Ce que nous avons dit des sacrifices en général, s’applique d’une manière toute particulière aux sacrifices de la grande journée des expiations. Certes si la mort des victimes était un châtiment qu’elles souffrissent à la place des coupables, ce serait ici, ou nulle part, le lieu de le dire. Mais pas un mot qui indique rien de semblable ! Les v. 11 et 15 ne parlent de l’immolation que de la manière la plus brève possible. Nous l’avons déjà accordé (§ 127) ; l’idée d’une pœna vicaria vint comme d’elle-même se joindre plus tard à l’acte de l’immolation, et l’on fut tout naturellement conduit à considérer la mort de la victime, non pas seulement comme un moyen d’obtenir le sang, mais aussi comme une satisfaction donnée à la justice divine.
[La cérémonie suivante, observée par les Juifs modernes et qu’ils appellent Kapporeth, repose entièrement sur l’idée de la représentation. Le père de famille prend un coq, la mère une poule ; tous deux blancs, à cause de Ésaïe 1.18. Avant de les égorger, ils se frappent trois fois la tête en disant : « Que ce coq (ou cette poule) soit mis à ma place ; qu’il soit une expiation pour moi. Qu’il y ait échange entre lui et moi ! Il va mourir, mais je vivrai avec tout Israël ! Amen ! » Après quoi tous les genres de mort sont appliqués à l’animal ; il est égorgé, décapité, lapidé et brûlé. Buxtorf, synagoga judaïca, éd. III, XXV, page 509.)]
Mais les lois de Moïse ne fournissent absolument aucun appui à la pensée que ce n’est que grâce à sa mort en faveur et à la place de celui qui l’offre, que la victime peut par son sang expier les péchés du coupablem. La seule chose à laquelle regarde la loi, c’est que la victime soit pure et sans défaut.
m – C’est encore là ce que prétend Küper : le sacerdoce de l’ancienne Alliance, page 125.
[« L’âme de la chair est dans le sang, lisons-nous dans Lévitique 17.11, et je vous l’ai donné sur l’autel pour faire propitiation en faveur de vos âmes, car c’est par l’âme que le sang opère la propitiation. » Grâce au sang pur, à l’âme innocente de la victime qui s’avance entre Dieu et lui, le pécheur peut de nouveau s’approcher de Dieu, ses péchés sont couverts. Voilà ce qui est vrai de tous les sacrifices et, tout particulièrement, des sacrifices du jour des expiations. Pourquoi tout particulièrement ? Offrait-on ce jour-là un nombre extraordinaire de victimes ? Point du tout ! Un animal pour le souverain sacrificateur, un animal pour le peuple. Car c’est une chose assez remarquable que les sacrifices pour le péché ne consistent jamais qu’en une seule victime, une âme pour une âme. Ce qui rendait les sacrifices du jour des expiations tout particulièrement efficaces, c’était le fait que le sang était introduit dans le lieu très saint, au-delà du voile, le plus près possible de Dieu. Les tables de la loi qui sont dans l’arche témoignent contre le peuple. Mais le sang dont il est fait aspersion sur l’arche couvre ses péchés.]
C’est donc une erreur on ne peut plus complète, que celle dans laquelle on tombe lorsqu’on fait du bouc Hazazel un souffre-douleurs, une victime qui pâtit des péchés autrui. Mais ces péchés sont déjà pardonnés ! Ils n’ont plus besoin d’être expiés ! Ou bien pense-t-on peut-être qu’ils doivent l’être deux fois de suite ? Il est vrai, v. 21, qu’Aaron confessait les péchés du peuple, pendant qu’il imposait les mains au bouc Hazazel ; mais c’était là une déclaration bien plutôt qu’une confession ; cela voulait dire que les péchés passés étaient maintenant pardonnés et détruits ; on leur disait adieu, on en prenait congé, on les envoyait au mauvais esprit dont le domaine est sans communication aucune avec les demeures du peuple saint. C’est tout à fait le pendant de ce que nous voyons en Lévitique 14.7, 53 : dans les cérémonies relatives à la purification d’un lépreux ou d’une maison infectée de lèpre, le passereau qu’on laisse aller vivant par les champs, est censé emporter avec lui la redoutable maladie.
[On dit : L’homme qui avait emmené le bouc dans le désert devait se baigner avant de pouvoir rentrer dans le camp ; donc il s’était souillé au contact de l’animal ; donc l’animal était le porteur de péchés quelconques. Mais non ! c’est le désert qui avait souillé l’Israélite, le désert qui est la demeure de l’esprit du mal. — Quant à celui qui a brûlé la chair de la victime, s’il doit aussi se baigner, c’est que cette combustion a eu lieu en dehors du camp. En un jour si sacré, il fallait songer même aux souillures lévitiques que l’on avait peut-être contractées.]
Une autre erreur non moins grave, c’est celle qui consiste à dire que le bouc Hazazel est une victime offerte à Hazazeln. Comme si Moïse enseignait le dualisme ! Comme si l’A. T. favorisait nulle part la croyance en une puissance malfaisante, indépendante de Dieu et qu’il s’agit d’apaiser par des sacrifices. Non ! ce dont il s’agit, c’est de montrer à Hazazel son impuissance, et non point de l’apaiser ; c’est de lui faire bien comprendre qu’Israël a le pardon de ses péchés et qu’il n’a plus rien à faire avec lui, le prince du mal. Il est bien vrai que, dans Lévitique 16.5, les boucs du jour des expiations sont tous deux désignés comme des offrandes pour le péché, car l’enlèvement du péché est bien le but de toutes les cérémonies de cette fête. Mais le premier bouc est seul désigné de cette sorte, v. 9 et 15. Le second n’est que le premier, revenu à la vie ; hireus redivivus, ainsi qu’on l’a souvent appelé. C’est pour cela que la tradition voulait que ces deux animaux fussent parfaitement de la même taille, de la même couleur et de la même valeur.
n – La tradition considérait le 2e bouc comme un don destiné à engager Satan à ne pas rendre inutile le sacrifice du 1er bouc en élevant contre le peuple de nouvelles accusations (Eisenmenger, le Judaïsme dévoilé, II, 155).
Hengstenberg, dans son ouvrage sur les Livres de Moïse et de l’Egypte, page 178, a cherché à établir un rapprochement entre Hazazel et le Typhon des Egyptiens, avec cette différence considérable que Typhon, le Dieu du mal qui fait sa demeure dans le désert de Lybie, devait être apaisé par des sacrifices toutes les fois qu’éclatait quelque calamité publique, tandis que dans la loi relative à Hazazel, Dieu a précisément voulu montrer au peuple qu’il ne doit jamais s’adresser qu’à Lui pour obtenir le pardon de ses péchés et que, une fois qu’il l’a fait, il n’a plus rien à redouter du mauvais esprit. Mais Diestel, dans la Gazette de la Théologie historique, 1860, page 159, a objecté que Typhon n’apparaît guère dans la mythologie égyptienne que mille ans avant Jésus-Christ, en sorte que Moïse n’a pas pu avoir l’intention de combattre les idées erronées qui plus tard vinrent se grouper autour de ce nom.
Avec la fête des expiations se termine le cycle des cérémonies expiatoires de l’Ancienne alliance. C’est la fête suprême ; Moïse ne peut rien faire de plus, ni au point de vue de l’étendue, ni à celui de la profondeur, pour effacer les péchés du peuple.
[Nous verrons à la fin du § 144 pourquoi, malgré cela, le jour des expiations n’est jamais appelé une fête. — Ewald, ici comme si souvent, est bien supérieur aux incirconcis négatifs de taille ordinaire. Il appelle le jour des expiations une fête vraiment mosaïque et dans laquelle plus qu’en toute autre se montre la sévérité de l’ancienne Alliance pour le mal et son ardente aspiration à la sainteté (Antiq., 3e édition, page 477).]
Sans elle il y aurait une grande lacune dans les institutions de l’A. T. Moïse parle toujours du peuple saint et des péchés du peuple. Il faut absolument une solution à cette contradiction. Elle se trouve dans l’expiation générale des souillures, de l’assemblée en ce grand jour. Mais il est évident que cette expiation est imparfaite, et qu’elle n’est qu’une pierre d’attente qui appelle la vraie purification, après laquelle seulement Dieu aura sur la terre un peuple véritablement saint (Zacharie 3.9 ; Hébreux 9.6 et sq.).
En dehors des livres de Moïse, il n’est fait aucune allusion à la fête des expiations, sauf peut-être dans Zacharie 3.9 : « j’ôterai en un jour l’iniquité de ce pays. » Il faut descendre jusqu’à l’Ecclésiastique (Sira.50.5), où il est parlé de l’impression solennelle que produisait le grand prêtre quand il sortait du lieu très saint, pour trouver une trace certaine de cette fête, il ne faudrait pas en conclure qu’elle n’a été célébrée que depuis Esdras. C’était une fête paisible, qui, sauf le jeûne que le peuple devait observer ce jour-là, se passait tout entière dans le sanctuaire. Qu’aurait-on eu à en raconter ? Tout au plus pourrait-on s’attendre à en trouver un mot à propos de la dédicace du temple de Salomon, qui eut lieu précisément au moment marqué pour la fête des expiations (1 Rois 8.65 ; 2 Chroniques 7.9). Mais il faut remarquer qu’une partie essentielle de la fête des expiations, la purification du sanctuaire, n’aurait eu aucun sens au moment même où le temple venait d’être consacré.
[Avec cela nous no voulons point dire qu’elle se soit toujours régulièrement célébrée. — Dans le culte prophétique d’Ezéchiel, la seule chose qui corresponde au jour des expiations, c’est la purification du sanctuaire (Ézéchiel 45.18-20) qui devait avoir lieu le 1er et le 7e Nisan comme préparation a la fête de Pâques. Au reste, Ezéchiel fait encore une place au sacrifice pour le péché dans son culte de l’avenir, ce qui n’est pas le cas chez les autres prophètes. — Le lecteur désireux de savoir quels changements se sont introduits dans la célébration de la fête des expiations après la ruine de Jérusalem, trouvera cela dans l’article Kol Nidre, Herzog VIII, p. 24, dans Schrœder, Ordonnances et usages du Judaïsme talmudique, page 130, dans Buxtorf, Syn. Jud., chapitre XXV, et dans Lœwe, page 150, de sa traduction de Orach Chajim.]