Il est probable que le mot de Schabbat, שבת, qui est le plus souvent du genre féminin, était primitivement un substantif abstrait contracté de Schabbétet, שבת.ֻת, qui signifie repos, ἀνάπαυσις, dans Jos. Ant. 1.1, 1. L’expression complète est jour de Sabbat, יום השב.
[« Au 7e jour, il y a sabbat, » dit Exode 31.15. Voilà décidément schabbat pris dans un sens abstrait. — Lactance dans ses Institutions 7, 14, dérive le mot schabbat de schaveat qui signifie sept, et en effet dans 2 Maccabées 6.11 ; 12.38, le sabbat est appelé tout simplement ἑβδομὸς, le 7e jour. — Mais grammaticalement cette étymologie ne peut pas se soutenir. Appion avait inventé pour se moquer des Juifs une étymologie assez ridicule (Jos. contra Ap. II, 2). — Le pluriel τὰ σὰββατα que l’on trouve à côté du singulier dans les Septante, le N. T. et Josèphe, est venu probablement par analogie des pluriels ἐγκαίνια, ἄζυμα, les dédicaces, les azymes.]
Le Sabbat est d’institution mosaïque et purement mosaïque. Ce n’est point une imitation du jour de Saturne dans le paganisme antique ; et l’on ne peut pas davantage le faire remonter au Paradis. Autre chose est de dire que Dieu se reposa au septième jour et qu’il le sanctifia (Genèse 2.1 et sq.) ; autre chose d’ordonner aux hommes de se reposer à pareil jour. Pas trace de jour de repos dans le temps des patriarches ; les Pères de l’Église en appellent à ce fait pour prouver que l’on peut être agréable à Dieu sans observer de Sabbat. La première trace d’une obligation à se reposer le dernier jour de la semaine se trouve dans Exode 16.5, 22-30, à propos de la manne, et quand on lit ce passage on a l’impression que c’était là quelque chose de tout nouveau pour le peuple. Ce n’est qu’après avoir été mis à même de juger, par la conservation extraordinaire de la manne du Vendredi, des bénédictions qui sont assurées à l’observation de cette journée de repos, que, instruit par la pratique, le peuple reçut positivement en Sinaï l’ordre de se reposer ce jour-là. Moïse, il est vrai recommande aux Israélites de se souvenir du jour du repos. Mais cela ne veut point dire que ce soit une institution antique tombée en désuétude et à laquelle il s’agit de revenirp. Se souvenir ici, c’est tout simplement garder, observer (Deutéronome 5.12). Néhémie 9.14, peut, aussi être appelé en témoignage en faveur de l’origine mosaïque du sabbat.
p – Si l’on voulait absolument conserver ce sens rétrospectif au mot : Souviens-toi, on ne pourrait jamais y voir que l’exhortation à se souvenir de ce qui est rapporté Exode 16.23.
D’autre part, comment le sabbat pourrait-il être considéré par l’A. T. comme un signe entre Jéhovah et son peuple (Exode 31.13 ; Ézéchiel 20.12), si c’était une importation païenne ?
[Les Juifs ont toujours regardé le sabbat comme quelque chose de tout à fait particulier à leur nation (Seldem III, 10). Aussi dans le culte de la synagogue le saluaient-ils comme une épouse qui leur appartient en propre (Buxtorf, Synagog. Jud., page 299).]
On a également cherché à en l’aire un produit naturel de la réflexion religieuse, et il est assez curieux de voir avec quelle facilité des amis de la révélation ont parfois accueilli tout ce qu’on affirmait à cet égard, tant ils désiraient que la loi du sabbat eût une origine-pré-mosaïque et n’eût ainsi rien à redouter de l’abrogation de la loi cérémonielleq. — Sans doute, le nombre sept est dans toute l’antiquité un nombre sacré, ce qui s’explique suffisamment par son rôle dans le système planétaire et dans les phases de la lune ; on peut même retrouver dans les temps patriarchaux des traces de la division du temps en semainesr : voyez Genèse 29.27 et sq., et peut-être déjà Genèse 7.4, 10 ; 8.10, 12 ; 17.12 ; 21.4. Mais la semaine n’était point généralement connue des anciens peuples. — Dion Cass’ius (37,18) en attribue l’invention aux Egyptiens. Mais, d’après Lepsius (Chronol. des Eg. 1. Page 22), la décade aurait précédé la semaine chez les Egyptiens, et, en tous cas, on ne trouve nulle part dans l’antiquité païenne de fêtes religieuses revenant tous les sept jours.
q – Voyez par exemple Oschwald, le Dimanche. 1850. page 13, sq.
r – Hengstenberg pense que la semaine s’est originairement formée par la division d’une lunaison en quatre parties égales.
[On n’en trouve ni en Egypte, car Dion Cassius parle bien de la relation que les Egyptiens ont établie entre les jours de la semaine et les planètes, mais il ne dit absolument rien qui puisse faire croire que l’un de ces jours fût considéré comme particulièrement sacré ; — ni en Arabie, car si les Arabes, au jour consacré à Saturne (notre samedi), offraient à cette divinité, dans un temple hexagone et tendu de noir, un vieux taureau, cela ne prouve nullement que le 7e jour fut sacré à leurs yeux, mais uniquement qu’ils redoutaient ce dieu malfaisant ; c’est ainsi que le jeudi ils sacrifiaient un enfant mâle à Jupiter (Stuhr, Systèmes religieux de l’Orient, page 407) ; — ni même chez les Grecs, car la citation d’Hésiode que croient faire Clément d’Alexandrie (Strom. 5.14) et Eusèbe (Præp., ev. 13.12), est fausse, c’est une interpolation judéo-grecque. Le véritable Hésiode dit uniquement (opera et dies. vers. 770 et s.) que le 7e jour du mois est consacré à Apollon, comme les autres jours le sont à d’autres dieux ; — ni enfin chez les Romains, dont le calendrier religieux n’offre absolument aucun point d’attache au système hebdomadaire ; leurs saturnales ne revenaient qu’une fois par an, le 19 décembre ; elles duraient trois jours depuis Auguste, et cinq depuis Caligula. Si Martial 14, 72, et Lucien (epist. saturn. 25) leur attribuent sept jours, c’est qu’ils v font rentrer d’autres fêtes.]
Quelques historiens grecs et romains ont rapproché le sabbat juif du jour de Saturnes, mais ce qui leur en a donné l’idée, c’est la relation qui existait chez eux entre les sept jours de la semaine et les sept planètes ; or, toute relation semblable est complètement étrangère à l’A. T., et dans l’antiquité païenne elle est, d’après Dion Cassius, d’origine relativement moderne. C’est, paraît-il, le mage Ostanès qui a eu le premier l’idée de donner aux sept jours de la semaine le nom des sept planètes (Eusèbe, Præp. ev. 5, 14). Or, Ostanès était contemporain de Xerxès (Pline, hist. nat. 30, 2). On a cru longtemps qu’Hérodote 2.82, avait en vue les jours de la semaine, quand il dit que chacun d’eux est mis sous la protection d’une divinité particulière ; mais il est prouvé aujourd’hui qu’il veut parler dans ce passage des jours de chaque mois.
s – Une trace de cette même combinaison se retrouve chez les Rabbins, qui appellent la planète Saturne Schabbetaï.
D’ailleurs, Dion Cassius lui-même dit que l’ordre qu’on a assigné aux planètes dans la dénomination des jours de la semaine, est tout à fait arbitraire, en sorte qu’on est mal venu à attribuer la moindre importance à la coïncidence purement accidentelle du jour de Saturne avec le jour du Sabbatt.
t – Ainsi que l’a fait Baur, dans la Gazette de Tubingue. 1832, 3e cahier, page 125 et sq.
[L’une de ces théories repose sur la division du jour en 24 heures, consacrées chacune à l’une des 7 corps célestes, qui se suivent dans cet ordre : Saturne, Jupiter, Mars, le Soleil, Vénus, Mercure, la Lune. Le premier jour de la semaine, et non pas le dernier, était consacré à Saturne, ainsi que la 1re heure de ce jour. La 8e, la 15e, la 22e heure du jour de Saturne étaient également vouées à cette divinité ; la 23e au contraire à Jupiter, la 21e et dernière à Mars, en sorte que la. 1re heure du jour suivant revenait au Soleil. De là vient que le jour du Soleil (sonntag, sunday) suit le samedi (saturday). En poursuivant ce calcul, on voit que la 23e heure du dimanche était consacrée à Vénus et la 24e à Mercure, en sorte que c’était à la Lune que revenait la 1re heure du 3e jour (montag, monday, lundi). La 23e heure du lundi appartenait à Saturne, la 24o à Jupiter, ce qui nous amène à Mars pour la 1re heure du 4e jour (mardi).]
En revanche, on comprend fort bien qu’on ait pu avoir l’idée de rapprocher le jour de Saturne du repos des Juifs. Qui dit Saturne, dit âge d’or, vie sans trouble, sans fatigue. Voyez plutôt Hésiode, 170 ; Pindare ; Ol 2.70 et sq., Lucien, Fugit. 17, où « ὁ ἐπὶ Κρόνου βίος » est tout simplement synonyme de fainéantise. Les Romains non plus ne devaient pas avoir de peine à établir un rapprochement entre leurs saturnales et le jour du Sabbat, puisque c’était en un jour pareil qu’avait sonné pour les Israélites l’heure de la délivrance d’Egypte, après tant de longues années de servitude.
[Voyez Tacite, Hist. 5, 4, et Justin, hist. 36, 2. Mais quand ou lit ce passage de Tacite : « Alii, honorem eum Saturno haberi, seu principia religionis tradentibus Idæis (l’historien rapproche le nom de Juifs, Judæi, de celui des Crétois), quos cura Saturno pulsos et conditores gentis accepimus, seu quod e septem sideribus, quis mortales reguntur, altissimo orbe et præecipua potentia Stella Saturni feratur, » on a évidemment l’impression que ce sont là de pures hypothèses qu’il fait ou qu’il rapporte, — des hypothèses qui n’ont pas plus de poids que celle de Plutarque (Sympos. 4, 6, cité également par Tacite), qui rapproche le culte de Jéhovah de celui de Bacchus, parce que les Bacchantes s’appellent en grec des σαβοί.]
Aucun historien, ni grec, ni romain, ne sait rien d’une fête païenne se célébrant le septième jour de la semaine, et ayant le moindre rapport avec le Sabbat. Tout au contraire, les païens considèrent le Sabbat comme quoique chose de spécifiquement Juif ; ils le tournent en ridicule. Josèphe et Philon disent que de leur temps le repos hebdomadaire était fort répandu chez les païens. Mais, c’est que non seulement les prosélytes, mais encore les païens l’avaient emprunté aux Juifs !
[Ovide. De art. amat. I, 415, sq., Juvénal. satyr. 14, 96 à 106. Perse, 5, 179, 184. Martial 4, 4 à 7. Tacite parle de diverses fêtes, et entre autres du sabbat, comme d’innovations de Moïse : novos ritus, contrariosque cæteris mortalibus. Sénèque n’y voit qu’une perte de la 7e partie de la vie.]
[Josèphe, Contra App. 2.39. Philon. de op. mundi, m. 1, page 21. Vita Mosis 2.137. Et il est clair qu’à leurs yeux aussi, si le sabbat est répandu partout, c’est à l’imitation des Juifs. — Citons encore Tertullien. Apol. 16, qui parle des païens qui, dans l’ignorance où ils sont de la signification religieuse du sabbat, en font un jour uniquement de repos et de bonne chère.]
L’astrologie orientale ayant réussi à faire considérer le jour de Saturne comme un dies ater (sidus triste, Juvénal, Sat. 6.569), en lequel il était dangereux de rien entreprendre et spécialement de se mettre en voyageu, ce fut là une raison de plus pour imiter le repos hebdomadaire de la nation maudite, dont Sénèque déplore l’influence croissante sur le monde. « Usque eo sceleratissimæ gentis consuetudo convaluit, ut per omnes jam terras recepta sit ; victi victoribus leges dederunt (Sénèque cité par St-Augustin dans la cité de Dieu, 6.11).
u – Tibulle I, 3, 18.