« J’ai donc reçu, moi qui suis le moindre de tous les saints, la grâce d’éclairer tous les hommes, en leur découvrant l’économie du mystère qui depuis tant de siècles était demeuré dans, le Dieu créateur de toutes choses. » L’hérétique a effacé la préposition dans, afin d’arriver par cette suppression à cette interprétation détournée : « Le mystère caché depuis tant de siècles au Dieu qui créa toutes choses. » Mais la fraude se trahit elle-même. L’Apôtre, en effet, ajoute : « Afin que les principautés et les puissances qui sont dans le ciel connaissent, par l’Église, la sagesse de Dieu, si merveilleuse dans la diversité de ses opérations. » Les principautés et puissances de qui ? du Créateur ? Mais puis-je admettre que Dieu ait voulu manifester à ses principautés et à ses puissances une sagesse dont lui-même n’avait pas la conscience ? Des puissances subordonnées ne connaissent rien sans la participation de leur chef. Soutiendra-t-on que l’Apôtre n’a pas nommé Dieu parce qu’il le comprenait lui-même dans cette énonciation ? Dans ce cas, il eût déclaré que le mystère était caché aux principautés et aux puissances du Dieu qui créa toutes choses, en l’associant à cette catégorie. Mais en disant que le mystère était caché pour celles-là, il affirme qu’il était manifeste pour celui-ci. Donc le mystère n’était pas caché pour Dieu. Loin de là, manifeste pour le Dieu créateur de toutes choses, il n’était voilé que pour ces principautés et ses puissances. « Qui, en effet, a pénétré dans les desseins du Seigneur ? Qui lui a donné des conseils ? »
Pris à ce piège, l’hérétique va changer de ruse. Mon Dieu, dit-il, a voulu révéler à ses principautés et à ses puissances l’économie de son mystère que le Dieu créateur de toutes choses avait ignorée.
Mais dans quel but alléguer l’ignorance du Créateur, avec lequel il n’a rien de commun, et qu’un abîme sépare de lui, lorsque les serviteurs eux-mêmes du Dieu supérieur ne savaient rien ? L’avenir cependant était connu du Créateur ; il serait trop étrange qu’un mystère qui devait se manifester à la face du ciel et sur la terre, ouvrages de ses mains, lui fût inconnu ? Ainsi, nouvel argument qui confirme notre thèse précédente. Dans la supposition que le Créateur devait connaître le mystère caché du Dieu supérieur, et que cette leçon, « Caché au Dieu qui a créé toutes choses, » soit la leçon véritable de l’Ecriture, l’Apôtre aurait dû conclure ainsi : « Afin que la sagesse de Dieu, si merveilleuse dans la diversité de ses opérations, lui soit révélée, » et après lui aux puissances et aux principautés du Dieu, quel qu’il soit, avec lesquelles le Créateur devait partager celle manifestation : tant la fraude est palpable dans ce texte ainsi rendu à la vérité.
Je veux maintenant engager avec toi la discussion sur les allégories familières à l’Apôtre. Novice dans les prophéties, eût-il employé ces symboles ? « Il a emmené captive la captivité, » dit-il ? Avec quelles armes ? par quels combats ? Où est la nation ravagée ? Où est la cité en ruines ?” Quelles femmes, quels enfants, quels princes le vainqueur a-t-il jetés dans les fers ? En effet, quand David chante le Christ « ceignant sur sa cuisse son épée, » ou quand Isaïe me le montre « s’emparant des dépouilles de Samarie et de la force de Damas, » tu le le représentes comme un guerrier charnel et visible. Si tu as déjà appris qu’il y a une captivité spirituelle, reconnais qu’il y a aussi une armure et une milice spirituelle, et que telle est la sienne. Crois au moins à ton apôtre, qui a emprunté cette captivité mystérieuse aux prophètes de l’ancienne loi. « Renonçant au mensonge, que chacun de vous parle à son prochain selon la vérité. Si vous vous mettez en colère, gardez-vous de pécher. » Ne sont-ce pas là les pensées et jusqu’aux expressions du Psalmiste ? « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère ! Ne prenez point de part aux œuvres stériles des ténèbres. Avec le juste vous serez juste : vous vous pervertirez avec le pervers. Retranchez le méchant du milieu de vous. Ne touchez rien d’impur. Eloignez-vous, vous qui portez les vases du Seigneur. » De même la honte qu’il attache à l’ivresse, est le reflet du passage où sont flétris ceux qui enivrent les saints. « Et vous avez présenté aux Nazaréens un vin défendu, » parce qu’Aaron le grand-prêtre et ses fils devaient s’abstenir de toute liqueur lorsqu’ils entraient dans le tabernacle. « Vous entretenant de psaumes et de cantiques, et chantant à la gloire du Seigneur. » Recommandation digne d’un disciple qui se souvenait que Dieu par son prophète gourmande ceux qui « boivent des vins exquis au son de la cithare et du tambour. » A ces traits je reconnais l’apôtre du Dieu dont je retrouve les préceptes dans leurs germes ou leurs développements.
« Femmes, soyez soumises à vos maris. » Sur quel fondement appuie-t-il celle injonction ? « Parce que, dit-il, l’homme est le chef de la femme. » Dis-moi, Marcion, ton Dieu appelle-t-il les ouvrages du Créateur au secours de sa loi ? Mais à quoi bon insister là-dessus ? N’est-il pas plus misérable encore quand il demande à son rival d’accréditer son christ et son Église ? « Comme le Christ est le chef de l’Église. » De même dans ces mots : « Celui qui aime sa femme aime sa propre chair, comme Jésus-Christ aime son Église. » Quelle dignité il attribue à la chair sous ce nom d’Église ! « Personne, dit-il, ne hait sa propre chair, » personne, si ce n’est Marcion ; « au contraire, il la nourrit et il en a soin, comme Jésus-Christ a soin de l’Église. » Toi seul tu la hais en lui ravissant l’espérance de la résurrection. Tu devras conséquemment haïr aussi l’Église, parce qu’elle est aimée du Christ. Mais le Christ, lui, a aimé sa chair aussi comme l’Église. Point d’époux qui n’aime l’image de son épouse ; il y a mieux ; il la conserve soigneusement, il l’honore, il la couronne de fleurs. La ressemblance partage les honneurs de la réalité.
Me sera-t-il plus difficile de prouver maintenant que le même Dieu est le Dieu de l’homme et du Christ, de la femme et de l’Église, de la chair et de l’esprit, quand j’entends l’Apôtre mettre en avant et développer la pensée du Créateur : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme ; et ils ne formeront tous deux qu’une seule chair ? Ce sacrement est grand. » Il me suffit de ce témoignage : les sacrements du Créateur sont grands aux yeux de l’Apôtre, vils et méprisables aux yeux des hérétiques. « Mais je vous déclare que ce sacrement signifie Jésus-Christ et l’Église. » Tu l’entends ; il explique le sacrement, il ne le divise pas. Il prouve que la figure du mystère a été préparée d’avance ; par l’auteur du mystère apparemment. Qu’en pense Marcion ? Le Créateur n’a pu préparer d’avance des symboles pour un Dieu qu’il ne connaissait pas, ou tout au moins pour son ennemi, s’il le connaissait. Le Dieu supérieur, au lieu de faire aucun emprunt au Dieu inférieur, a dû chercher plutôt à l’anéantir lui-même.
« Enfants, obéissez à vos parents. » Marcion a beau retrancher « C’est le premier des commandements auquel Dieu ait joint une promesse, » la loi est là, qui dit : « Honore ton père et ta mère ; » et vous, pères, élevez vos enfants « en les corrigeant et en les instruisant selon le Seigneur. » Tu sais encore qu’il a été dit aux anciens : « Vous redirez ces paroles à l’oreille de vos enfants, et vos enfants à l’oreille de leurs enfants. » Qu’ai-je affaire de deux divinités différentes, quand il n’y a qu’une seule et même discipline ? Y en eût-il même deux, j’obéis à celle qui a enseigné la première. Mais « Si nous avons à combattre contre les principautés du monde, » ô quelle multitude de dieux créateurs ! Toutefois si Paul désignait le Créateur auquel appartenaient les puissances qu’il avait mentionnées d’avance, pourquoi, demanderai-je, ne l’a-t-il pas nommé la puissance unique qui gouverne le monde et le châtie ? Or, quand il nous recommande plus haut « de revêtir une armure qui puisse nous défendre contre les assauts du démon, » il nous montre que « les puissances et les principautés des ténèbres, » qu’il nomme après le démon et que les Chrétiens attribuent au démon, ne sont autre chose que les esprits de Satan. Ou si le démon est devenu le Créateur, quel sera son rôle vis-à-vis du Créateur ? De même qu’il y a deux dieux, y aura-t-il deux démons, ainsi que plusieurs puissances et princes du monde ? Mais comment le Créateur est-il à la fois dieu et démon ? Pas de milieu ! l’un et l’autre sont des dieux, si l’un et l’autre sont des démons. Ou bien, Dieu n’est pas le démon et le démon n’est pas Dieu.
Il y a plus. Cette dénomination de diable, en vertu de quelle délation conviendrait-elle au Créateur ? A-t-il dénaturé quelqu’une des secrètes intentions du dieu supérieur, comme l’archange le calomnia lui-même par un odieux mensonge ? Car, s’il avait interdit à nos premiers parents de goûter du fruit d’un misérable arbuste, ce n’était pas de peur qu’ils ne devinssent des dieux, mais par la crainte que la transgression ne leur donnât la mort.
« Les esprits de malice » dont parle l’Apôtre, ne signifieront pas non plus le Créateur, parce qu’il a ajouté, qui sont « dans les cieux. » Paul n’ignorait pas que les anges, en regardant du haut des cieux la beauté des filles de la terre, étaient tombés dans les œuvres de la malice spirituelle.
Mais que Paul n’eût combattu le Créateur que timidement et à travers je ne sais quelles énigmes, comment l’admettre ? Je le vois, « quoique chargé de chaînes à cause de la liberté de sa prédication, » annoncer néanmoins à l’Église la manifestation des mystères de l’Evangile avec une sainte fermeté qu’il conjurait, les fidèles de demander à Dieu pour lui.