[1] Contre l'hérésie appelée Cataphrygienne, la puissance auxiliaire de la vérité suscita donc une arme forte et inexpugnable, Apollinaire de Hiérapolis, dont il a été déjà question auparavant, et avec lui un grand nombre d'autres hommes éloquents de ce pays ; ils nous ont laissé une ample matière pour notre récit. [2] Un de ceux-ci par exemple commence un ouvrage écrit contre ces hérétiques par dire d'abord qu'il est entré en discussion avec eux pour les réfuter de vive voix. Il débute du reste de cette façon :
« [3] Depuis déjà un temps fort long, cher Avircius Marcellus, j'ai reçu de ta part l'ordre d'écrire un traité contre l'hérésie de ceux qu'on appelle les sectateurs de Miltiade ; mais j'étais en quelque manière fort empêché de le faire jusqu'à ce jour, non pas que je n'eusse de quoi pouvoir confondre le mensonge et rendre témoignage à la vérité, mais je craignais et j'évitais avec grand soin de paraître, à certains, ajouter à ce qui est écrit ou ordonné par la parole du Nouveau Testament de l'Évangile à laquelle il n'est pas possible d'ajouter ni de retrancher lorsqu'on a choisi de régler sa vie selon l'Évangile.
« [4] Récemment j'étais à Ancyre de Galatie et j'y voyais l'église de ce pays retentissant du bruit de cette nouveauté, qui n'est pas, comme ils le disent, une prophétie, mais bien plutôt, comme il sera montré, une pseudoprophétie. Autant que je le pus, avec l'aide du Seigneur, je discutai dans l'église, pendant plusieurs jours, sur chacun de ces mêmes sujets et de ceux qui m'étaient proposés par eux ; l'église en était réjouie et affermie dans la vérité, tandis que les adversaires étaient, pour le moment, battus et leurs partisans ennuyés. [5] Les prêtres de la région désirèrent après cela que je leur laissasse un mémoire de ce qui avait été dit contre ceux qui résistaient à l'enseignement de la vérité. Au reste, Zotique d'Olrys, notre compagnon dans la prêtrise, était présent. Je ne le fis pas, mais je promis, qu'avec le secours de Dieu, je l'écrirais d'ici et que je me hâterais de le leur envoyer. »
[6] Apollinaire nous dit ces choses, suivies d'autres au début de son ouvrage, puis il poursuit et fait connaître l'auteur de l'hérésie susdite de celle manière : « Maintenant leur entreprise et l'hérésie récente de ce schisme contre l'Église, eut la cause que voici. [7] On dit qu'il y a, dans la Mysie limitrophe de Phrygie, un bourg appelé du nom d'Ardabau. On raconte que là, à l'origine, un des nouveaux croyants, nommé Montan, alors que Gratus était proconsul d'Asie, dans l'incommensurable désir de son âme pour la primauté, livra en lui passage à l'ennemi. Il fut animé par son esprit, entra subitement en transport et en fausse extase, commença à être rempli d'enthousiasme et se mit à parler, à prononcer des mots étranges, et à prophétiser tout à fait en dehors de l'usage qui est selon la tradition et l'ancienne succession de l'Église. [8] Parmi ceux qui étaient alors les auditeurs de ces discours d'origine illégitime, les uns fâchés de voir en lui comme un énergumène, un démoniaque, un possédé de l'esprit d'erreur qui troublait les foules, lui faisaient des reproches et lui imposaient silence, se rappelant la recommandation expresse et la menace du Seigneur concernant la vigilance avec laquelle il faut se garder de la fréquentation des faux prophètes. Les autres au contraire excités comme par un esprit saint et un charisme prophétique, surtout enflés d'orgueil, et oubliant l'ordre du Seigneur encourageaient cet esprit insensé, caressant et séducteur de peuple, charmés et entraînés qu'ils étaient par lui dans l'erreur, au point de ne plus se contraindre à se taire. [9] C'est avec un certain art ou plutôt avec ce procédé d'artifice malsain, que le diable machinait la perte de ceux qui l'écoutaient et se faisait honorer par eux sans raison ; puis il excitait et échauffait leur esprit engourdi loin de la vraie foi, si bien qu'il suscita encore deux autres femmes et qu'il les remplit de l'esprit impur et que celles-ci se mirent à parler à contresens et à contretemps, d'une façon étrange, comme celui dont il est question plus haut. Et l'esprit proclamait bienheureux ceux qui se réjouissaient et se glorifiaient en lui ; il les enorgueillissait par la grandeur de ses promesses ; mais parfois aussi il leur adressait en face des reproches très justes et qui méritaient d'être acceptés, afin qu'il parût capable également de reprendre (mais peu de ces Phrygiens étaient dupes de cette feinte). L'esprit arrogant d'autre part enseignait à blasphémer l'Église catholique tout entière qui est sous le ciel, parce que son génie pseudoprophétique n'avait auprès d'elle obtenu ni honneur ni accès. [10] Les fidèles de l'Asie, s'étant en effet assemblés pour cela souvent et en beaucoup d'endroits de ce pays, ont examiné ces discours nouveaux, ils les ont trouvés profanes et ont condamné l'hérésie, ils ont ainsi chassé de l'Église les sectateurs et les ont retranchés de la communion. »
[11] Apollinaire raconte ceci au début ; puis tout le long de son ouvrage, il développe la réfutation de leur erreur ; au second livre, au sujet de la mort des hommes cités plus haut, il dit ceci : « [12] Puisqu'ils nous appellent des lueurs de prophètes, parce que nous n'avons pas voulu recevoir leurs prophètes bavards (car ils affirment qu'ils étaient ceux que le Seigneur a promis d'envoyer à son peuple), qu'ils nous répondent devant Dieu : Dites, mes amis, en est-il quelqu'un parmi les gens qui viennent de Montan et des femmes qui ont commencé à parler, qui ait été persécuté par des Juifs ou mis à mort par les pervers ? Aucun. En est-il dont on se soit emparé et qui ait été crucifié pour le nom [de Jésus-Christ] ? Mais non. De même, quelqu'une de leurs femmes a-t-elle été jamais battue de verges dans les synagogues des Juifs, ou lapidée ? Mais jamais de la vie. [13] On dit au contraire, que Montan et Maximilla finirent par une autre mort. On raconte que poussés par un esprit qui trouble la raison, ils se pendirent l'un et l'autre, mais non pas ensemble, et une rumeur persistante concernant le temps de leur fin à tous les deux, affirme qu'ils finirent ainsi et sortirent de l'existence à la façon de Judas. [14] De même, c'est un récit fréquent que Théodote, cet admirable et premier administrateur de ce qu'on appelle parmi eux la prophétie, fut un jour enlevé et emporté vers les cieux, perdit la raison, se confia à l'esprit d'erreur, puis fut lancé à terre et périt misérablement ; c'est ainsi du moins qu'on dit que les choses se passèrent. [15] Nous ne pensons du reste pas, mon très cher, avoir la certitude de cela sans l'avoir vu ; peut-être en effet en fut-il ainsi, peut-être moururent autrement Montan et Théodote, et la femme citée plus haut. »
[16] L'auteur dit encore, dans le même ouvrage, que les saints évêques d'alors ont bien essayé de confondre l'esprit qui était en Maximilla, mais qu'ils en ont été empêchés par d'autres qui le favorisaient ouvertement. [17] Voici comment il s'exprime : « Que l'esprit qui est en Maximilla ne tienne pas le même langage qu'à Astérius Urbanus : « On me chasse ainsi qu'un loup loin des brebis ; je ne suis pas loup, je suis parole, esprit, puissance ». Mais qu'il montre clairement la puissance dans l'esprit ; qu'il en convainque ; qu'il contraigne par l'esprit à le reconnaître ceux qui sont alors venus pour examiner et discuter avec cet esprit bavard, hommes probes, évêques, Zotique, du bourg de Coumane, et Julien d'Apamée ; mais les gens de l'entourage de Thémison leur fermaient la bouche et ne les laissaient pas confondre l'esprit menteur et trompeur de peuple. »
[18] Dans le même ouvrage encore, après autre chose, afin de réfuter les fausses prophéties de Maximilla, à la fin il indique l'époque où il écrivait et il rappelle les prédictions de la voyante où étaient annoncés des guerres des bouleversements, puis il en montre l'inanité en ces termes : « [19] Et comment cela actuellement ne paraîtrait-il pas évidemment encore mensonger ? car voilà plus de treize ans aujourd'hui que cette femme est morte et aucune guerre, ni partielle ni générale, n'a eu lieu clans le monde ; bien plus, les chrétiens eux-mêmes jouissent d'une paix continuelle par la miséricorde de Dieu. »
[20] Cela est du second livre ; je rapporterai encore de courts passages du troisième, où il parle contre ceux qui se vantaient d'avoir parmi eux aussi beaucoup de martyrs ; voici ce qu'il dit : « Lors donc que, confondus par toutes les raisons qu'on leur oppose, ils ne peuvent plus rien alléguer, ils essaient de se rabattre sur les martyrs ; ils affirment qu'ils en ont beaucoup et que cela est une preuve manifeste de la puissance de ce qu'on appelle l'esprit prophétique chez eux. Mais cela, ainsi qu'il est naturel, n'est rien moins que vrai. [21] Parmi les autres hérésies aussi, en effet, certaines ont beaucoup de martyrs et assurément, nous ne sommes pas, en dehors de cela, d'accord avec eux, et nous ne reconnaissons pas qu'ils ont la vérité. Et d'abord ceux qu'on appelle Marcionites, de l'hérésie de Marcion, disent qu'ils ont beaucoup de martyrs du Christ, mais ils ne confessent pas le Christ lui-même selon la vérité. »
Peu après il ajoute encore ces paroles : « [22] C'est pourquoi, d'ailleurs, lorsque ceux de l'Église sont appelés au témoignage de la vraie foi, et qu'ils se rencontrent avec certains martyrs dits de l'hérésie des Phrygiens, ils s'écartent d'eux et meurent sans avoir communion avec eux, parce qu'ils ne veulent pas approuver l'esprit de Montan et de ses femmes. Voilà ce qui est vrai et ce qui s'est passé de notre temps d'une façon manifeste à Apamée, près du Méandre, parmi ceux d'Euminie qui ont rendu témoignage avec Gaïus et Alexandre. »