Un prêtreg recueillait dans un vase le sang qui s’échappait de la plaie. Pour l’empêcher de se cailler, on l’agitait soigneusement. Le vase devait être profond, pour que l’on ne risquât pas d’en répandre mal à propos. Nulle part, si ce n’est dans Hébreux 9.19, où il est parlé du sacrifice qui eut lieu lors de la conclusion de l’alliance, il n’est question de mêler de l’eau à ce sang. — A partir de ce moment, les rites variaient selon le caractère plus ou moins expiatoire du sacrifice.
g – Si quelqu’autre qu’un prêtre le faisait, l’opération n’avait aucune valeur, tout était à recommencer. (Mischna Sébachim II, 1.)
Dans les sacrifices où la notion de l’expiation était secondaire (holocaustes, délit, prospérité), le prêtre faisait aspersion du sang tout autour de l’autel ; ou plutôt il en répandait en faisant le tour de l’autelh. (Lévitique 1.5 ; 7.2 ; 3.13). Nous disons qu’il en répandait pardessus le bord du vase, car tel est le sens du verbe Zaraq, זרק, qui est ici employé, tandis que c’est הזה, hiphil de נזה, qui signifie faire aspersion avec le doigt. Dans la règle, tout le sang était ainsi répandu, mais s’il en restait quelque peu au fond du vase, il fallait, d’après la tradition, le répandre dans un double canal qui se trouvait au sud-ouest de l’autel et qui allait déboucher dans la vallée du Cédron.
h – Philon. De Vict. § 5.
Dans les sacrifices pour le péché, l’aspersion du sang se faisait sur des objets et en des lieux tout particulièrement sacrés. Ces sacrifices étaient de différentes sortes. Dans certains cas, on mettait du sang aux cornes de l’autel d’airain (Lévitique 4.30, 34). Dans d’autres, plus solennels encore, on en apportait dans le lieu saint, et on en faisait par sept fois aspersion contre le voile qui séparait le lieu saint du lieu très saint (v. 6 et 17), et on en mettait aussi sur les cornes de l’autel d’ori. Dans le grand jour des expiations enfin, le sang était introduit dans le lieu très saint et répandu sur le propitiatoire.
i – Ce qui restait du sang était répandu dans le canal près de l’autel des holocaustes, comme ci-dessus.
Si l’on veut se rendre compte du sens de ces diverses cérémonies, il faut commencer par bien peser tous les mots de Lévitique 17.11, où la défense de manger du sang est motivée par cette considération : « L’âme de la chair est dans le sang et je vous l’ai donné sur l’autel pour expier (proprement pour couvrir) vos âmes, pour faire propitiation sur vos âmes, car le sang expie par l’âme (bannéphesch), c’est-à-dire au moyen de l’âme qui est en lui. » [Il ne manque pas d’autres exemples du be, ב, instrumental. Lévitique 7.7 ; Exode 29.33 ; Nombres 5.8 ; 2 Samuel 21.3. On pourrait aussi, pour ce qui est du sens, voir ici un be indiquant l’essence : en qualité d’âme. Mais dans ce cas il faudrait Benéphesch, sans article, et non Bannéphesch.]
La traduction ordinaire : le sang fait propitiation pour l’âme, — est fautive, car, pour ne rien dire de la tautologie qui en résulte, la grammaire s’oppose à ce qu’on dise Kipper be, כפר ב, et exige Kipper al, כפר על, ou bead, בעד, ou, plus rarement, Kipper, avec le simple accusatif. Dans Lévitique 6.26 ; 16.27, le be (baccodesch, בכדש), indique tout naturellement le lieu où a lieu l’expiation : « L’âme de toute chair est son sang dans son âme, » lisons-nous au v. 14 ; c’est-à-dire : L’âme de toute chair est son sang en tant qu’il est doué d’une âme, son sang animé. [בנפשו, Benapheschô a ici le même sens que dans Genèse 9.4 : « Vous ne mangerez point de chair dans son âme qui est son sang. »] Pourquoi ne pas dire tout simplement : L’âme de toute chair est son sang ? Pourquoi ajouter : dans son âme ? Pour que l’on ne puisse pas, dit fort bien Knobel, se représenter que la matière sanguine elle-même soit la vie, et que par exemple du sang caillé ou desséché, dont l’âme s’est séparée, soit encore quelque chose de vivant. Le sang dont le prêtre fait aspersion n’est point ce qui a été la vie de l’animal. Ce serait là introduire dans toutes ces cérémonies une idée tout à fait erronée. De même qu’il est souvent parlé dans l’A. T. d’eau vive, ou de viande fraîche en opposition à la viande cuite (1 Samuel 2.15), de même le sang qui bouillonne encore est du sang vivant ; il a encore de la vie en soi, il est encore uni à son âme. Le sang tout frais de la victime, qui est répandu sur l’autel, c’est une âme, une vie animale offerte pour une âme humaine, pour faire expiation en sa faveur, pour la couvrir.
En effet, expier en hébreu signifie couvrir. La faute doit être couverte, masquée aux yeux de celui à qui le sacrifice est offert, en sorte que dès ce moment le coupable puisse s’approcher de lui sans danger. Voyez Exode 30.12 ; Nombres 8.19 : « J’ai donné les Lévites pour faire expiation pour les enfants d’Israël, afin que les enfants d’Israël ne soient frappés d’aucune plaie, s’ils s’approchent du sanctuaire. » Voyez surtout Nombres 16.46, où l’encens qui représente la prière d’intercession du souverain sacrificateur et qui vient s’interposer entre la colère de Dieu et le péché du peuple, couvre ce péché et arrête la plaie. C’est la même pensée qui explique des passages comme Genèse 32.21 : J’apaiserai la face d’Esaü par une offrande ; Genèse 20.16 : Ce présent te sera un voile sur les yeux, et 1 Samuel 12.3 : un juge qui accepte un présent corrupteur, en a la vue obscurcie.
D’après Deutéronome 21.8 ; Jérémie 18.23 ; Michée 7.19, c’est Dieu lui-même qui couvre les péchés de son peuple au moyen du sang de la victime. Mais comme il y a des médiateurs entre Dieu et le peuple, c’est à eux que très souvent est attribué l’acte expiatoire : Lévitique 6.7 ; 10.17 ; 15.15, 30.
Une offense ne peut être couverte que par quelque chose qui satisfasse l’offensé, qui l’apaise, et c’est ainsi que de l’expiation nous arrivons à la notion voisine de rançon, λὺτρον. Exode 21.30 ; Nombres 35.31 ; Proverbes 6.35. Le riche a dans ses richesses une couverture de son âme, car elles peuvent dans certains cas servir à le tirer de grands dangers. (Proverbes 13.8)
Il faut naturellement qu’il y ait relation entre la rançon et l’offense, mais il n’est pas nécessaire qu’il y ait équivalence. Ce qui est nécessaire, c’est que le don par lequel on cherche à se couvrir, soit de nature à apaiser l’offensé.
L’expiation (Kopher, כפר), est l’opposé du châtiment, mais l’opposition n’est parfois que relative. Une peine légère, comme, par exemple, une amende, peut garantir d’une peine sévère (Exode 21.30. Voyez aussi Job 33.24 ; Ésaïe 27.9), où le peuple échappe à l’extermination grâce à ce qu’un châtiment beaucoup moindre a eu sur lui des effets salutaires.
On peut aussi bénéficier d’un châtiment qui est tombé sur autrui. Un pays souillé et maudit par un meurtre peut être garanti de la colère divine par la mort du coupable (Nombres 35.33). Il en est de même pour un peuple au sein duquel il s’est commis un forfait (Nombres 25.13 et Jos. ch. 7). C’est ainsi que Salomon peut dire dans Proverbes 21.18, que le méchant est la rançon du juste. Comp. Proverbes 11.8. La pensée même qu’un juste en se chargeant de la peine que mérite son peuple, peut lui procurer pardon et délivrance, n’est pas étrangère au Pentateuque : Moïse s’offre pour expier les péchés de son peuple ; seulement l’Éternel n’accepte pas cette proposition (Exode 32.32. § 29).
Maintenant, dans quel sens et comment l’âme de l’animal offerte à Dieu dans le sang du sacrifice, couvre-t-elle l’âme du pécheur ? D’une manière générale, on peut répondre que le coupable, qui n’osait s’approcher d’un Dieu trois fois saint, fait avancer devant lui l’âme d’une victime innocente et pure, tout à fait comme Jacob, quand il veut apaiser son frère, fait aller en avant un présent qui doit le mettre à l’abri de son ressentiment. Mais ce n’est pas tout. Y a-t-il substitution ? Est-ce parce qu’elle a commencé par subir la mort qu’il méritait, que l’âme de l’animal peut être présentée ainsi à la place du pécheur ? Y a-t-il eu application de la loi du talion ? Une âme a-t-elle été mise à la place d’une autre âme ? Il y a réellement quelque chose de semblable dans Deutéronome 21.1-9 : lorsqu’il s’était commis un meurtre, mais que l’auteur en était inconnu, on prenait une jeune vache et on lui rompait la nuque, ce qui est évidemment le symbole de la peine de mort que méritait le coupable. Mais à ne parler que des sacrifices ordinaires, la mort de la victime est-elle expiatoire, y a-t-il pœna vicaria ? Non ! a-t-on souvent répondu, car s’il en était ainsi, le sang chargé du péché de l’Israélite coupable ne pourrait être répandu sur l’autel, qui est un lieu où rien de souillé ne doit paraître. — Mais cette objection n’a aucune valeur, car, du moment qu’elle a passé par la mort, la victime n’est plus souillée ; elle est, par le fait qu’elle est immolée, déchargée de sa culpabilité d’emprunt ; la mort n’est-elle pas le salaire du péché ? — Toutefois, si l’on ne présente le sang sur l’autel que pour donner à Dieu l’occasion de montrer qu’il accepte la rançon qui lui a été payée, — pourquoi donc est-ce l’aspersion qui constitue l’acte expiatoire proprement dit, et non pas l’immolation ? (§ 126.)
Je veux bien que la loi, précisément parce qu’elle ne rattache rien de particulier à l’immolation, laisse d’autant plus de place aux réflexions et aux suppositions. Ainsi Bœhr dit fort bien que l’on ne peut se consacrer à Dieu sans faire le sacrifice de sa vie naturelle, et l’opinion que l’immolation est une exécution, est fort répandue, et présente un sens très facile à saisir. C’est du reste la manière de voir de Esa. ch. 53. Mais il n’en est pas moins vrai que la loi ne donne nulle part à penser que les sacrifices soient une exécution juridique, comme l’est l’interdit ; nulle part l’autel n’est présenté comme un lieu d’exécution. Si quelqu’un a mal et méchamment péché contre l’Éternel et contre sa loi, la justice de Dieu s’accomplit sans pitié à son égard, et il n’y a, précisément pour cela, plus de sacrifices pour lui. Le culte est une institution inspirée par la grâce de Dieu et non pas par sa justice, en faveur de ceux qui ont péché par faiblesse, mais qui cherchent la face de Dieu. L’accès auprès de Dieu leur est ouvert par les moyens que leur fournit le culte de se couvrir devant Dieu, moyens qui sont approuvés de Dieu, qui lui plaisent, qu’il agrée, sacrifices d’agréable odeur ; Leratzôn, לרצון, agréable est une expression qui revient sans cesse dans l’A. T. à propos des sacrifices. C’est ainsi que le sanctuaire, à l’entretien duquel était appliquée la capitation payée lors des dénombrements, capitation qui porte aussi le nom d’expiation, Kopher, כפר, — est lui-même appelé un mémorial devant l’Éternel, servant à couvrir les âmes des Israélites Exode 30.16)j. Où y aurait-il donc ici place pour une substitution de châtiment ?
j – Il me semble plus naturel de rapporter le mot de mémorial à la capitation plutôt qu’au temple (N. du T.).
Les prêtres, nous l’avons dit déjà au § 92, sont des médiateurs entre l’Éternel et le peuple ; et les cérémonies auxquelles ils président ont toutes pour but de couvrir l’assemblée d’Israël de devant la justice divine ; prêtres et lieux de culte ont les uns et les autres toujours de nouveau besoin de purification et d’expiation, et il n’y a rien d’aussi propre à montrer l’insuffisance de l’ancienne alliance et son incapacité à procurer une réconciliation véritable, que cette accumulation de rites purificatoires (§ 96). Mais une âme seule peut couvrir une âme et expier ses péchés. L’homme peut exprimer par une offrande sa reconnaissance ou ses vœux ; mais cette offrande, provenant d’un être impur, est impure elle-même ; elle ne peut plaire à Dieu que comme venant d’une personne qui s’est donnée elle-même à Lui. C’est pour cela qu’il y a une partie du culte qui est appelée tout spécialement à symboliser ce don de soi-même à Dieu ; c’est celle où l’âme d’un animal innocent et pur est substituée à l’âme impure et souillée de l’homme qui offre le sacrifice, et où cette âme est offerte à Dieu dans le sang de la victime, en sorte qu’elle se tient en quelque façon entre le pécheur et Dieu, qui peut désormais voir une vie pure sur son autel, — une vie sans tache qui couvre la vie tachée du pécheur. Cette pure essence sert en même temps à purifier le sanctuaire des souillures qui peuvent s’y être attachées. On demandera peut-être ce que devient alors, la justice divine ? N’en est-ce pas fait d’elle ? Point du tout ! On lui rend toute gloire en se reconnaissant coupable et en confessant, par le fait même du sacrifice que l’on offre, que l’on a besoin d’expiation et de réconciliation.
Voilà pourquoi Hébreux 9.14, peut parler de Jésus-Christ, qui par l’Esprit éternel, s’est présenté soi-même à Dieu sans aucune tache.
Ainsi donc, le sang joue dans les sacrifices un rôle tout à fait à part. Non pas, comme on l’a dit, que ce soit le don le plus noble qu’on puisse faire à Dieu, mais parce qu’en symbolisant le don de soi-même que l’on fait à Dieu quand on Lui offre un sacrifice, il rend possible l’acceptation de tous les autres dons. Maintenant, s’il y a aspersion de sang dans tous les sacrifices quelque peu complets, si dans les sacrifices de prospérité eux-mêmes, ce n’est qu’après l’aspersion que peut avoir lieu l’offrande, cela vient de ce que, toutes les fois que l’homme s’approche de Dieu, il sent précisément alors combien il est incapable d’entrer dans une communion immédiate avec un être aussi saint. Et s’il y a des sacrifices où le sang joue un rôle encore plus important que ce n’est le cas dans d’autres, c’est qu’il y en a qui tendent tout entiers à procurer l’expiation de celui qui les offre.
Au reste, ce que nous venons de dire d’une manière générale trouvera son application spéciale dans la description du sacrifice pour le péché et en particulier du jour des expiations.