La Légende dorée

CLXVIII
SAINTE PÉLAGIE, PÉCHERESSE

(8 octobre)

Pélagie était une des femmes les plus nobles, les plus riches et les plus belles de la ville d’Antioche. Ambitieuse et vaine, impudique de corps et d’âme, elle se promenait orgueilleusement par la ville, de telle sorte qu’on ne voyait rien sur elle que de l’or, de l’argent, et des pierreries, et que, sur son passage, elle remplissait l’air de parfums capiteux. Devant et derrière elle, marchait une troupe nombreuse de jeunes hommes et de jeunes femmes, également vêtus de robes éclatantes. Elle fut, un jour, rencontrée, en cet équipage, par un saint homme nommé Néron, évêque d’Héliopolis, qui s’appelle aujourd’hui Damiette. Et Néron, voyant qu’elle avait plus de souci de plaire au monde que lui-même n’en avait de plaire à Dieu, se mit à pleurer. Puis, se jetant sur le pavé, il frappait son visage contre terre, priant Dieu de lui pardonner. Et il dit à ceux qui étaient avec lui : « En vérité je vous le dis, Dieu produira cette femme contre nous au jour du jugement : car elle met plus de soin à s’orner pour plaire à ses amants terrestres que nous n’en mettons à orner nos âmes pour plaire à l’époux céleste ! » Après quoi il s’endormit, et eut un rêve. Il se vit célébrant la messe, et autour de lui volait une colombe noire et puante. Il ordonna a ses catéchumènes de la chasser, et la colombe disparut ; mais après la messe elle revint, et lui-même la plongea dans un vase d’eau, d’où elle sortit toute blanche et toute parfumée ; et elle s’envola si haut qu’on la perdit de vue. Ayant fait ce rêve, Néron s’éveilla. Or, un jour qu’il prêchait dans l’église en présence de Pélagie, celle-ci fut si touchée qu’elle lui envoya le message suivant : « Au saint évêque, disciple du Christ, Pélagie, disciple du diable ! Si tu es vraiment le disciple du Christ, qui, à ce que l’on dit, est descendu du ciel pour les pécheurs, daigne m’accueillir, moi qui suis une pécheresse, mais qui me repens ! » L’évêque lui répondit : « Par grâce, ne tente pas mon humilité, car je suis homme, et pécheur ! Mais si vraiment tu désires être sauvée, viens me voir non pas seul, mais parmi les fidèles ! » Et elle vint vers lui, en présence de la foule, et se jeta à ses pieds, et lui dit en pleurant : « Je suis Pélagie, plage d’iniquité, toute ruisselante du flot de mes péchés, je suis un abîme de perdition, je suis un piège d’âmes ; mais à présent j’ai horreur de tout cela ! » L’évêque lui demanda son nom. Et elle : « À ma naissance je fus appelée Pélagie, mais l’éclat de mes vêtements m’a fait donner le surnom de Marguerite. » Alors l’évêque la reçut avec bonté, lui imposa une pénitence, l’instruisit dans la crainte de Dieu et la régénéra par le saint baptême.

Or, une nuit, pendant que Pélagie dormait, le diable vint la réveiller et lui dit : « Ma chère Marguerite, pourquoi m’as-tu abandonné, moi qui t’ai toujours ornée de gloire et de richesse ? » Pélagie fit le signe de la croix, souffla sur le diable et le mit en fuite. Le lendemain, elle rassembla tout ce qu’elle possédait et le distribua aux pauvres. Après quoi, sans prévenir personne, elle s’enfuit à Jérusalem. Là, prenant l’habit d’un ermite, elle s’installa dans une cellule, sur le mont des Oliviers. Et elle servait Dieu dans l’abstinence, et bientôt elle devint célèbre dans toute la région, sous le nom de frère Pélage. Or, un diacre de l’évêque Néron étant venu à Jérusalem pour visiter les lieux saints, l’évêque de Jérusalem lui parla d’un saint ermite nommé Pélage, et l’engagea à aller le voir. Et Pélagie aussitôt le reconnut, tandis que lui ne la reconnaissait point, amaigrie et changée comme elle l’était. Et elle lui dit : « L’évêque Néron vit-il encore ? » Et lui : « Oui. » Et elle : « Qu’il prie le Seigneur pour moi, car c’est vraiment un apôtre du Christ ! » Le lendemain, le diacre revint la voir ; mais, comme il frappait à sa porte sans obtenir de réponse, il ouvrit la fenêtre de la cellule, et vit que le frère Pélage était mort. Il courut annoncer la chose à l’évêque, qui vint, avec son clergé et ses moines, pour ensevelir le saint ermite. Et voilà qu’en retirant de la cellule le cadavre du défunt, on découvrit que celui-ci était une femme ! Sainte Pélagie mourut le 8 octobre de l’an du Seigneur 290.

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