5e siècle
Extrait de ses Confessions.
… Un livre s’offre à moi, dont le sens est caché pour l’orgueilleux, et dont l’humble ne soulève point entièrement tous les voiles ; un livre, simple d’abord et en apparence jusqu’à la bassesse, qui s’élève ensuite à ce qu’il y a de plus sublime ; où tout est rempli de mystères et ne se laisse voir qu’à travers des figures. Jadis, je n’étais capable ni d’en sonder la profondeur, ni de plier mon esprit à cette simplicité de paroles, si nouvelle pour lui ; et comme j’étais loin alors d’en juger ainsi, la seule impression qui m’en resta, c’est que rien dans ce livre ne pouvait être comparé à l’éloquence de l’orateur humain. Mon orgueil dédaignait cette basse apparence, et mes yeux étaient trop faibles pour pénétrer ce qui y était caché. C’est là cependant ce que cette divine Parole découvre aux humbles et aux petits, croissant pour ainsi dire avec leur intelligence ; mais alors je ne voulais être ni humble ni petit, et je prenais l’enflure de mon orgueil pour la véritable grandeur.
… Ayant reconnu que nous-mêmes, nous étions trop faibles pour trouver la vérité par le seul secours de notre intelligence, et sans une autorité semblable à celle des Livres divins, je me persuadai, ô mon Dieu, que tu n’eusses point permis que cette autorité qu’ont ces Livres par toute la terre, fût parvenue à ce degré de sainteté et d’excellence, si tu n’avais pas voulu que par elle on te cherchât, et que par elle on crût en toi. Ayant déjà entendu expliquer, dans un sens très plausible et très raisonnable, un grand nombre de passages de l’Ecriture, les prétendues absurdités que j’avais cru y voir, ne m’arrêtèrent plus ; j’attribuai toutes ces obscurités à la profondeur des mystères ; et son autorité me sembla d’autant plus sainte, plus vénérable, plus digne de foi, qu’accessible aux moins habiles par la simplicité de son style, elle cache, sous de telles apparences, et dans des profondeurs presque impénétrables, ses sublimes et mystérieux secrets, se livrant ainsi à tous par cette manière si simple et si commune de s’exprimer, en même temps qu’elle offre tout ce qui peut exercer les plus solides esprits ; recevant tous les hommes dans son sein par une voie en quelque sorte publique et populaire, tandis qu’elle n’accorde qu’à un petit nombre de parvenir jusqu’à elle par des sentiers étroits et détournés ; et ce nombre serait plus petit encore, si elle n’avait été placée à cette hauteur d’autorité, et si elle n’avait attiré à elle la foule des peuples, par cette humilité sainte de son langage. Je méditais ainsi, ô mon Dieu, et tu me donnais ton assistance ; je soupirais, et tu entendais mes soupirs ; j’allais flottant sur cette vaste mer, et tu dirigeais ma course ; je m’égarais dans les voies si larges du siècle, et tu ne m’abandonnais pas.
… Je me mis à lire ces vénérables Ecritures, inspirées par ton divin Esprit, et, par-dessus tout, ce qui a été écrit par saint Paul. Alors s’évanouirent toutes ces difficultés qui m’avaient montré ce grand apôtre quelquefois peu d’accord avec lui-même, et aussi quelquefois en contradiction avec plusieurs témoignages que présentent la loi et les prophètes. Un même esprit me sembla animer ces Ecritures, si simples et si pures ; ce que je découvris avec une joie mêlée de tremblement. Je trouvais que tout ce que j’avais lu de vrai dans les autres livres était également dans les Livres saints, avec cette différence que, ceux-ci n’enseignent rien que sous l’influence de ta grâce ; que cette grâce, ils nous la mettent sans cesse sous les yeux, afin que celui qui y reçoit la connaissance de la vérité ne se glorifie pas, comme s’il n’avait pas reçu ce qu’il connaît, et jusqu’aux moyens qu’il a de le connaître, « et qu’a-t-il en effet qu’il ne l’ait reçu. » Qu’il comprenne que c’est par ta lumière seule, ô Dieu immuable, qu’il peut t’apercevoir ; que pour te posséder, c’est encore par toi qu’il doit être guéri, et aussi afin que celui-là même qui est trop éloigné pour que son œil puisse encore t’atteindre, ne laisse pas de marcher dans ta voie pour arriver enfin jusqu’à toi, te contempler et te posséder.
Car, « encore que l’homme prenne plaisir à la loi de Dieu selon l’homme intérieur, comment s’affranchira-t-il de cette loi qu’il ressent dans mes membres, et qui, combattant sans cesse contre la loi de mon esprit, le rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres ? » S’il en est ainsi ? c’est que tu es juste, Seigneur, et nous « nous avons péché nous avons commis l’iniquité, nous avons été rebelles à tes commandements » et ta main s’est appesantie sur nous, et c’est avec justice que nous avons été livrés au plus ancien des pécheurs, à ce prince de la mort qui a persuadé à notre volonté de se rendre semblable à cette volonté par laquelle il s’est précipité lui-même hors de la vérité.
Que fera donc cet homme misérable, et « qui le délivrera de ce corps de mort », si ce n’est ta grâce par notre Seigneur Jésus-Christ ? lui en qui « le prince de ce monde n’a rien trouvé » qui fût digne de mort et qui n’a pas laissé que de le faire mourir, ce qui a détruit l’arrêt de notre condamnation.
Voilà ce que ne disent point les livres, des philosophes ; nulle trace, dans leurs pages, ni de l’humble piété des chrétiens, ni des larmes du repentir, ni du sacrifice qui t’est agréable, celui « d’un cœur brisé et repentant. » On n’y entend parler ni de la cité céleste, ton Épouse bienheureuse, ni de ces prémices de ton Esprit que tu nous donnes dès ici-bas, ni de la coupe précieuse qui renferme le prix de notre rédemption.
Là ne retentissent pas ces divines paroles : « Mon âme se repose en Dieu, c’est de lui que vient ma délivrance. Il est mon rocher et ma délivrance, ma haute retraite, je ne serai pas ébranlé. » Là ne se fait point entendre la voix de celui qui crie : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés ; » et ces superbes dédaignent d’apprendre de lui « qu’il est doux et humble de cœur ; car ces choses, Seigneur, tu les as cachées aux sages et aux intelligents, et tu les as révélées aux petits enfants. »