Nous sommes forcés encore de revenir à la charge pour réfuter l’erreur des valentiniens et du reste des hérétiques que l’on comprend à tort sous l’inexacte dénomination de gnostiques, lorsqu’ils prétendent que certaines parties principales des Écritures auraient été inspirées par les puissances supérieures du ciel, d’autres parties par les puissances moyennes, ce qui correspond à la mère du Prunique, et une grande partie par le créateur du monde, dont les prophètes auraient été spécialement les envoyés. Nous disons qu’il faut être tout-à-fait dépourvu de sens, pour supposer que l’auteur souverain de toutes choses aurait été si dénué de ressources et de puissance, que de ne pas avoir des organes chargés de publier et de faire connaître les choses du Plerum. Qui pouvait-il craindre, pour ne pas faire annoncer au monde librement et à découvert ses volontés et ses desseins, sans s’inquiéter de l’influence de l’esprit du mal, fils de l’erreur et de l’ignorance ? Peut-on supposer qu’il fût retenu par la crainte de donner un moyen de salut à ceux qui auraient ainsi connu la vérité dans sa plénitude ? Ou bien, n’aurait-il pas eu le pouvoir de former des prophètes pour annoncer l’avènement futur du Sauveur ?
Mais si le sauveur, après sa venue dans ce monde, a envoyé par toute la terre ses apôtres pour annoncer son avènement, ainsi que les desseins du Père, sans aucun mélange des doctrines des gentils ou des Juifs, à plus forte raison cela fait-il supposer qu’il aurait pu, étant encore dans le Plerum, envoyer des prophètes particuliers pour prédire son avènement futur, sans que ces prophètes fussent en aucun rapport de prophétie avec les prophètes de Demiurgos. Si donc, lorsqu’il était encore dans le Plerum, il s’est servi, pour prédire sa venue, de ces mêmes prophètes qui étaient ceux de l’ancienne loi, il aurait pu encore, après sa venue, se servir de cette même espèce d’hommes, pour faire annoncer son Évangile au monde. Ainsi, que nos adversaires ne nous disent donc plus que c’est Pierre et Paul, et tous les autres apôtres, qui auraient prêché la vérité évangélique, mais bien que ce sont les scribes, les pharisiens, et tous les autres par qui la loi ancienne avait été annoncée. Mais, s’il a envoyé ses apôtres prêcher selon l’esprit de vérité, et non selon l’esprit d’erreur, il s’est donc fait prédire selon ce même esprit par les anciens prophètes ; car il est toujours le même Verbe, toujours semblable à lui-même. Si cependant, d’après le système de ceux que nous combattons, l’esprit du Verbe a été un esprit de lumière, un esprit de vérité, un esprit de perfection, un esprit de véritable croyance, et qu’au contraire l’esprit qui provenait de Demiurgos fût un esprit d’ignorance, de dégradation, d’erreur, de ténèbres ; comment pourrons-nous maintenant comprendre que la perfection et l’imperfection, la croyance et l’absence de la croyance, l’erreur et la vérité, la lumière et les ténèbres, aient pu se confondre dans le même Verbe et émaner de lui ? Et si cette confusion n’a pu exister chez les anciens prophètes, et s’ils ont été inspirés par un même Dieu, en prêchant son Verbe et en annonçant sa venue, à plus forte raison notre Seigneur lui-même, en prêchant sa doctrine, soit dans les articles fondamentaux, soit dans les détails, n’a-t-il pu en même temps nous enseigner la vérité et l’erreur, et glorifier, tantôt le créateur du monde, tantôt un Dieu supérieur, et reconnaître pour son père, tantôt l’un, tantôt l’autre. Écoutons ce qu’il nous dit lui-même : « Personne ne met une pièce d’un vêtement neuf à un vêtement vieux ; autrement ce qui est neuf déchire le vieux, et la pièce neuve ne convient point à un habit vieux. De même personne ne met du vin nouveau en un vieux vase. » Ainsi, il faut que nos adversaires renoncent à faire aucun usage des prophètes, comme étant surannés, puisqu’ils ne veulent accepter d’eux que certaines prophéties, comme ayant reçu en cela l’inspiration de Dieu ; autrement il faudra leur appliquer la parole de notre Seigneur, qu’on ne met pas du vin nouveau en un vieux vase.
Comment d’ailleurs la mère Achamot, ou sa progéniture, aurait-elle pu connaître les mystères du Plerum et les annoncer au monde ? car elle était elle-même en dehors du Plerum, quand elle a engendré sa progéniture. Or, d’après les gnostiques, tout ce qui est hors du Plerum ne peut avoir la connaissance de la vérité, et reste plongé dans l’ignorance. Comment donc ce que la Mère aurait conçu au sein de l’ignorance, aurait-il pu annoncer la vérité ? et comment d’ailleurs admettre que la Mère aurait pu connaître les mystères du Plerum, elle qui avait été rejetée en dehors comme un fétus monstrueux sans figure et sans forme ? C’est là qu’elle prit une forme sous la main d’Horus, mais il lui défendit pour toujours l’entrée du Plerum, c’est-à-dire qu’il la priva ainsi de la connaissance de la vérité. Quand ils nous disent encore que la passion du Christ n’a été que le type du développement du Christ supérieur, et la cause où Horus aurait puisé le moyen de former la Mère, comment se tireront-ils de la difficulté, ne pouvant nous montrer nulle part la réalisation de ce type ? Quand et comment ce Christ supérieur aurait-il été abreuvé de fiel et de vinaigre ? où ses vêtements auraient-ils été déchirés et tirés au sort ? où a-t-il reçu le coup de lance au côté, d’où sortit du sang et de l’eau ? où a-t-il eu une sueur de sang ? et enfin où a-t-il réalisé tout ce que les prophètes avaient prédit de lui ? Et comment la Mère, ou sa progéniture, auraient-ils deviné des choses qui n’étaient pas encore arrivées, ou qui commençaient seulement de se réaliser ?
Nos adversaires élèvent encore sur le point capital de cette question quelques vaines objections, réfutées d’avance par les passages de l’Écriture que nous avons rapportés, et qui sont relatifs à l’avènement du Christ. Mais, quant à la nature de ces objections, ils ne s’entendent pas entre eux ; les uns parlent d’une manière, les autres d’une autre. Si, cherchant à connaître leur sentiment à cet égard, on questionne en particulier ceux qui passent parmi eux pour les plus habiles, l’un vous dira qu’il s’agit du Propator, c’est-à-dire de Bythus ; l’autre, du principe de toutes choses, c’est-à-dire de l’Unigénitus ; un autre, du père commun, c’est-à-dire du Verbe ; celui-ci vous parlera de quelqu’un des Æons qui habitent le Plerum ; celui-là, du Christ ; un autre, du Sauveur. Un plus habile peut-être, après s’être renfermé longtemps dans le silence, vous dira qu’il s’agit d’Horus ; puis un autre, de cette Sophia, qui habite au sein de la plénitude suprême ; enfin celui-ci, de la mère Achamot, qui habite hors du Plerum ; et un dernier vous dira qu’il s’agit du Dieu, créateur du monde. Telles sont leurs diverses opinions sur la nature de Dieu et sur les Écritures : on ne les trouve d’accord que sur un point, c’est qu’en fronçant le sourcil et en branlant la tête, ils veulent bien vous dire qu’ils ont sur ces points des connaissances profondes, mais qui ne sont pas à la portée de toutes les intelligences ; aussi le silence est-il en grande estime parmi ces sages ; et je crois qu’ils feront bien de mettre à la réforme Sigée, leur dieu suprême et invisible, puisqu’ils ne savent rien dire pour le faire connaître. Voilà comme sont tous nos adversaires, ne pouvant jamais s’accorder sur rien, et dissimulant leur honte secrète ; ainsi, quand ils voudront bien s’entendre entre eux sur quelque point de l’Écriture, nous les prévenons que nous sommes tout prêts à les réfuter. Au milieu de leurs doctrines criminelles, ils ne laissent pas d’être intérieurement très-peinés de s’entendre si mal entre eux. Quant à nous, qui n’avons qu’une doctrine et qu’une règle de vérité, nous sommes tous d’accord pour reconnaître et pour adorer un seul et même Dieu, sur lequel nous n’avons jamais varié, le considérant comme l’unique Dieu, comme l’auteur de tout ce qui existe, celui qui a envoyé les prophètes, qui a retiré autrefois son peuple de la terre d’Égypte, et qui enfin a envoyé son propre Fils sur la terre pour confondre les incrédules et pour récompenser ceux qui auront pratiqué la justice.