« Si quelqu’un, jetant les yeux sur mes artisans, ne pouvait comprendre que Dieu, sans une matière incréée ait formé l’univers, vu qu’un statuaire ne peut travailler sans airain, un charpentier sans bois, un architecte sans pierres, nous lui demanderons quelle est son opinion sur la puissance divine. Dieu peut-il, avec une volonté ferme et déterminée d’arriver à son but, faire tout ce qui lui plaît ? Car, d’après tous ceux qui ont écrit sur la Providence, la même raison qui fait qu’il produit par sa puissance et sa sagesse ineffable, et comme il le veut, les qualités qui n’existaient pas, pour embellir le monde, fait aussi que sa volonté est capable de créer au besoin telle substance que ce soit. Si vous refusez à Dieu la vertu créatrice, que s’ensuivra-t-il ? C’est qu’il a été fort heureux de trouver une matière incréée. Sans cela, il n’eût pu faire aucun ouvrage, il n’eût jamais mérité le nom de Créateur, de père, de bienfaiteur, de bon, et tous ces autres noms qu’on lui prodigue avec raison. Mais comment a-t-il rencontré une quantité de matière tellement juste, qu’il n’y en ait eu ni trop ni trop peu pour la construction du monde ? Une Providence plus ancienne que lui la lui avait donc mesurée et veillait à ce que l’art qu’il possédait en lui-même ne la perdît pas en résultats inutiles, si sa nature n’était pas capable de le diriger dans la disposition d’un si immense ouvrage ? Encore cette matière eût-elle reçu les qualités qu’il voulait lui donner, s’il ne les eût auparavant créées en lui dans le nombre et le degré qu’il désirait communiquer ? Mais admettons l’éternité de la matière, nous dirons alors : Si la matière, sans avoir été fournie à Dieu par une Providence, était telle que si cette Providence l’eût créée, qu’a-t-il fait de plus que ce que le hasard peut faire ? Et si dans la supposition que la matière n’existât pas, il eût voulu la créer, qu’auraient fait de plus sa sagesse et sa Divinité qu’une chose semblable à la matière incréée ? Et si la matière créée par la Providence est la même que la matière existant sans la Providence, pourquoi ne pas retrancher du monde un architecte qui l’ait construit ? Or, autant il est absurde de dire que le monde, disposé avec tant d’art, ne doit rien à la main d’un sage ouvrier, autant est-il absurde de dire que cette immense quantité de matière, de qualités variées, si docile à la voix de Dieu, ne doive son existence qu’à elle-même. Si l’on nous objecte la comparaison d’un artisan qui ne peut rien sans matière, nous répondrons que cette comparaison n’est pas exacte, car la matière que la Providence fournit à un ouvrier n’est point première, mais seulement l’effet d’un art soit humain, soit divin. Ce raisonnement suffit pour réfuter ceux qui interprétant faussement ces paroles :
Or la terre était invisible et à l’état d’éléments, en concluent que la nature corporelle est incréée. »
Ainsi s’exprime Origène : l’Hébreu Philon dans son traité sur la providence, parle aussi de la matière en en termes.