(29 août)
I. La fête de la Décollation de saint Jean-Baptiste se célèbre pour quatre motifs, que nous expose l’Office mitral : 1° pour commémorer la décollation du saint ; 2° pour commémorer la combustion de ses os ; 3°pour commémorer la découverte de son chef ; 4°pour commémorer la translation d’un de ses doigts, et la dédicace de son église.
1° Racontons d’abord la décollation du saint, d’après l’Histoire ecclésiastique. Hérode Antipas, fils du grand Hérode, se rendant à Rome, et s’étant arrêté en chemin chez son frère Philippe, s’entendit secrètement avec Hérodiade, femme de Philippe, et qui, suivant Josèphe, était sœur d’Hérode Agrippa : ils convinrent que, au retour d’Antipas, celui-ci répudierait sa femme pour épouser Hérodiade. Ce qu’apprenant, la femme d’Antipas, fille du roi de Damas Arétas, s’enfuit auprès de son père sans attendre le retour de son mari. Et celui-ci, dès qu’il fut revenu, épousa Hérodiade, s’aliénant ainsi, à la fois, le roi Arétas, Hérode Agrippa et Philippe.
Or saint Jean lui reprochait en termes très vifs d’avoir violé la Loi, en épousant la femme de son frère, du vivant de celui-ci. Ce que voyant, Hérode le fit jeter en prison, tant pour plaire à sa femme que pour empêcher Jean de soulever le peuple contre lui. Cependant il n’osait le tuer, par crainte du peuple. Mais comme sa femme et lui voulaient sa mort, ils convinrent en secret que, dans une fête qui allait être donnée pour l’anniversaire de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodiade danserait devant lui, qu’en récompense ils l’autoriseraient à obtenir ce qu’elle lui demanderait, que la jeune fille lui demanderait alors la tête de saint Jean, et que lui, tout en affectant d’être désolé de son serment se déclarerait ainsi forcé à le tenir.
Donc, pendant le festin, la jeune fille arrive, danse devant tous, plaît à tous ; et le roi lui promet de lui offrir tout ce qu’elle lui demandera ; et elle, sur le conseil de sa mère, demande la tête de saint Jean, que le roi lui accorde en feignant de déplorer son serment. Puis le bourreau se rend dans la prison, coupe la tête de saint Jean, la remet à la jeune fille, qui va la présenter à sa méchante mère.
Dans un sermon prêché pour la fête de la Décollation de saint Jean, saint Augustin, cite, à cette occasion, l’exemple que voici : « Un homme plein de droiture et de bonne foi m’a raconté que, exaspéré de voir qu’un de ses débiteurs niait sa dette, il l’avait provoqué à prêter serment. Le débiteur jura, et l’honnête homme perdit son procès. Et, en outre, la nuit suivante, ce créancier se vit, en rêva conduit devant le juge, qui lui dit : “Pourquoi as-tu provoqué ton débiteur à jurer, quand tu savais qu’il ferait un faux serment ?” Le créancier répondit : “Cet homme niait sa dette !” Mais le juge : “Mieux valait perdre ta dette que de tuer l’âme d’autrui en l’amenant à se parjurer !” Sur quoi, le juge le fit battre de verges, et si fort que, le lendemain à son réveil, tout son dos en portait les traces. »
Quant à Hérode, il ne resta pas impuni. L’Histoire scholastique raconte en effet qu’Hérode Agrippa, désespéré de sa pauvreté, entra un jour dans une tour pour s’y laisser mourir de faim. Ce qu’apprenant, sa sœur Hérodiade supplia son mari, le tétrarque Hérode Antipas, de venir en aide à son frère. Ainsi fut fait ; mais comme, un jour, les deux Hérode dînaient ensemble, le tétrarque, échauffé par le vin, se mit à reprocher à Hérode Agrippa tous les bienfaits dont il l’avait comblé. Sur quoi Hérode Agrippa, irrité, s’enfuit à Rome, où il s’acquit tant de faveur auprès de Caligula, que celui-ci le nomma tétrarque de deux provinces, et lui promit de le nommer roi de Judée. À cette nouvelle, Hérodiade insista vivement auprès de son mari pour qu’il se rendît à Rome, et sollicitât pour lui-même le titre de roi. Et Hérode, d’abord, s’y refusait, préférant la tranquillité à un honneur périlleux ; mais enfin il se laissa convaincre, et se rendit à Rome. Aussitôt Agrippa écrivit à Caligula que son beau-frère s’était allié avec le roi des Parthes, et projetait de se soulever contre le joug romain : en preuve de quoi il ajoutait qu’Antipas, dans ses places fortes, avait assez d’armes pour équiper soixante-dix mille hommes. Caligula, au reçu de cette lettre, demanda à Hérode si c’était vrai qu’il eût, dans ses places fortes, une telle quantité d’armes. Et Hérode, qui ne soupçonnait rien, avoua le fait : sur quoi Caligula, persuadé qu’Agrippa lui avait écrit la vérité, condamna le tétrarque à l’exil, en laissant à Hérodiade la permission de rentrer à Jérusalem. Mais Hérodiade se refusa à quitter son mari, disant que, comme elle avait partagé sa prospérité, elle voulait encore partager sa misère. Tous deux furent donc relégués à Lyon, où ils finirent leur vie misérablement.
2° La combustion des os de saint Jean-Baptiste eut lieu le jour de la fête de sa décollation, comme si Dieu avait accordé au saint la faveur d’un second martyre. Les disciples de Jean avaient enseveli son corps à Sébaste, en Palestine, entre les corps des prophètes Élisée et Abdias. Et comme de nombreux miracles se produisaient en ce lieu, Julien l’Apostat fit d’abord disperser au vent les os du saint ; puis, les miracles ne cessant point, il les fit brûler, réduire en poudre et disperser dans les champs. Mais pendant qu’on les recueillait pour les brûler, des moines de Jérusalem se mêlèrent aux païens, et emportèrent une grande partie des saints ossements. Ils les remirent à Philippe, évêque de Jérusalem, qui les envoya plus tard à Athanase, évêque d’Alexandrie. Et plus tard encore l’évêque d’Alexandrie, Théophile, les installa dans un ancien temple de Sérapis, dont il fit une basilique en l’honneur de saint Jean. Ajoutons qu’aujourd’hui ses reliques vénérables se trouvent à Gênes, ainsi que l’ont solennellement confirmé les papes Alexandre III et Innocent IV.
Et, de même qu’Hérode, Julien, le second persécuteur de saint Jean-Baptiste, ne resta pas impuni : nous avons raconté déjà ses persécutions et son châtiment dans l’histoire de Saint Julien, dont la fête vient après la Conversion de saint Paul. Mais l’Histoire tripartite nous donne encore, sur le règne et la mort de l’Apostat, d’autres détails, qui méritent d’être signalés.
À la mort de Constance, Julien, voulant plaire à tous, permit que chacun suivit librement le culte qui lui convenait. Il chassa aussi, de sa cour, les eunuques, les cuisiniers et les barbiers : les eunuques, parce que sa femme était morte, et qu’il n’avait pas l’intention de se remarier ; les cuisiniers, parce qu’il mangeait de la façon la plus simple et la plus frugale ; les barbiers, parce que, disait-il, « un seul suffit à faire beaucoup d’ouvrage ». Il dicta également un grand nombre de livres, où il déchirait tous les empereurs qui avaient régné avant lui. – Un jour qu’il sacrifiait aux idoles, on lui montra, dans les entrailles d’une victime, une croix entourée d’une couronne. Signe dont les augures furent enrayés, car ils y lisaient l’unité, la victoire et l’éternité de la croix. Mais Julien les consola, en leur disant que ce signe signifiait que le dogme chrétien eût à être enfermé dans un cercle étroit, d’où on devait bien se garder de le laisser sortir. – À Constantinople, comme il sacrifiait à la déesse de la Fortune, le vieil évêque de Chalcédoine, Maris, à qui l’âge avait fait perdre la vue, vint lui reprocher son apostasie. Et Julien : « Tout de même, ton Galiléen n’a pas pu te garder la vue ! » Et Maris : « Il n’y a rien dont je remercie autant mon Dieu que de m’avoir fermé les yeux, de façon à m’empêcher de te voir dépouillé de la foi ! » Et Julien s’en alla sans rien répondre. – À Antioche, il fit jeter à terre les vases et vêtements sacrés, s’assit au-dessus d’eux et les salit de sa fiente ; et bientôt cette partie de son corps se remplit de vers qui rongeaient ses boyaux ; et jamais, tant qu’il vécut, il ne put se guérir de cette maladie. – Plus terrible encore fut le châtiment infligé à un de ses préfets, nommé Julien, qui avait osé uriner dans un vase sacré. Celui-là vit tout à coup sa bouche changée en orifice fécal. – Dans un sacrifice célébré en présence de Julien, une goutte d’eau soi-disant consacrée tomba sur la tunique de Valentinien, qui, en secret, était resté fidèle au Christ. Alors Valentinien, indigné, frappa le prêtre du temple, lui reprochant de l’avoir souillé : ce qui lui valut d’être exilé par Julien, mais aussi, plus tard, d’être promu à l’empire. – Par haine des chrétiens, Julien fit reconstruire à ses frais le temple des Juifs ; mais, au moment où on le construisait, un vent terrible dispersa tout le ciment, après quoi un tremblement de terre acheva d’anéantir le reste du travail. Et, le lendemain, le signe de la croix apparut dans le ciel, et l’on vit des croix gravées sur les vêtements des Juifs. – Lorsque, dans son expédition contre les Perses, Julien mit le siège devant Ctésiphon, le roi des Perses lui offrit la moitié de son royaume s’il consentait à se retirer. Mais Julien refusa dédaigneusement ; car, croyant à la métempsycose, d’après Pythagore et Platon, il s’imaginait avoir en lui l’âme d’Alexandre. Et, soudain, une flèche, lui entrant dans le côté, mit fin à sa vie. Quant à savoir qui lui lança cette flèche, c’est ce que, jusqu’à présent, on ignore. Mais, qu’elle ait été lancée par un homme ou un ange, ou encore par un démon, – comme l’affirme Calixte, – à coup sûr c’est sur l’ordre de Dieu qu’elle a châtié l’Apostat.
3° C’est encore en ce jour qu’a été retrouvée, dit-on, la tête de saint Jean. Celui-ci avait été décapité dans une place forte d’Arabie nommée Machéron ; mais Hérodiade avait emporté sa tête à Jérusalem, et l’avait fait enterrer près de son palais, craignant que le prophète ne ressuscitât si sa tête rejoignait son tronc. Or, sous le règne de Marcien, qui commença de régner en l’an 353, saint Jean révéla l’emplacement de son chef à deux moines qui étaient venus à Jérusalem. Aussitôt les moines courant à ce qui avait été le palais d’Hérode, découvrirent la sainte relique, entourée d’un sac de peau, que l’on avait fait, sans doute, avec le vêtement du Baptiste. Et comme ensuite les moines emportaient leur trouvaille dans leur pays, un potier de la ville d’Émèse, que la pauvreté avait chassé de chez lui, se joignit à eux. Ce potier fut chargé de porter la besace qui contenait la tête de saint Jean ; et voici que, sur le conseil du saint, qui lui était apparu, il faussa compagnie aux moines, emporta la tête du saint dans sa ville natale, la cacha dans une grotte, et, grâce à son culte pour elle, s’acquit une fortune considérable. En mourant, il révéla son secret à sa sœur, mais avec défense de le révéler jamais à une autre personne qu’à son héritier direct. Et, longtemps plus tard, le moine saint Marcel, qui vivait dans cette grotte, vit en rêve une troupe d’anges, qui chantaient : « Voici que vient saint Jean-Baptiste ! » Puis il vit entrer le saint, que les anges soutenaient des deux côtés, et qui bénissait tous ceux qui l’approchaient. Et comme Marcel se prosternait, pour recevoir sa bénédiction, saint Jean le releva, et lui donna le baiser de paix ; après quoi il lui dit qu’il venait de Sébaste pour demeurer en ce lieu. Une autre nuit, Marcel, soudain réveillé, vit une étoile brillante, fixée dans la porte de sa cellule. Il se leva et voulut la toucher : mais elle se transporta dans un autre coin de sa cellule, jusqu’à ce qu’elle s’arrêtât au-dessus de l’endroit où était enfoui le chef de saint Jean. Marcel creusa la terre, en cet endroit, et découvrit l’urne avec le saint trésor. Et comme un des assistants refusait de croire au miracle, sa main sécha dès qu’il toucha l’urne, et resta attachée à celle-ci. Enfin, grâce aux prières de Marcel, cette main put se détacher, mais elle resta sèche jusqu’au moment où, sur l’ordre de saint Jean, le chef vénérable fut déposé dans l’église de la ville. Et, depuis ce temps, on commença à célébrer, dans cette ville, la Décollation de saint Jean-Baptiste, au jour anniversaire de l’invention de son chef.
Plus tard encore, ce chef fut transporté à Constantinople. Comme on l’y transportait, par ordre de l’empereur Valence, le char qui le conduisait s’arrêta d’abord à Chalcédoine, sans que nulle force d’hommes ni de bœufs pût l’entraîner plus loin. Mais par la suite, Théodose demanda à la jeune fille qui gardait la relique, dans l’église de Chalcédoine, si elle lui permettait d’essayer à nouveau de transporter la relique à Constantinople. Et la jeune fille le permit, se figurant que, cette fois encore, la sainte relique refuserait de sortir de la ville. Alors le pieux empereur, enveloppant la relique dans sa pourpre impériale, la transporta à Constantinople où il éleva en son honneur une église magnifique. Plus tard encore, sous le règne de Pépin, la sainte tête fut transportée en Gaule, à Poitiers, où, par ses mérites, plusieurs morts ressuscitèrent.
Notons ici en passant que, d’après une tradition, la jeune fille qui avait dansé pour obtenir la tête de saint Jean, aurait reçu, elle aussi, son châtiment, de même qu’Hérode, Hérodiade et Julien. Un jour qu’elle patinait sur la glace, la glace se fendit, et elle fut noyée. Ou encore, suivant d’autres, la terre s’ouvrit pour la dévorer.
4° Enfin l’on raconte que le doigt dont saint Jean s’était servi pour désigner le Seigneur ne put pas être brûlé avec le reste de ses os. Retrouvé par les moines susdits, ce doigt fut ensuite transporté par sainte Thècle au-delà des Alpes, et déposé par elle dans l’église de Saint-Martin. Mais, d’après Jean Beleth, c’est en Normandie que ce doigt aurait été porté par sainte Thècle, et une église consacrée en son honneur, ce même jour. Et de là viendrait le choix de ce jour pour commémorer la Décollation.
II. Dans une ville de Gaule appelée aujourd’hui Saint-Jean-de-Maurienne, une femme priait Dieu avec instance pour obtenir une relique de saint Jean. Et comme ses prières ne lui servaient de rien, elle s’enhardit jusqu’à faire le serment de ne rien avaler tant qu’elle n’aurait pas obtenu ce qu’elle demandait. Après plusieurs jours de jeûne elle aperçut, sur l’autel, un pouce d’une blancheur merveilleuse, et déjà elle s’empressait d’aller prendre cette sainte relique, lorsque survinrent trois évêques qui voulurent en avoir chacun leur part. Mais aussitôt, trois gouttes de sang tombèrent, du doigt miraculeux, sur le linge qu’ils tendaient au-dessous de lui. Et, laissant le doigt à la femme, chacun des évêques prit pour lui une de ces gouttes, en remerciant Dieu, du grand honneur qu’il daignait leur faire.
III. La reine des Lombards, Théodelinde, fit construire une riche église, en l’honneur de saint Jean-Baptiste, à Monza, près de Milan. Et Paul, l’historiographe des Lombards, raconte que les empereurs Constantin et Constant, qui désiraient arracher l’Italie aux Lombards, firent demander à un saint ermite quelle serait l’issue de la guerre. Et l’ermite répondit : « Saint Jean ne cesse pas d’intercéder pour les Lombards, par reconnaissance pour leur reine qui lui a élevé une église. Mais un temps viendra où cette église sera délaissée, et alors l’empire des Lombards prendra fin. » C’est en effet ce qui arriva, au temps de l’empereur Charlemagne.