Notre Seigneur n’a-t-il pas dit, en s’adressait à Jérusalem : Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, « comme la poule rassemble ses petits, et tu ne l’as pas voulu ? » Le Christ, par ces paroles, a proclamé la loi primitive de la liberté de l’homme. Car Dieu a créé l’homme libre, dès le commencement ; il l’a laissé maître de son âme, comme du pouvoir de choisir, sans être influencé par la puissance de Dieu. Car Dieu n’use jamais de violence ; toutes ses œuvres sont réglées par l’esprit de sagesse, et il n’inspire que de sages pensées à tous, il a donc doué l’homme, de même que les anges, de la faculté de choisir, (car les anges sont doués d’une âme raisonnable) ; ainsi ceux qui font le bien, reçoivent pour récompense le bonheur, qui est, il est vrai, un don de Dieu, mais dont le dépôt est confié à l’homme. Au contraire, ceux qui ne suivent pas les règles de la justice, seront trouvés vides de bonnes œuvres, et recevront un châtiment proportionné à leur démérite ; car Dieu nous accorde gratuitement le don de bien famé, et ceux qui ne le mettent pas à profit dédaignent «le don précieux, et outragent ainsi Dieu dans sa bonté ; et dès qu’ils refusent et dédaignent le bien, ils tomberont avec justice sous le jugement de Dieu. C’est ce dont nous assure saint Paul, lorsqu’il dit dans son épître aux Romains : « Est-ce que vous méprisez les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longue tolérance ? Ignorez-vous que la bonté de Dieu vous invite à la pénitence ? Et cependant, par votre dureté et par l’impénitence de votre cœur, vous vous amassez un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres. » Dieu nous a donc donné le pouvoir de bien faire, comme dit l’apôtre dans cette même épître, et ceux qui l’opéreront en recevront la gloire et la récompense, parce qu’ils l’auront fait lorsqu’ils avaient le pouvoir de ne le pas faire ; et ceux qui ne font pas le bien, tomberont dans les mains de Dieu, parce qu’ils n’auront pas fait le bien lorsqu’ils avaient le pouvoir de le faire.
Car, si les hommes étaient les uns naturellement bons, les autres naturellement méchants, ceux qui seraient bons forcément ne mériteraient pour cela aucune louange, puisqu’ils ne pourraient être autrement ; et ceux qui seraient méchants ne mériteraient aucun blâme par la même raison. Mais, parce qu’ils sont tous doués des mêmes facultés, et avec le pouvoir de faire le bien, ou de faire le mal ; ils sont dès lors aux yeux des hommes raisonnables (et à plus forte raison aux yeux de Dieu), dignes de mérite et de démérite, de récompense ou de punition. Voilà pourquoi les prophètes exhortaient les hommes à accomplir la justice, et à faire le bien, comme nous l’avons déjà démontré par un grand nombre de preuves ; parce que le pouvoir de bien faire est dans l’homme, et parce que, par sa négligence, il peut perdre de vue les traces du bien et laisser éteindre en lui le flambeau de la raison. Car, tant que nous aimerons le bien, Dieu nous fournira de salutaires inspirations, et nous enseignera sa vérité par la voix des prophètes.
C’est pourquoi notre Seigneur a dit : « Ainsi, que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. Prenez donc garde à vous, de peur que vos cœurs ne s’appesantissent dans les festins et dans l’ivresse, et dans les soins de cette vie, et que ce jour ne vienne soudain sur vous. Que vos reins soient entourés d’une ceinture, et que vos lampes brûlent en vos mains, comme des serviteurs qui attendent que leur maître revienne des noces, se tenant prêts à lui ouvrir dès qu’il frappera à la porte. – Bienheureux sont ces serviteurs que leur maître trouvera veillants quand il viendra. Et ce serviteur, qui a connu la volonté de son maître, et ne l’a point exécutée, et ne s’est pas tenu prêt, sera frappé de coups. – Mais pourquoi m’appelez-vous Seigneur, et ne faites-vous pas ce que je dis ? – Que si le serviteur se dit à lui-même, mon maître ne viendra pas sitôt ; et qu’il commence à battre les serviteurs et les servantes, et à manger et à boire et à s’enivrer : le maître de ce serviteur-là viendra le jour où le serviteur ne l’attend pas, et à l’heure qu’il ne pense pas, et il le séparera, et il lui donnera sa part avec les infidèles. »
Ces passages, et un grand nombre d’autres que nous pourrions rapporter, démontrent que l’homme est le maître de sa volonté, que Dieu seulement nous instruit par sa grâce en nous inspirant l’obéissance, mais sans user envers nous d’aucune contrainte.
Et, en effet, celui qui ne veut pas suivre la loi de l’Évangile, peut bien en agir ainsi, mais il aura lieu de s’en repentir. Car l’homme a la liberté de désobéir à Dieu et de renoncer à son salut ; mais il n’en est pas moins vrai qu’en agissant ainsi, il se fait à lui-même un tort immense. C’est ce qui fait dire à saint Paul : « Tout m’est permis, tout ne m’est pas expédient. » Dieu n’exerce nulle contrainte sur la volonté de l’homme ; c’est dans ce sens que tout lui est permis ; mais tout ne lui est pas expédient ; ce qui nous avertit de prendre garde d’abuser de notre liberté ; car nous aurions à nous repentir. C’est pour éviter ces fâcheuses conséquences que l’apôtre nous dit encore : C’est pourquoi renonçant au mensonge, que chacun de vous parle à son prochain selon la vérité. » Et plus loin : « Que votre bouche ne profère aucune parole mauvaise ; mais que tout ce que vous direz soit propre à nourrir la foi et communiquer la grâce à ceux qui vous entendent. » Et encore : « Vous n’étiez autrefois que ténèbres ; mais maintenant, vous êtes lumière en notre Seigneur ; marchez donc comme des enfants de lumière, et non dans la débauche et les festins, dans les impudicités et dans les dissolutions, dans les querelles et les jalousies. C’est ce que quelques-uns de vous ont été autrefois : mais vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ et par l’esprit de Dieu. » Or, si nous n’avions pas en nous le pouvoir de faire ou de ne pas faire ces choses, quel motif notre Seigneur, et ensuite l’apôtre, aurait-il eu pour nous enseigner de faire les unes et d’éviter les autres ? Ainsi l’homme, dès le moment de sa création, a été fait libre, à la ressemblance de Dieu, qui est souverainement libre ; ce qui n’empêche pas qu’il ne conseille à l’homme de faire le bien, parce qu’en le faisant dans un sentiment d’obéissance envers Dieu, celui-ci s’avance de plus en plus vers la perfection.
L’homme jouit de son libre arbitre, non-seulement dans ses actions, mais encore dans sa foi ; ce qui le prouve, c’est que notre Seigneur a dit aux aveugles qu’il guérissait : « Qu’il vous soit fait selon votre foi ; » pour montrer par-là que l’homme est le maître de sa foi, parce qu’il est le maître de sa pensée. Et encore dans une autre circonstance il a dit : « Toutes choses sont possibles à celui qui croit. » Tout cela prouve que l’homme est bien libre dans sa foi. C’est pour cela « que qui croit au Fils a la vie éternelle ; qui est incrédule au Fils, ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. » C’est encore dans le même sens, et pour prouver que l’homme est maître du bien qu’il fait, et qu’il possède le libre arbitre de sa volonté, que le Seigneur disait, en parlant à Jérusalem : « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ? Voilà que votre maison sera abandonnée. »
On ne peut soutenir un système contraire à cette liberté de l’homme, sans accuser Dieu ou d’impuissance, puisqu’il n’aurait pu donner la perfection à son œuvre ; ou d’ignorance sur la nature des choses, puisqu’il aurait cru pouvoir communiquer son immortalité à des êtres qui n’auraient pas été capables d’en être doués. Mais, nous dit-on, le Créateur aurait dû former les anges de telle sorte qu’ils auraient été dans l’impossibilité de désobéir à ses volontés, et rendre l’homme incapable de se rendre coupable d’ingratitude envers Dieu, ainsi qu’il l’a été. Pourquoi faire l’homme doué de raison, de pensée et de jugement, et ne pas lui donner, comme aux animaux, une nature invariable qui obéit à des lois constantes, qui par conséquent ne juge ni n’examine, et qui ne peut être que ce qu’il lui a été ordonné d’être ? C’est ainsi, en effet, que sont les animaux, dénués d’âme et d’esprit, n’ayant aucune volonté réfléchie, qui suivent toujours la même ligne sans en dévier jamais, et sont poussés à tout ce qu’ils font par une force qui leur est inconnue. Qu’est-ce à dire ? Ceux qui élèvent de semblables difficultés sont donc des gens qui ont en horreur ce qui est bien, et qui regrettent que Dieu ait bien voulu entrer en communication avec l’homme, et qui eussent préféré un bonheur qui n’eût coûté ni soins, ni vigilance, ni mouvement, et qui fût venu comme de lui-même. Mais dans ce cas, qu’eût été leur existence ? un mouvement d’une force aveugle, privée de sentiment, de pensée et de fatuité de choisir ? mais alors, ils n’auraient pu avoir aucune jouissance, ne pouvant discerner ce qui beau et ce qui est bon. Peut-on admettre la jouissance d’un bien quelconque, chez ceux qui ignorent ce bien même ? La gloire ne suppose-t-elle pas qu’on a fait quelque chose pour la mériter ? Et peut-il y avoir de victoire Sans combat ?
Voilà pourquoi notre Seigneur nous enseigne qu’il faut entrer par violence dans le royaume des cieux : « Le royaume des cieux souffre violence, et les violents seuls le ravissent, c’est-à-dire qu’il est le prix du combat, du courage et de la vigilance. » C’est dans ce sens que Saint Paul en parle dans l’épître aux Corinthiens, quand il dit : « Ne savez-vous pas que quand on court dans la lice, tous courent, mais un seul remporte le prix. Courez donc de telle sorte que vous le remportiez. Tous les athlètes vivent dans une grande continence : cependant ce n’est que pour gagner une couronne corruptible, au lieu que nous en attendons une incorruptible. Moi donc je cours, et je ne cours pas au hasard ; je combats, et je ne frappe pas vainement l’air : mais je châtie rudement mon corps et le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même. » Ainsi donc saint Paul, comme un bon athlète, nous invite à suivre son exemple et à courir au combat de l’immortalité, afin de mériter la couronne de gloire, qui sera d’autant plus précieuse à nos yeux, qu’elle nous aura coûté davantage. Plus rude a été le combat, plus belle est la victoire, et plus la victoire est belle, plus elle nous est chère. Et, en effet, on aime bien davantage ce qui nous a coûté mille travaux et mille soins, que ce qui ne nous a donné aucune peine. Aussi le Christ, et après lui l’apôtre, nous enseignent-ils, qu’afin d’en aimer Dieu davantage, sa recherche doit être pour nous pleine de travail et de sollicitude. D’ailleurs, un bien qui ne nous coûterait aucune peine à obtenir ne pourrait être qu’une chimère. Le don de la vue nous serait-il si précieux, si nous ne pouvions apprécier combien est grand le malheur d’en être privé ? la santé n’a de prix que parce que nous connaissons la maladie ; les ténèbres font apprécier la lumière, et la mort fait apprécier la vie. Il en est de même du séjour des cieux, qui sera d’autant plus glorieux pour nous qui aurons connu le séjour de la terre. Mais nous l’aimerons davantage en raison même de cette gloire : et c’est par cet amour que notre mérite sera plus grand aux yeux de Dieu. Ainsi, c’est pour notre plus grand avantage et notre plus grand bien que Dieu a disposé toutes choses comme elles sont ; afin que, sachant ce que nous avons à faire, nous ne soyons point pris au dépourvu, et que nous persévérions à l’aimer, comme il le veut. Dieu a fait éclater sa miséricorde en pardonnant à l’homme son péché ; et l’homme doit être instruit de ce qu’il doit faire en connaissant cette miséricorde de Dieu ; et comme le dit le prophète : « Ta malice s’élèvera contre toi ; » Dieu a tout fait pour donner à l’homme les moyens d’arriver à la perfection, et pour lui faire connaître sa volonté et ses desseins. C’est ainsi que Dieu fait éclater sa bonté, que sa justice s’accomplit, et que son Église devient l’image et la figure de son Fils, et qu’elle travaille à rendre l’humanité digne du ciel, digne de voir et de comprendre Dieu.