[1] Les évêques de l'Asie, qui affirmaient avec force qu'il fallait conserver l'ancienne et primitive coutume qui leur avait été transmise, avaient à leur tête Polycrate. Lui-même aussi, dans une lettre qu'il écrivit à Victor et à l'église de Rome, expose en ces termes la tradition venue jusqu'à lui :
« [2] Nous célébrons donc avec scrupule le jour sans rien ajouter ni retrancher. C'est encore en effet dans l'Asie que se sont éteintes de grandes lumières ; elles ressusciteront au jour de la parousie du Seigneur, dans laquelle avec gloire il viendra des cieux, pour chercher tous les saints, Philippe, l'un des douze qui s'est endormi à Hiérapolis, ainsi que deux de ses filles qui ont vieilli dans la virginité ; une troisième qui vivait dans le saint Esprit, est décédée à Éphèse. [3] C'est encore aussi Jean, qui a reposé sur la poitrine du Sauveur, qui fut prêtre et portait la lame [d'or], martyr et docteur. Il s'est endormi à Éphèse. [1] C'est encore aussi Polycarpe à Smyrne, évêque et martyr. C'est Thraséas d'Euménie, évêque et martyr, qui s'est endormi à Smyrne. [5] Qu'est-il besoin de citer Sagaris, évêque et martyr, qui s'est endormi à Laodicée, et le bienheureux Papyrius, l'eunuque Méliton, qui a vécu entièrement dans le saint Esprit et repose à Sardes en attendant la visite des deux, dans laquelle il ressuscitera d'entre les morts ? [6] Ceux-là ont tous gardé le quatorzième jour de la Pâque selon l'Évangile, ne s'écartant en rien, mais suivant la règle de la foi.
« Et moi-même aussi, Polycrate, le plus petit d'entre vous tous, je garde la tradition de ceux de ma parenté dont j'ai suivi certains. Sept de mes parents ont en effet été évêques et je suis le huitième, et toujours mes parents ont célébré le jour où le peuple s'abstenait de pains fermentés. [7] Pour moi donc, mes frères, j'ai vécu soixante-cinq ans dans le Seigneur, j'ai été en relation avec les frères du monde entier, j'ai parcouru toute la Sainte Écriture, je n'ai pas peur de ce qu'on fait pour nous émouvoir, car de plus grands que moi ont dit : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. »
[8] il ajoute à cela, à propos des évêques qui étaient avec lui quand il écrivait et qui partageaient son avis, et il dit ceci : « Je pourrais faire mention des évêques qui sont ici avec moi, que vous avez désiré que je rassemblasse et que j'ai réunis. Si j'écrivais leurs noms, ils feraient un grand nombre ; ils connaissent ma petitesse et cependant ils ont approuvé ma lettre, sachant que je ne porte pas en vain des cheveux blancs, mais que j'ai toujours vécu dans le Christ Jésus. ».
[9] Sur ce, le chef de l'église de Rome, Victor, entreprend de retrancher en masse de l'unité commune les chrétientés de toute l'Asie ainsi que les églises voisines, les tenant pour hétérodoxes. Il notifie par lettres et déclare que tous les frères de ces pays-là sans exception étaient excommuniés. [10] Mais cela ne plut pas à tous les évêques, ils l'exhortèrent au contraire à avoir souci de la paix, de l'union avec le prochain et de la charité ; on a encore leurs paroles ; ils s'adressaient à Victor d'une façon fort tranchante. [11] Parmi eux encore se trouve Irénée, il écrivit au nom des frères qu'il gouvernait en Gaule. Il établit d'abord qu'il faut célébrer seulement le jour du dimanche le mystère de la Résurrection du Seigneur ; puis, il exhorte Victor respectueusement à ne pas retrancher des églises de Dieu tout entières ceux qui gardent la tradition d'une coutume antique et donne beaucoup d'autres avis ; il ajoute encore ceci en ces termes : [12] « Cette discussion en effet ne regarde pas seulement la date, mais aussi la manière même de jeûner ; car les uns croient qu'ils ne doivent jeûner qu'un jour, les autres deux, et les autres davantage. Certains comptent quarante heures du jour et de la nuit pour leur jour. [13] Cette diversité d'observances n'est pas de notre époque, mais bien antérieure à notre temps, nos devanciers qui ont avec exactitude, comme il semble, retenu cette coutume par simplicité ou ignorance, l'ont transmise après eux ; tous n'en gardaient pas moins la paix et nous la gardons les uns envers les autres, et la différence du jeûne confirme l'unanimité de la foi. »
[14] Irénée ajoute encore à cela un récit qu'il est convenable de citer ; en voici la teneur : « Parmi ceux-ci, les presbytres avant Soter qui ont présidé à l'église que tu gouvernes aujourd'hui, nous voulons dire Anicet, Pic, Hygin, Thélesphore, Xystus, ne gardaient pas, eux non plus, [les observances des Asiatiques] et ils ne les imposaient pas à ceux qui étaient avec eux, et, sans les garder, ils n'en restaient pas moins en paix avec ceux des chrétientés où cette coutume était en vigueur, lorsque ceux-ci venaient à eux ; pourtant la différence paraissait davantage entre ceux qui gardaient et ceux qui ne gardaient pas les observances. [15] Personne cependant n'était jamais chassé pour cette façon de se conduire, mais les presbytres qui l'ont précédé, qui eux-mêmes n'observaient pas cette coutume, envoyaient l'eucharistie à ceux des chrétientés qui la gardaient. [16] Le bienheureux Polycarpe, lui aussi, fit un séjour à Rome sous Anicet ; ils avaient entre eux divers autres différends de minime importance, ils furent rapidement d'accord, et sur ce chapitre ils ne chicanèrent pas. Anicet ne pouvait pas en effet persuader à Polycarpe de ne pas observer ce qu'avec Jean, le disciple de notre Seigneur, et avec les autres apôtres, dont il avait été le familier, il avait toujours observé. Polycarpe de son côté n'amena pas non plus à l'observance Anicet, qui lui dit qu'il fallait conserver la coutume des presbytres qui avaient précédé. [17] Les choses étaient ainsi ; ils restaient unis l'un à l'autre, et à l'église Anicet cédait l'eucharistie à Polycarpe, évidemment par déférence, et ils se quittèrent l'un l'autre en paix, et dans l'Église tous avaient la paix, qu'ils gardassent ou non l'observance. »
[18] Irénée portait vraiment son nom et par sa conduite il était pacificateur ; c'est ainsi qu'il conseillait et prêchait pour la paix des églises. Il écrivit, et non seulement à Victor, mais à beaucoup d'autres chefs d'églises, des choses analogues, pour les entretenir de la question agitée.