Tout dans les sacrifices de prospérité, jusqu’à l’aspersion du sang y comprise, se passait comme dans les holocaustes, à cette seule différence près que la "victime n’était pas immolée au nord de l’autel. Mais à partir de l’aspersion du sang, le sacrifice de prospérité commence à se distinguer sensiblement de l’holocauste. Au lieu de toute la victime, ce ne sont que les parties grasses ce qu’il y a de mieux dans la victime, qui sont brûlées (Lévitique 3.3-5, 9-11, 14-16 ; 9.19).
[« Flos carnis, » dit Neumann. De là vient le sens si étendu que la Bible donne au mot de graisse : manger la graisse de la terre (Genèse 45.18) ; la graisse de l’huile, du moût et du froment (Nombres 18.12 ; Deutéronome 32.14). Keil voit en outre dans la graisse des animaux un symbole de l’homme intérieur. Mais n’aurait-il pas fallu plutôt dans ce cas offrir à l’Éternel le cœur des victimes ? — Maïmonide attribue un but hygiénique à la défense de manger la graisse des bêtes sacrifiées. Mais alors il eut fallu défendre d’une manière absolue l’usage de la graisse. Puis, observe Bæhr (Symb. II, 382), on n’aurait osé offrir à l’Éternel une nourriture malsaine.]
Dans les offrandes qui étaient de gros bétail, ou bien d’entre les chèvres, les parties grasses étaient au nombre de quatre, la graisse des intestins, celle qui les recouvre, les rognons et le foie ; dans les offrandes qui étaient d’entre les moutons, il y avait, de plus : la graisse de la queue. La graisse qui se trouvait mêlée à de la chair n’était pas sacrifiée : il était permis de la manger et ce n’est pas à de pareils morceaux que se rapporte la défense Lévitique 7.23-25, mais seulement aux parties grasses qui pouvaient se détacher de ce qui les entourait. C’est bien a tort qu’on a prétendu que la graisse était une nourriture prohibée comme le sang. Lévitique 7.25, dit expressément : « Si quelqu’un mange de la graisse d’une bête qui doit être offerte par le feu à l’Éternel, que cette personne soit retranchée d’entre ses peuples. »
Dans les sacrifices de prospérité offerts par des particuliers, il fallait encore, après que la graisse avait été enlevée, que l’Israélite remit de ses propres mains au prêtre, la poitrine et l’épaule droite, pour être tournoyées ou élevées devant l’Éternel (Lévitique 7.29-34). Qu’est-ce qu’une offrande tournoyée (תנופה, Tenoupha) ? Est-ce la même chose qu’une offrande élevée (תרומה, Terouma) ? Voilà ce qu’il nous faut examiner maintenant.
Voici, d’après la tradition et d’après Exode 29.24 ; Lévitique 8.27 et sq., en quoi consistait la cérémonie du tournoiement : l’Israélite étendait les deux bras horizontalement devant lui, comme pour recevoir quelque chose dans les paumes de ses mains. Le prêtre y déposait en effet la victime, puis il soutenait de ses mains-celles de l’Israélite, il leur imprimait un mouvement de va-et-vient qui, d’après le Talmud, consistait uniquement à avancer et à retirer la victime, mais qui, d’après une tradition postérieure, était combiné d’un mouvement de droite et de gauche, en sorte que la victime se trouvait portée successivement vers les quatre points cardinaux.
[Sacrifices de prospérité, consécration des prêtres (Lévitique 8.25), Naziréat (Nombres 6.20), sacrifices de jalousie (v. 25), sacrifices pour le délit offerts par des lépreux guéris (Lévitique 14.12), premiers épis de Pâques, premiers pains de Pentecôte et agneaux des sacrifices de prospérité, tels étaient les cas où il y avait tournoiement de l’offrande. Les agneaux des sacrifices de prospérité et des sacrifices pour le délit offerts par des lépreux, étaient tournoyés avant d’être immolés. C’était, par conséquent, l’animal tout entier qui était tournoyé dans ces cas-là.]
A prendre cette cérémonie sous sa forme la plus simple, elle s’explique fort aisément : en poussant la victime en avant, on la présente à l’Éternel à qui proprement elle appartient ; en la retirant, on indique que Dieu cède cette offrande au prêtre, et, en effet, le tournoiement ne se rencontre presque jamais que dans les sacrifices dont une partie au moins était dévolue aux prêtres. Le tournoiement qui avait lieu lors de la consécration des Lévites, n’avait point un autre sens, car (Nombres 8.19) les Lévites sont à l’Éternel, mais l’Éternel les donne, les cède aux prêtres de la famille d’Aaron pour les aider dans leur ministère. — Mais si le tournoiement se faisait aussi à droite et à gauche, la signification en est moins transparente. Cela doit rappeler, dit-on, que Dieu est présent partout. Mais on ne comprend pas l’à propos de la chose. Pourquoi rappeler la toute-présence de Dieu lors des sacrifices dont l’Éternel ne garde qu’une partie, plutôt que lors de ceux qu’il accepte tout entiers ?
Maintenant, que faut-il entendre par l’élévation d’une victime ? La plupart des Rabbins et beaucoup de théologiens modernes, spécialement Kurtz, y voient une cérémonie à part, différente du tournoiement : la victime était élevée vers le ciel, puis abaissée vers la terre, car Dieu est à la fois dans les cieux et sur la terre ; ce mouvement vertical pouvait être combiné avec le mouvement horizontal du tournoiement ; mais ce n’était jamais le cas pour les parties de la victime qui étaient consumées sur l’autel, parce qu’elles appartenaient exclusivement à Dieu, comme, par exemple, le mémorial du sacrificateur et la graisse (Lévitique 2.9 ; 4.8, 10 et sq.) ; et c’est pour cela, dit-on, qu’élever une offrande et la consumer sont deux choses qui vont ordinairement ensemble.
Or, on ne peut nier que la tradition n’ait fait de l’élévation une cérémonie à part, mais je ne crois point que le Pentateuque en parle dans ce sens-là. Non, pour être dans le vrai, il faudrait dire enlèvement bien plutôt qu’élévation : telle ou telle partie de la victime est enlevée pour être présentée à l’Éternel.
[Remarquez, un effet, qu’il n’est jamais dit : Lever vers l’Éternel ou en présence de l’Éternel, mais bien : pour l’Éternel. Et non seulement cela, mais souvent la particule partitive min, מן, est là pour indiquer à quel tout est enlevée la partie (Lévitique 2.9 ; 4.8, 10 ; 6.8, sq.). Dans Lévitique 2.9, hérim min, הרים ן, répond au quamatz min, קמט מן du v. 2. Dans Lévitique 4.10, houram, יורם, répond au houmar, הומר, des v. 31 et 35. — Dans Exode 35.22 ; 38.24, c’est le mot Teroupha (offrande tournoyée), qui est employé pour désigner les objets en or qui sont donnés par le peuple pour le sanctuaire, tandis que c’est le mot Terouma (offrande prélevée sur un tout), qui est employé pour désigner les dons en argent et en airain, lesquels ne sont qu’une partie de l’argent et de l’airain que possédait le peuple. — Dans Deutéronome 18.3, nous trouvons une prescription qui a embarrassé plusieurs interprètes : « Voici ce que les prêtres ont le droit de réclamer du peuple, de ceux qui sacrifient des victimes, soit gros, soit menu bétail : On donnera au prêtre l’épaule, les deux mâchoires et le ventre. » Riehm, dans sa « Législation de Moïse au pays de Moab, » page 41 et sq., et plusieurs autres voient ici une modification pure et simple apportée aux lois qui avaient été faites précédemment relativement au même objet. J’y vois plutôt une adjonction. Les deux premiers versets de Deut. ch. 18, rappellent évidemment Nombres 18.20. A côté de ce qui revient aux prêtres de la part de l’Éternel, qui veut être leur héritage, quelque chose doit aussi leur revenir de la part du peuple comme don d’honneur. Pour les sacrifices de prospérité, la chose ne présenterait aucune difficulté et l’on pourrait en trouver la confirmation dans 1 Samuel 2.13. Voyez Schultz, « le Deutéronome expliqué, » page 59. — Cependant la tradition juive, aussi loin qu’on en peut remonter le cours (Jos., Ant. 4.4, 4 ; Philon, de Sacerd. hon. § 3, Mischna Cholin 10.1 ; comp. Ranke, « Recherches sur le Pentateuque, » II, page 296 et sq.), a invariablement, entendu le passage qui nous occupe d’une portion de chair à offrir aux prêtres, non pas lorsqu’on faisait un sacrifice, mais lorsqu’on tuait chez soi un animal de boucherie. Philon : ἀπό τῶν ἔξω βωμοῦ θυομένων. Mischna : Offrande à prélever sur les objets profanes, חולין. C’est ainsi aussi que la Mischna Cholin 11.1, voit dans la tonte des moutons de Deutéronome 18.4, la tonte annuelle et régulière, et non pas la tonte des moutons qu’on offrait en sacrifice. Ranke, page 295, explique assez bien cette ordonnance ainsi comprise, lorsqu’il la considère comme une compensation offerte aux prêtres pour la perle qu’ils avaient faite depuis que la loi de Lévitique 17.1-9, avait été modifiée comme elle l’est par Deutéronome 12.15. Riehm prétend que si tel en était le sens, cette loi ne pourrait pas être observée. Comment faire parvenir au sanctuaire unique de Jérusalem ou de Scilo une partie de toutes les bêtes qu’on égorgeait chaque jour dans le pays tout entier ? Mais il n’est point question de cela. Cette viande pouvait être offerte aux prêtres, et l’on sait qu’ils ne demeuraient pas tous à Jérusalem, mais qu’ils vivaient dispersés dans toutes les tribus. Se trouvait-on néanmoins trop éloigné de toute famille de prêtre, dans ce cas-là, on n’était point coupable si l’on gardait pour soi l’animal tout entier. C’est ainsi, par exemple, que l’ordre d’inviter des lévites aux repas des dîmes (Deutéronome 14.27-29), suppose évidemment qu’il y avait des lévites à proximité. — Quant à la question de savoir pourquoi il fallait offrir ces trois parties de l’animal plutôt que d’autres, on y a répondu diversement. Je pense, avec Fagius. qu’elles représentent assez bien l’animal tout entier ; les mâchoires sont là pour la tête, l’épaule pour les jambes, le ventre pour le tronc. — Le prêtre recevait aussi un gâteau lorsqu’il se célébrait un sacrifice de prospérité ; toutefois non pas un seul, mais un de chacune des diverses sortes mentionnées en Lévitique 7.12. — On avait commencé par prélever sur les gâteaux un mémorial pour l’Éternel, une portion destinée. את–אזכרתה, Lévitique 2.9.]
Dans Nombres 15.19 ; 18.11 ; 31.41 ; Lévitique 22.12 ; Nombres 5.9, qu’il soit question de prémices, de dîmes, de premiers-nés ou d’une partie du butin à mettre à part pour l’Éternel, — toujours et partout le mot Teroumah a ce même sens : partie prélevée sur le tout en faveur de l’Éternel, ou quelquefois aussi du prêtre officiantq. Voyez encore dans les livres postérieurs Ésaïe 40.20 ; Ézéchiel 45.1,13 ; 48.8,12,20 ; Esdras 8.25. Les Septante ont donc bien traduit quand ils ont rendu Teroumah par ἆφαίρεμα.
q – Qui la préparait et la mangeait avec sa famille dans un lieu pur, ce qui ne signifie pas absolument le sanctuaire (Lévitique 10.14).
Le reste de la victime était pour l’Israélite qui l’avait offerte, et c’était ce qui formait la base d’un joyeux repas de famille qu’on prenait dans le sanctuaire ou du moins dans le voisinage du sanctuaire.
[Dans les sacrifices de prospérité qui n’étaient pas offerts par quelque particulier, mais qui constituaient une fête publique, il est probable que le peuple entier consommait les énormes quantités de viande de boucherie qui en résultaient (Deutéronome 27.7 ; 1 Rois 8.63). On ne peut guère penser que les prêtres à eux seuls aient consommé 22 000 bœufs et 120 000 brebis. Les seules victimes dont il est expressément dit qu’elles fussent entièrement consommées par les prêtres, à l’exception de la graisse, sont les deux agneaux des sacrifices de prospérité de Pentecôte (Lévitique 23.20).]
Pour pouvoir prendre part à ce festin de sacrifice, il fallait, sous peine de mort, être pur de toute souillure. S’agissait-il d’un sacrifice de louange (Lévitique 7.15 ; 22.29), tout devait être mangé le jour même ; pour les autres sacrifices de prospérité, une partie de la viande pouvait être gardée jusqu’au lendemain, mais s’il en restait encore quelque chose au soir du second jour, il fallait le brûler (Lévitique 7.16 ; 19.6). La chair du sacrifice qui avait été touchée par quelque personne souillée ou par quelque chose d’impur, avait le même sort(Lévitique 7.19). Le repas auquel aboutissaient les sacrifices de prospérité explique pourquoi le pain levé y pouvait figurer (Lévitique 7.13)r.
r – Ce pain levé n’était pas présenté sur l’autel ; il paraissait seulement à la table de l’Israélite.
Au reste, ce n’est pas tant Dieu qui offre ce repas à l’Israélite, que bien plutôt l’Israélite qui l’offre à son Dieu ; et Dieu condescend à y prendre part, il reçoit la poitrine pour portion honorable entre toutes ; seulement il la cède aux prêtres, qui sont ses serviteurs. C’est donc un festin de communion ; le peuple élu avait le droit d’y voir un gage des relations intimes que son Dieu voulait soutenir avec lui pour le bénir, et voilà pourquoi l’on ne devait s’y présenter qu’en état de pureté. Que ce fût en même temps un repas de communion fraternelle, l’agape de l’ancienne alliance, c’est ce qui résulte du fait qu’outre la famille et les amis, les Lévites (Deutéronome 12.18) et parfois les pauvres (Deutéronome 16.11) en bénéficiaient ; et les portions devaient être copieuses, puisqu’il fallait consommer toute la viande dans un temps limité et que, passé le second jour, l’on n’en pouvait rien garder.
[Cette recommandation avait aussi pour but d’éviter pour cette viande sacrée tout danger de corruption. Plus la viande était sacrée, plus les précautions devaient être grandes. C’est pour cela que. dans les sacrifices de louange, le temps était encore plus restreint que pour les autres sacrifices.]