1.[1] Le roi Ézéchias, après avoir survécu le temps que nous venons d’indiquer et joui constamment de la paix, meurt âgé de cinquante-quatre ans, après vingt-neuf ans de règne. Son fils Manassès, héritier de son trône, était né d’une citadine, nommée Achiba[2] ; il rompit avec les traditions de son père et suivit une voie toute contraire, faisant paraître dans sa conduite toute espèce de scélératesses et n’omettant aucune impiété, imitant au contraire les transgressions. des Israélites, dont les péchés envers Dieu avaient causé la perte ; il osa même profaner le Temple de Dieu, ainsi que la ville et tout le pays. En effet, il poussa le mépris envers Dieu jusqu’à mettre à mort cruellement les plus vertueux d’entre les Hébreux, sans épargner même les prophètes[3]. Il en égorgea plusieurs tous les jours, au point que Jérusalem ruissela de sang. Irrité de ces crimes, Dieu envoie des prophètes vers le roi et le peuple, pour les menacer des mêmes calamités qui avaient puni les offenses de leurs frères Israélites envers lui. Mais eux n’ajoutaient pas foi à ces paroles qui auraient pu les préserver de tomber dans le malheur : les faits devaient leur apprendre combien étaient véridiques les prédictions des prophètes.
[1] II Rois, XX, 21 ; XXI, 1 ; II Chroniques, XXXII, 33 ; XXXIII, 1.
[2] Hébreu : Hefci-Bah ; LXX : Άψιβά (A : Όφσιβά).
[3] D’après la Bible (Rois, XXI, 6), Manassé fit passer son fils (ses fils d’après la Chronique, XXXIII, 6) par le feu et (v. 16) répandit le sang en si grande abondance que Jérusalem en était remplie d’une extrémité à l’autre. Josèphe s’inspire pour le meurtre des prophètes, dont il n’est pas fait mention dans l’Écriture, d’une tradition qui se retrouve dans le Talmud, mais visant particulièrement Isaïe. D’après une baraïta (Yebamot, 49 b), Siméon ben Assai (IIIe siècle apr. J.-C.) disait avoir trouvé à Jérusalem un rouleau (Meguillat Yohassin) où se trouvaient ces mots : « Manassé tua Isaïe ». Cf. Sanhédrin, 103 b (jer., 28 c). Ce rouleau n’est pas sans rapport avec l’écrit apocryphe concernant le meurtre d’Isaïe auquel fait allusion Origène en plusieurs passages, entre autres ad Matt., 13, 57, 23, 27 (cf. Schürer, Geschischte des jüdishen Volkes, III, 280 suiv.).
2.[4] En effet, comme ils persévéraient dans les mêmes crimes, Dieu suscita contre eux en guerre le roi des Babyloniens et des Chaldéens[5]. Celui-ci envoya une armée en Judée, qui dévasta le pays, se saisit par ruse du roi Manassé et l’emmena à Babylone où son vainqueur le tint à sa merci pour le châtiment qu’il lui destinait. Manassé, comprenant alors dans quels maux il s’était plongé et s’en jugeant-lui-même seul responsable, supplia Dieu de lui rendre l’ennemi humain et pitoyable. Dieu exauça sa prière, et Manassé, relâché par le roi des Babyloniens, s’en retourna sain et sauf dans sa patrie. Rentré à Jérusalem, il s’efforça de bannir de son âme, autant que possible, jusqu’au souvenir de ses fautes passées envers Dieu, et s’appliqua[6] (à servir celui-ci) et à lui témoigner une parfaite piété. De plus, il sanctifia le Temple, purifia la ville et ne fut occupé désormais qu’à rendre grâce à Dieu de l’avoir sauvé et à se conserver la faveur divine pour toute sa vie. Il enseigna au peuple à agir de même, sachant quelle calamité il avait failli subir pour avoir suivi une conduite contraire. Avant aussi restauré l’autel, il y offrit les sacrifices d’usage, selon les prescriptions de Moïse. Quand il eut organisé dans les formes tout ce qui avait trait au culte, il se préoccupa aussi de la sécurité de Jérusalem ; à cet effet il répara avec le plus grand soin les anciennes murailles, les flanqua d’une seconde enceinte, fit dresser, des tours très élevées et remplit les fortins qui se trouvaient devant la ville de toutes sortes d’approvisionnements et notamment du blé nécessaire, de manière à les rendre plus résistants. En un mot, persévérant dans sa conversion, il mena le reste de sa vie de telle sorte qu’il fut estimé heureux et parut digne d’envie depuis le moment où il avait commencé de révérer Dieu. Il mourut à l’âge de soixante-sept ans, après en avoir régné cinquante-cinq. On l’ensevelit dans ses propres jardins ; la royauté échut à son fils Amos(os)[7], dont la mère s’appelait Emalsema[8], originaire de la ville de Yabaté[9].
[4] II Chroniques, XXXIII, 11.
[5] Hébreu : le roi d’Assyrie.
[6] Texte altéré. On peut lire, avec Niese Θεώ δέ δουλεύειν (mss. : ών έπιβουλεύειν).
[7] Hébreu (II Rois, XXI, 19) : Amôn ; LXX : Άμώς.
[8] Hébreu : Meschoullémét ; LXX : Μεσολλάμ (A. : Μασαλλαμείθ).
[9] Hébreu : Yateba ; LXX : Ίετέβα.