1. Le septième mois après leur départ de Babylone, le grand-prêtre Jésus et le chef Zorobabel rassemblèrent de tous côtés à Jérusalem avec le plus grand zèle le peuple de la campagne ; puis ils rebâtirent l'autel des sacrifices à l'endroit où il s'élevait auparavant, afin d'y offrir à Dieu les sacrifices prescrits suivant la loi de Moïse, au grand mécontentement des peuples voisins qui leur étaient tous hostiles. Ils célébrèrent aussi à cette époque la fête des Tabernacles, suivant les prescriptions du Législateur à ce sujet ; ils firent ensuite les offrandes et les holocaustes, et les sacrifices des sabbats et de toutes les fêtes sacrées ; et ceux qui avaient fait des vœux les accomplirent en sacrifiant à partir de la nouvelle lune du septième mois. Ils commencèrent enfin la construction du Temple, dépensant de grosses sommes pour les tailleurs de pierre et les charpentiers, et pour la nourriture des ouvriers. Les Sidoniens envoyèrent avec plaisir et sans difficulté des bois de cèdre du Liban, qu'ils amenèrent au port de Jopé liés entre eux et assemblés en radeau : Cyrus avait le premier donné l'ordre de le faire, ordre qui fut exécuté quand Darius l'eut renouvelé.
[1] Tout ce chapitre est pris dans le 3e Esdras (V, 47 à VII, 15) à l'exception de la section 9, qui manque aujourd'hui dans cette compilation. Le 3e Esdras lui-même reproduit en substance Esdras ch. III ; IV, 1-3 ; V et VI. Mais, tandis que le 3e Esdras (à l'exemple de l'Esdras hébreu dont le texte trouble l'a induit en erreur) place le commencement des travaux sous Jésus et Zorobabel, au temps de Cyrus, les interrompt ensuite et reprend le travail sous les mêmes chefs, l’an 2 de Darius, Josèphe a habilement supprimé tout cet épisode qu'il a reconnu pour un doublet.
2. On arriva ainsi jusqu'au deuxième mois de la deuxième année du retour des Juifs à Jérusalem ; la construction du Temple était poursuivie sans interruption ; une fois les fondations achevées, à la nouvelle lune du second mois de la deuxième année, on commença les murs, et la surveillance des travaux fut confiée aux Lévites âgés de plus de vingt ans, à Jésus, à ses fils et à ses frères, à Zodmeel, frère de Juda fils d'Aminadab, et à ses fils[2]. Et tous ceux qui étaient chargés de ce soin s'en acquittèrent avec tant de zèle, que le Temple fut terminé plus tôt qu'on n'aurait pu le prévoir. Quand le sanctuaire fut terminé, les prêtres, revêtus des vêtements traditionnels, les Lévites, et les descendants d'Asaph, au son des trompettes chantèrent un hymne à la louange de Dieu, comme David en avait le premier donné l'exemple. Les prêtres, les Lévites et les anciens des groupes de familles qui se rappelaient la grandeur et la somptuosité de l'ancien Temple, voyant combien, par suite du manque de ressources, on avait dû construire plus modestement le nouveau, et mesurant la décadence de leur prospérité à l'infériorité du nouveau Temple, se montraient tout abattus et honteux à cette pensée ; incapables de contenir leur chagrin, ils allaient jusqu'aux gémissements et aux larmes. Quant au peuple, il se trouvait satisfait du présent, content d'avoir reconstruit le Temple, et, n'ayant ni souci ni mémoire de l'ancien, il ne se tourmentait pas à faire la comparaison entre les deux pour trouver le nouveau moins riche qu'il ne s'y attendait. Le bruit des trompettes et la joie populaire étaient cependant couverts par les gémissements des anciens et des prêtres déclarant le Temple bien moins beau que celui qui avait été détruit.
[2] Dans l'Esdras hébreu (III, 9) les préposés sont Jésus avec ses fils et frères, Kadmiel avec ses fils, la famille de Juda (?) et celle de Henadad. L'Esdras grec (V, 57) est également altéré.
3. En entendant le son des trompettes, les Samaritains, qui haïssaient la tribu de Juda et celle de Benjamin, accoururent pour apprendre la cause de ce bruit. Quand ils surent que les Juifs jadis emmenés captifs à Babylone reconstruisaient leur Temple, ils se rendirent auprès de Zorobabel, de Jésus, et des chefs des groupes de familles, demandant qu'on leur permit d'aider aux préparatifs et de prendre part à la reconstruction. « Nous n'adorons pas moins Dieu que les Juifs, disaient-ils, nous le prions et nous souhaitons de lui rendre un culte, depuis le jour où Salmanassar[3], roi des Assyriens, nous a amenés de chez les Chouthéens et les Mèdes dans ce pays ». A ce discours, Zorobabel, le grand-prêtre Jésus et les chefs des familles israélites répondirent qu'il leur était impossible de partager avec d'autres le soin de la construction du Temple, car ils avaient seuls reçu l'ordre d'y procéder, d'abord de Cyrus, puis de Darius ; que les Samaritains pourraient y venir adorer Dieu, et que tout ce qu'ils auraient de commun avec les Juifs, comme d'ailleurs tous les autres hommes, serait de venir, s'ils le voulaient, rendre hommage à Dieu dans son Temple[4]].
[3] Assarhaddon dans les deux Esdras.
[4] Ici se place dans le 3e Esdras (V, 70-1 = Esdras, IV, 4-5) l'interruption des travaux, à la requête des Samaritains.
4. Les Chouthéens (car c'est le nom que portent aussi les Samaritains) furent blessés de cette réponse et persuadèrent aux populations de Syrie qu'il fallait supplier les satrapes — comme autre fois sous Cyrus, puis sous Cambyse — d'empêcher la construction du Temple, et susciter aux Juifs, qui la hâtaient, des retards et des obstacles. Vers le même temps, Sisinès, préfet de Syrie et de Phénicie, et Sarabasanès étant montés à Jérusalem avec quelques autres, demandèrent aux chefs des Juifs qui leur avait permis de construire un temple qui ressemblait plus à une forteresse qu'à un sanctuaire, et pourquoi ils entouraient la ville de portiques et de murs aussi épais[5] : Zorobabel et le grand-prêtre Jésus répondirent qu'ils étaient les serviteurs du Dieu tout-puissant ; que ce Temple, bâti en son honneur, par un de leurs rois, prince sage et l'emportant en vertu sur tous les autres, était demeuré longtemps debout ; mais que, leurs pères s'étant rendus coupables d'impiété envers Dieu, Nabuchodonosor, roi des Babyloniens et des Chaldéens, prit la ville de force, la détruisit, brûla le Temple après l'avoir pillé et emmena le peuple en captivité à Babylone ; Cyrus, qui avait été après lui roi de Babylone et de Perse, avait décrété la reconstruction du Temple et, confiant toutes les offrandes et tous les vases sacrés qu'en avait enlevés Nabuchodonosor, à Zorobabel[6] et au trésorier Mithridate, leur avait ordonné de les porter à Jérusalem et de les replacer dans le Temple, auquel ils appartenaient, une fois reconstruit. Il avait ordonné que tout fût fait rapidement et chargé Abassaros d'aller à Jérusalem et de s'occuper de la construction. Celui-ci, aussitôt les instructions de Cyrus reçues, avait posé les fondations : mais après ces premiers travaux, l’œuvre avait été suspendue et le Temple restait inachevé jusqu'à ce jour par la mauvaise volonté des nations ennemies. « Si vous le voulez et le jugez à propos, ajoutèrent-ils, écrivez ceci à Darius ; il examinera les archives des rois et s'assurera que nous n'avons menti sur aucun point[7]. »
[5] Les portiques « autour de la ville » sont un lapsus de Josèphe.
[6] Cette mention absurde de Zorobabel se trouve dans le 3e Esdras, VI, 18.
[7] Dans les deux Esdras ce ne sont pas les Juifs, mais les satrapes qui proposent au roi de consulter ses archives.
5. Sur cette réponse de Zorobabel et du grand-prêtre, Sisinès et ses compagnons décidèrent de ne pas arrêter la construction jusqu'à ce que Darius eût été informé de l'affaire ; et ils en écrivirent tout de suite au roi. Les Juifs étaient consternés et craignaient que celui-ci ne changeât d'avis sur la reconstruction de Jérusalem et du Temple ; mais deux prophètes qui se trouvaient alors au milieu d'eux, Aggée et Zacharie, les exhortaient à prendre courage et à ne rien redouter de fâcheux de la part des Perses. Dieu, disaient-ils, le leur avait prédit. Confiants en ces prophètes, ils se remirent avec acharnement à la construction du Temple sans perdre un jour[8].
[8] La mention des deux prophètes se trouve dans le 3e Esdras un peu plus haut (VI, 1) et il n'est pas question de la « consternation », des Juifs, ni de leur intervention pour la calmer.
6. Les Samaritains écrivirent à Darius, accusant dans leur lettre les Juifs de fortifier leur ville et de bâtir un Temple qui ressemblait plus à une forteresse qu'à un sanctuaire, ajoutant que tout cela ne serait rien moins qu'utile au roi, et rappelant les lettres par lesquelles Cambyse avait interdit d'édifier le Temple[9] ; Darius apprit ainsi que la reconstruction de Jérusalem pourrait être pour lui une cause de danger ; quand, de plus, il eut pris connaissance des lettres envoyées par Sisinès et ses compagnons, il ordonna de rechercher dans les archives royales ce qui concernait cette affaire. Et l'on trouva dans le palais d'Ecbatane, en Médie, un livre portant écrit ceci : « La première année du règne de Cyrus, le roi a ordonné de reconstruire le Temple et l'autel des sacrifices de Jérusalem ; le Temple aura soixante coudées de haut et autant de large ; l'édifice aura trois rangées en pierre polie et une en bois du pays. Il a commandé que les frais fussent supportés par le trésor royal, et que les vases sacrés, pillés par Nabuchodonosor et apportés à Babylone, fussent rendus aux habitants de Jérusalem ; que le soin de tout ceci fût confié à Abassaros, préfet, gouverneur de la Syrie et de la Phénicie, et à ses compagnons, qui devaient, tout en se tenant éloignés des lieux mêmes, permettre aux Juifs et à leurs chefs, esclaves de Dieu, de bâtir le Temple. Il leur a ordonné d'aider au travail, et, sur les tributs des pays qu'ils gouvernaient, de fournir aux Juifs, pour leurs sacrifices, des taureaux, des béliers, des brebis, des agneaux, du froment, de l'huile, du vin, et tout ce que demanderaient les prêtres ; ceux-ci prieront pour le salut du roi et des Perses. Il a ordonné de saisir ceux qui transgresseraient quelqu'une de ces prescriptions, de les mettre en croix, et de confisquer leur fortune au profit du trésor royal. Et il a en outre prié Dieu, si quelqu'un essayait de mettre obstacle à la construction du Temple, de le frapper pour arrêter une pareille injustice. »
[9] Cette intervention épistolaire des Samaritains est ajoutée par Josèphe.
7. Darius, ayant trouvé ces prescriptions dans les archives de Cyrus, répondit à Sisinès et à ses compagnons en ces termes : « Le roi Darius à Sisinès, préfet, à Sarabasanès et à leurs compagnons, salut. Je vous envoie la copie de la lettre que j'ai trouvée dans les archives de Cyrus, et je veux que tout soit fait suivant les ordres qu'elle contient. Adieu ». Sisinès et ses amis, quand ils eurent appris par la lettre du roi ses sentiments, résolurent d'y conformer dorénavant leur conduite. Ils présidèrent donc aux travaux sacrés, en s'efforçant avec les anciens des Juifs et les chefs des sénateurs. Ainsi la construction du Temple fut menée à bonne fin avec beaucoup d'ardeur, grâce aux prédictions d'Aggée et de Zacharie, selon l'ordre de Dieu et avec le bon vouloir de Cyrus et de Darius[10] ; il fut achevé en sept ans. La neuvième année du règne de Darius, le vingt-troisième jour du douzième mois, que l'on appelle chez nous Adar et chez les Macédoniens Dystros, les prêtres, les Lévites et le reste du peuple israélite offrirent des sacrifices d'actions de grâces pour célébrer leur retour de captivité, leur ancien bonheur recouvré, et la renaissance du Temple ; ils immolèrent cent taureaux, deux cents béliers, quatre cents brebis, douze chevreaux à raison de un par tribu (car les tribus des Israélites sont au nombre de douze), pour expier les fautes de chacune d'elles. Suivant les prescriptions de Moïse, les prêtres et les lévites placèrent des gardiens à chaque portail, car les Juifs avaient aussi construit des portiques tout autour du Temple intérieur[11].
[10] « Et d'Artaxerxés » ajoutent les deux Esdras. Ici encore Josèphe a fait preuve de sens critique.
[11] Les mots τοῦ ἔνδοθεν ἱεροῦ paraissent être une glose de τοῦ ναοῦ.
8. A l'approche de la fête des Azymes, pendant le premier mois, que les Macédoniens appellent Xanthicos, et nous Nisan, une multitude de peuple accourut des bourgs vers la ville ; ils célébrèrent la fête en se purifiant avec leurs femmes et leurs enfants, suivant la coutume de leur pères. Ils offrirent le sacrifice que l'on appelle pascal, le quatorzième jour du même mois. Ils passèrent ensuite sept jours en festins, n'épargnant aucune dépense, offrant même des holocaustes à Dieu et célébrant des sacrifices d'actions de grâces pour remercier Dieu de les avoir rendus à leur patrie et à leurs lois et de leur avoir concilié la bienveillance du roi des Perses. Après avoir ainsi prodigué ces sacrifices et leur reconnaissance envers Dieu ils s'établirent à Jérusalem, sous une constitution aristocratique et oligarchique : les grands-prêtres, en effet, furent à la tête des affaires jusqu'au jour où les descendants d'Asamonée parvinrent à la royauté. Avant la captivité et le retour, ils avaient été gouvernés par des rois, qui commencèrent avec Saül et David, et durèrent cinq cent trente-deux ans[12], six mois et dix jours ; avant ces rois, ils avaient eu des chefs qu'on appelait juges et monarques, et avaient passé sous ce régime plus de cinq cents ans, depuis la mort de Moïse et de Josué, le général. Tels furent, du temps de Cyrus et de Darius, les événements concernant les Juifs délivrés de captivité.
[12] 522 selon la correction d'Ernesti, adoptée par Naber.
9.[13] Les Samaritains, animés à l'égard des Juifs de sentiments de haine et de jalousie, leur suscitaient mille désagréments, confiants en leur richesse et affichant leur parenté avec les Perses, sous prétexte qu'ils étaient originaires du même pays que ceux-ci. Chaque fois qu'ils reçurent du roi l'ordre de fournir au Juifs une contribution pour leurs sacrifices, ils refusèrent de l'exécuter, encouragés et soutenus dans leur résistance par les préfets ; et chaque fois qu'ils purent causer aux Juifs quelque tort, soit par eux-mêmes, soit par d'autres, ils n'hésitèrent jamais à le faire. Les habitants de Jérusalem décidèrent donc d'envoyer une ambassade au roi pour se plaindre des Samaritains ; Zorobabel et quatre autres des chefs partirent en qualité d'ambassadeurs. Quand le roi eut appris des envoyés les plaintes et les accusations qu'ils portaient contre les Samaritains, il les renvoya porteurs, pour les préfets et le sénat de Samarie, d'une lettre dont voici le texte : « Darius, roi, à Tanganas et Sambabas, préfets des Samaritains, Sadracès et Bobélon, et à tous ceux de Samarie qui sont conseillers[14] avec eux. Zorobabel, Ananias et Mardochée, envoyés des Juifs, vous ont accusés de leur susciter des obstacles dans la construction de leur Temple, et de ne pas vous acquitter des contributions que je vous ai ordonné de leur payer pour leurs sacrifices. Je veux que, après avoir pris connaissance de cette lettre, sur les fonds du trésor royal des impôts de Samarie, vous leur fournissiez tout ce qui leur est nécessaire pour les sacrifices, suivant l'appréciation des prêtres, afin qu'ils ne passent aucun jour sans sacrifier et sans prier Dieu pour moi et les Perses ». Tel était le contenu de cette lettre.
[13] Section de provenance inconnue, mais qui n'est certainement pas de l'invention de Josèphe.
[14] Nous lisons avec Naber (adnot. crit.) συμβούλοις au lieu de συμδούλοις.