à un repas familier, un de ses hôtes eut la curiosité de pénétrer dans sa cuisine. N’y trouvant aucun plat chaud, il demanda à Augustin quels mets il avait commandés pour le repas. Et Augustin lui répondit : « Je n’en sais pas plus que toi ! »
Il disait que saint Ambroise lui avait appris trois choses : 1°à ne jamais se mêler de marier personne ; 2°à ne jamais encourager une dispute ; 3°à ne jamais aller à un repas où il était invité. Telles étaient sa pureté et son humilité, qu’il s’accusait humblement devant Dieu, dans ses Confessions, de péchés minimes, dont la plupart d’entre nous ne se soucieraient même pas. Il s’accusait, par exemple, d’avoir joué aux osselets dans son enfance, au lieu d’aller à l’école ; il s’accusait d’avoir mis de la mauvaise volonté à lire ou à apprendre ; il s’accusait d’avoir toujours, dans son enfance, pris plaisir à l’Énéide et d’avoir pleuré de la mort de Didon ; il s’accusait d’avoir dérobé des fruits, sur la table de ses parents, pour les donner à ses compagnons de jeux ; il s’accusait d’avoir, à seize ans, cueilli une poire sur un arbre qui n’était pas à lui. Et il s’accusait aussi de la petite jouissance qu’il éprouvait parfois à manger, ajoutant que le chrétien doit prendre ses aliments à regret, comme une médecine. Il s’accusait d’avoir exercé librement son odorat, son ouïe et sa vue, se reprochant, par exemple, son plaisir à voir courir un chien, ou à écouter de beaux chants d’église. Enfin il s’accusait de son appétit de louanges et de son désir de gloire, encore que ces sentiments aient toujours été chez lui d’une modération extraordinaire.
Il excellait à réfuter les hérétiques, de telle sorte que ceux-ci disaient publiquement que ce n’était point péché de le tuer, affirmant que ceux qui le tueraient comme un loup ne pourraient, par là, qu’être agréables à Dieu. Aussi fut-il sans cesse exposé à tomber dans leurs pièges ; et un jour, comme il était en route, sûrement il aurait péri si la Providence n’avait fait en sorte que ses meurtriers se trompassent de chemin.
Pauvre lui-même, il n’oubliait jamais ses frères les pauvres, partageant avec eux ce qu’il pouvait avoir. Souvent même il leur distribuait les offrandes faites pour l’église dans les vases sacrés. Jamais il ne voulut acheter une maison, ni un champ. Quand on lui léguait un héritage, il le refusait, disant que cet héritage devait revenir plutôt aux enfants ou aux proches du légataire. Il n’avait guère souci non plus des biens de l’Église, n’étant occupé, jour et nuit, que des choses divines. Jamais il n’eut le goût de faire bâtir, disant que les constructions nouvelles étaient un empêchement pour une âme qui voulait rester libre de tout ennui matériel, et s’abandonner tout entière à la méditation. Non pas, cependant, qu’il désapprouvât absolument tout projet de construction nouvelle : il ne désapprouvait que le goût passionné que certains en avaient.
Il louait par-dessus tout ceux qui avaient le désir de la mort, et il aimait à citer, à ce propos, l’exemple de trois évêques : 1° l’exemple de saint Ambroise qui, comme on lui demandait de prier pour obtenir une prolongation de sa vie, répondait : « Je n’ai point si mal vécu que je doive avoir honte de continuer à vivre, mais je ne crains pas non plus de mourir, car Dieu est un bon maître » ; 2° l’exemple d’un autre évêque, qui disait, dans les mêmes circonstances, en réponse à ceux qui lui représentaient sa vie comme nécessaire à son église : « Si je ne dois jamais mourir, c’est bien ; mais si je dois mourir un jour, pourquoi pas tout de suite ? » 3° enfin Augustin aimait à citer un troisième évêque qui, étant très malade, avait prié pour recouvrer la santé ; et un jeune homme d’une beauté merveilleuse lui était apparu, qui lui avait dit, d’une voix indignée : « Vous avez peur de souffrir, vous ne voulez pas mourir, que ferai-je de vous ? »
Jamais Augustin ne voulut qu’aucune femme demeurât avec lui, pas même sa cousine, ni les filles de son frère, qui s’étaient vouées au service de Dieu. Jamais il ne voulait parler, seul, à une femme, sauf quand elle avait un secret à lui communiquer. Il fut le bienfaiteur de ses parents, mais en leur apprenant à n’avoir pas besoin de richesses, et non pas en leur donnant des richesses. Rarement il consentait à intercéder pour quelqu’un, de vive voix ou par lettre, disant que, « le plus souvent, une faveur qu’on demandait devenait une gêne. » Pour juger une cause, il aimait mieux se trouver avec des inconnus qu’avec des amis, disant que, parmi les inconnus, il pouvait plus librement découvrir les bons, et s’en faire des amis, tandis que, à juger des amis, il risquait fatalement d’en perdre un, celui contre qui il devrait décider.
De nombreuses églises l’invitaient à prêcher ; il y enseignait la parole de Dieu et convertissait une foule d’hérétiques. Parfois, en prêchant, il faisait des digressions ; et il disait alors que c’était sans doute Dieu qui lui inspirait ces digressions pour le salut de quelqu’un ; et l’on cite, en effet, le cas d’un manichéen qui fut ainsi converti par saint Augustin, celui-ci s’étant interrompu du sujet qu’il traitait pour réfuter l’erreur des manichéens.
C’était le temps où les Goths s’étaient emparé de Rome, et où idolâtres et hérétiques attaquaient vivement l’Église chrétienne. Voilà pourquoi Augustin écrivit son livre de la Cité de Dieu, où il montra que c’était la destinée des justes d’être opprimés dans cette vie, et la destinée des impies d’y prospérer. Il décrivait, dans ce livre, deux cités et deux rois, Jérusalem, dont le roi est le Christ, et Babylone, où règne le diable ; ajoutant que la cité du diable reposait sur l’amour de soi et la cité de Dieu sur l’amour de Dieu.
En l’an du Seigneur 440, les Vandales envahirent l’Afrique, dévastant tout sans épargner le sexe ni l’âge. Ils arrivèrent ainsi jusqu’à Hippone, qu’ils assiégèrent vigoureusement. Grande fut la désolation d’Augustin, lorsque cette calamité se joignit pour lui aux maux de la vieillesse ; il pleurait jour et nuit, à voir les uns tués, d’autres mis en fuite, les églises privées de prêtres, les maisons renversées. A peine se consolait-il en se rappelant cette pensée d’un sage : « Celui-là est un petit homme qui croit voir une grande chose quand il voit tomber des arbres ou mourir des mortels. » Enfin, rassemblant ses frères, il leur dit : « J’ai demandé à Dieu, ou bien qu’il nous sauvât de ce péril, ou qu’il nous donnât la patience, ou qu’il me retirât de cette vie, pour m’épargner d’être témoin de tant de malheurs. » Ce fut cette troisième chose qu’il obtint. Le troisième mois du siège, il fut saisi de fièvre et dut s’aliter. Comprenant que l’heure de la dissolution de son corps était proche, il fit copier les sept psaumes de la pénitence et les fit coller sur le mur, en face de son lit, afin de pouvoir les lire à toute heure. Voulant se donner plus entièrement à Dieu, pendant les dix jours qui précédèrent sa mort, il ne laissa entrer personne auprès de lui, à l’exception du médecin et du serviteur chargé de lui porter sa nourriture. Cependant un malade parvint jusqu’à lui, le suppliant de lui imposer les mains pour le guérir de sa maladie. Et Augustin : « Hé, mon fils, que demandes-tu là ? Crois-tu donc que, si j’avais un tel pouvoir, je n’en userais pas pour moi-même ? » Mais le malade insistait, affirmant qu’une voix lui avait promis, en rêve, qu’Augustin lui rendrait la santé. Et Augustin, voyant sa foi, pria pour lui et le guérit. Il guérit aussi beaucoup de possédés, et fit encore une foule d’autres miracles. Il en raconte deux, dans la Cité de Dieu, sans dire que c’est lui-même qui les a opérés. C’est, d’abord, une jeune fille qui fut délivrée de la possession du démon quand elle fut frottée avec une huile où un prêtre avait mêlé ses larmes, en priant pour elle. Et c’est ensuite un évêque guérissant, par ses prières, un jeune homme qu’il n’avait jamais vu. Dans les deux cas, Augustin nous parle évidemment de lui-même ; et son humilité seule l’empêche de se nommer.
Au moment même de mourir, Augustin, inspiré de Dieu, enseigna à ses frères que jamais un chrétien ne devait mourir sans la confession et l’eucharistie, quels que fussent, par ailleurs, ses mérites. Il mourut dans la soixante-dix-septième année de son âge, et la quarantième de son épiscopat, ayant tous les membres intacts, ainsi que la vue et l’ouïe. Il ne fit point de testament, attendu que, en sa qualité de pauvre du Christ, il n’avait rien à léguer. Ce grand saint, qui, par son génie et sa science, dépasse incomparablement tous les autres docteurs de l’Église, florissait vers l’an 400.
II. Plus tard, lorsque les barbares occupèrent Hippone et profanèrent les saints lieux, le corps d’Augustin fut enlevé par les fidèles et transporté en Sardaigne. Plus tard encore, l’an 718, deux cent quatre-vingts ans après la mort du saint, le pieux roi lombard Luitprand, ayant appris que la Sardaigne était dévastée par les Sarrazins, envoya dans l’île des messagers qu’il chargea de transporter les saintes reliques à Pavie. Ces messagers, à force d’argent, obtinrent d’emporter les reliques et les amenèrent à Gênes, où le roi Luitprand vint au-devant d’elles en grande cérémonie. Mais, le lendemain matin, vainement on essaya de soulever le cercueil pour lui faire continuer son voyage. On ne put le soulever que lorsque le roi eut fait vœu de construire, au même endroit, une église en l’honneur de saint Augustin. Pareil miracle se produisit, le lendemain, dans une villa du diocèse de Tortone, appelée Casai ; et, là aussi, le roi construisit une église en l’honneur de saint Augustin. Il donna, en outre, la villa, avec toutes ses dépendances, aux serviteurs de l’église, en possession perpétuelle. Et comme il vit bien, d’après ces deux faits, que le saint désirait avoir une église dans tous les endroits où son corps s’arrêtait, il décida, une fois pour toutes, d’élever une église dans chacun de ces endroits. C’est ainsi que, en grande pompe, le corps parvint à Pavie, où il fut déposé dans l’église de Saint-Pierre, qu’on appelle communément Ciel-d’Or.
III. Un meunier qui avait une dévotion spéciale pour saint Augustin, fut atteint d’un mauvais abcès à la jambe. Il invoqua le saint ; et celui-ci, lui étant apparu en rêve, lui frotta la jambe avec la main. Le lendemain, le meunier se réveilla guéri.
IV. Un enfant souffrait de la pierre, et les médecins allaient l’opérer, lorsque sa mère, craignant les dangers de l’opération, pria saint Augustin de lui venir en aide. Aussitôt l’enfant rendit la pierre avec son urine, et recouvra la santé.
V. Dans un monastère qui s’appelait l’Aumône, un moine, ayant été ravi en esprit la veille de la fête de saint Augustin, vit descendre du ciel une nuée brillante, sur laquelle était assis le saint docteur en habits pontificaux, illuminant l’Église entière des deux rayons enflammés qui sortaient de ses yeux. De son côté, saint Bernard vit un jour un beau jeune homme debout dans une église, et dont la bouche était une fontaine d’où jaillissait tant d’eau que l’église tout entière en était remplie. Et saint Bernard comprit que c’était Augustin, dont la doctrine, fontaine de vérité, arrosait toute l’Église.
VI. Un pieux pèlerin donna une grosse somme au moine chargé de la garde du corps de saint Augustin, pour obtenir de lui l’un des doigts du saint. Mais le moine, ayant pris l’argent, enveloppa dans de la soie le doigt d’un mort quelconque, et le donna au pèlerin en lui affirmant que c’était bien le doigt d’Augustin. Or le pèlerin adorait pieusement cette fausse relique, ne cessant point de la baiser ou de la serrer sur son cœur ; de telle sorte que Dieu, touché de sa ferveur, transforma la fausse relique en un vrai doigt de saint Augustin. Et le pèlerin, revenu chez lui, opéra tant de miracles avec sa relique que le bruit en arriva jusqu’à Pavie. Le moine, alors, révéla comment il avait donné au pèlerin le doigt d’un mort inconnu. Mais quand on ouvrit le cercueil, on vit qu’un des doigts du saint manquait réellement.
VII. Dans le monastère de Fontaine, en Bourgogne, vivait un moine nommé Hugues qui, admirant avec passion saint Augustin, le priait souvent d’obtenir pour lui qu’il mourût le jour de sa fête. Quinze jours avant la fête du saint, ce moine fut pris de fièvre ; la veille de la fête, on le déposa à terre, presque mort. Et, soudain, un autre moine, qui priait dans la chapelle, vit entrer en procession plusieurs hommes tout vêtus de blanc, que suivait un évêque de figure vénérable. Le moine demanda qui étaient ces hommes et où ils allaient. Et l’un d’eux lui répondit que c’était saint Augustin qui venait, avec ses chanoines, assister à la mort de son ami, pour emporter ensuite son âme au glorieux royaume.
VIII. Du vivant d’Augustin, une femme, qui avait à souffrir de la part de méchants, vint trouver le saint pour lui demander conseil. Elle le trouva occupé à étudier ; et il ne leva point les yeux sur elle, ni ne répondit à ses paroles. En vain elle s’approcha de lui, et lui parla dans l’oreille, craignant que, dans sa sainteté, il ne voulût point regarder un visage de femme. Augustin ne lui répondit toujours pas, ne parut pas l’entendre ; et elle s’en alla toute triste. Mais le lendemain, comme Augustin célébrait la messe, ladite femme fut ravie en esprit et se vit transportée devant le tribunal de la Sainte Trinité, Augustin était là aussi, la tête baissée. Et la femme entendit une voix qui lui disait : « Lorsque tu es allée chez Augustin, il se trouvait ainsi en présence de la Sainte Trinité, et voilà pourquoi il ne s’est pas même aperçu de ta visite ! Mais, à présent, si tu retournes chez lui, il t’accueillera avec plaisir et te sera de bon conseil. » La femme retourna donc chez Augustin, et tout se passa comme la voix l’avait dit.
IX. On raconte aussi que certain homme de Dieu, ayant été ravi en esprit, vit tous les saints dans leur gloire, à l’exception de saint Augustin. Il demanda où était celui-ci. Et une voix lui répondit : « Il est au plus haut des cieux, admis en présence de la Sainte Trinité ! »
X. Le marquis Malaspina, ayant jeté en prison certains habitants de Pavie, les condamna au supplice de la soif, pour leur extorquer une grosse rançon. Les uns buvaient leur urine, d’autres se préparaient à rendre l’âme. Le plus jeune d’entre eux eut l’idée d’invoquer l’aide de saint Augustin, pour qui il avait une dévotion spéciale. Et voilà que, à minuit, saint Augustin apparut à ce jeune homme, le prit par la main, le conduisit jusqu’au fleuve, et lui mit sur la langue une feuille de vigne trempée dans l’eau ; et le jeune homme en fut si rafraîchi que le plus parfait nectar n’aurait plus eu pour lui la moindre saveur.
XI. Un curé qui avait une grande dévotion pour saint Augustin, et qui, depuis trois ans, était malade dans son lit, invoqua le saint la veille de sa fête, en entendant sonner les vêpres. Et le saint lui apparut, tout vêtu de blanc, l’appela trois fois par son nom, et lui dit : « Voici celui que tu as si souvent appelé ! lève-toi vite et célèbre-moi l’office des vêpres ! » Aussitôt le curé, guéri, se leva, entra dans l’église, à la stupéfaction de tous, et y célébra pieusement l’office.
XII. Un berger avait entre les deux épaules un ulcère qui le privait de toutes ses forces. Il invoqua saint Augustin, qui lui apparut en rêve, mit sa main sur l’ulcère, et le guérit entièrement. Le même homme, par la suite, devint aveugle, et de nouveau invoqua l’aide de saint Augustin. Celui-ci lui apparut à l’heure de midi, lui frotta les yeux, et aussitôt lui rendit la vue.
XIII. L’an du Seigneur 912, une troupe de quarante malades, venus d’Allemagne et de France, se rendaient en pèlerinage à Rome, pour y visiter les tombeaux des apôtres. Les uns étaient conduits sur des sellettes, d’autres marchaient sur des béquilles, d’autres, privés de la vue, se traînaient à la suite de leurs compagnons, d’autres encore avaient les mains et les pieds paralysés. Ayant franchi les Alpes et étant arrivés au village de Cana, à trois milles de Pavie, ils virent venir au-devant d’eux saint Augustin, qui, sortant de l’église des saints Côme et Damien, les salua et leur demanda où ils allaient. Puis il leur dit : « Allez à Pavie, dans l’église de Saint-Pierre, qu’on appelle aussi le Ciel-d’Or ; là, on aura pitié de vous ! » Ils lui demandèrent qui il était, et lui : « Je suis Augustin, jadis évêque d’Hippone ! » Et aussitôt il disparut. Les pèlerins, arrivés à Pavie, se rendirent au monastère de Saint-Pierre ; et là, ayant appris que le corps de saint Augustin y était déposé, ils s’écrièrent, d’une voix unanime : « Saint Augustin, viens à notre aide ! » Moines et bourgeois, attirés par leurs cris, affluaient pour les voir. Et soudain, sous l’effet de tension de leurs nerfs, les pèlerins commencèrent à perdre leur sang de telle sorte que, depuis le seuil du monastère jusqu’au tombeau de saint Augustin, le sol se trouva tout ensanglanté. Mais dès qu’ils furent parvenus au tombeau du saint, tous recouvrèrent une santé parfaite. Depuis ce jour, la renommée du saint ne cessa point de grandir ; et une foule de malades se pressaient autour de son tombeau ; puis, ayant été guéris, ils offraient des cadeaux à l’église, en gage de reconnaissance. Et bientôt la masse de ces cadeaux fut telle qu’elle encombra la chapelle tout entière ainsi que tout le porche, au point de rendre la circulation difficile autour du tombeau. Forcés par la nécessité, les moines firent transporter cette masse de cadeaux en un autre endroit.