Histoire de l'Église - Théodoret de Cyr

LIVRE V

CHAPITRE III
NOUVEAUTÉS INTRODUITES PAR APOLLINAIRE. SAGE CONDESCENDANCE DE MÉLÈCE

Les défenseurs de la doctrine des Apôtres étaient divisés en deux partis, comme nous l'avons déjà dit. Les uns ayant détesté la perfidie des Ariens, incontinent après le piège dressé à Eustate, s'étaient assemblés à part sous la conduite de Paulin, et les autres sous celle de Mélèce, aussitôt qu'Euzoïus eut été ordonné. Outre cela Apollinaire de Laodicée s'était fait chef d'un troisième parti. On avait cru d'abord qu'il avait de la piété, et qu'il soutenait la doctrine des Apôtres ; mais on reconnut depuis, qu'il la combattait. Il parla de la nature de Dieu d'une manière fort impropre. Il s'imagina qu'il y avait divers rangs, et il eut la hardiesse d'avancer que le mystère de l'Incarnation est un mystère imparfait, et que l'âme raisonnable qui doit conduire le corps, n'a point eu de part au salut. Il a cru que le Verbe qui est Dieu, ne lui a point fait l'honneur de s'unir à elle, et qu'il ne l'a point rachetée. Ainsi le corps qui n'est que de terre, a été élevé jusqu'à être respecté par les esprits invisibles, et l'âme qui est l'image de Dieu, est demeurée couverte de la honte du péché. Il a publié beaucoup d'autres erreurs semblables, par un déplorable aveuglement. Il demeurait quelquefois d'accord que le Verbe a pris un corps dans le sein de la Vierge  ; quelquefois il assurait que ce corps est descendu du Ciel avec le Verbe ; et enfin il disait d'autres fois, que le Verbe s'est fait chair sans rien prendre de notre nature. Il mêla parmi les promesses que Dieu nous a faites, des fables, et des bagatelles qui ne méritent pas d'avoir place dans mon ouvrage. Il corrompit par le poison de cette doctrine, non seulement ceux qui suivaient son parti ; mais aussi quelques-uns de la communion de l'Église Catholique. Néanmoins quand ceux qu'il avait infectés de la sorte, firent depuis réflexion, d'un côté sur leur petit nombre, et sur leur faiblesse, et de l'autre sur la majesté de l'Église, et sur la multitude des fidèles qui la composent, ils se réunirent à elle, sans renoncer absolument à l'impiété de leurs sentiments. C'est de cette racine corrompue qu'est sortie l'opinion qui est parmi nous, que la divinité, et la chair de Jésus-Christ sont d'une même nature ; que la divinité a souffert, et plusieurs autres erreurs, qui ont excité de grandes contestations entre le Clergé, et le peuple des Provinces ; mais cela n'est arrivé que depuis. Lorsque Sapor Maître de la Milice fut arrivé à Antioche, et qu'il y eut proposé les ordres qu'il avait reçus de l'Empereur, Paulin dit qu'il communiquait avec Damase. Apollinaire dit la même chose, à dessein de cacher ses erreurs. Mèlèce demeurait cependant en repos, et écoutait leur contestation. Flavien qui n'était alors que dans l'ordre des Prêtres, parla à Paulin en ces termes, en présence de Sapor :

Si vous communiquez avec Damase, faites-nous voir que vous teniez la doctrine, pour lui il confesse une substance, et trois hypostases dans la Trinité, et vous au contraire ne connaissez point ces trois hypostases. Montrez-nous que vous soyez d'accord avec lui touchant la doctrine, et nous consentirons que vous preniez la conduite de l'Église.

Ayant ainsi fermé la bouche à Paulin, il se tourna vers Apollinaire, et lui dit :

Je m'étonne de la hardiesse que vous avez de combattre si ouvertement la vérité. Vous savez que Damase assure que le Verbe s'est uni à un homme entier, et parfait. Vous dites le contraire, quand vous soutenez que l'âme n'a point eu de part à la grâce de la Rédemption. Que si ce que nous disons est une calomnie, renoncez à la nouveauté que vous avez inventée, embrassez la doctrine de Damase, et a prenez possession des Églises.

Mélèce le plus doux, et le plus modéré de tous les hommes, tint à Paulin ce discours tout rempli de la tendresse de la charité.

Puisque Dieu m'a confié la conduite de ce troupeau, et que vous en avez un autre, qui s'accorde avec le mien touchant les points de la foi, ne faisons qu'un troupeau de ces deux-là, ne contestons point pour la primauté, et prenons tous deux un soin égal du salut de ces âmes qui nous sont commises. Si le premier Siège de cette Église est entre nous un sujet de dispute, mettons-le entre nous deux, plaçons dessus le saint Évangile ; si je meurs avant vous, vous demeurerez seul Évêque, et si votre mort précède la mienne, je tacherai de conduire seul le troupeau, selon que Dieu m'en fera la grâce.

Paulin rejeta cette condition, que Mélèce lui avait offerte avec tant de douceur, et tant de bonté. Le Maître de la Milice ayant fait une sérieuse réflexion sur l'affaire, mit Mélèce en possession des Églises, et Paulin continua de conduire ceux qui s'étaient séparés du reste du troupeau.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant