Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XII

CHAPITRE I
Querelles successives d’Alexandre. Prise de Jérusalem par Ptolémée Sôter. Captifs et garnisaires juifs en Égypte ; disputes entres Juifs et Samaritains.

1. Alexandre, roi de Macédoine, après avoir brisé l'hégémonie des Perses et réglé de la façon qui a été dite plus haut les affaires de Judée, perdit la vie. Son empire étant tombé aux mains de nombreux successeurs, Antigone devint roi d'Asie, Séleucus de Babylone et des peuples environnants, Lysimaque gouverna l'Hellespont, Cassandre eut la Macédoine, et Ptolémée, fils de Lagos, reçut l'Égypte. Leurs discordes et leurs ambitions rivales, au sujet du pouvoir, causèrent de continuelles et longues guerres ; les villes en souffrirent et perdirent nombre de leurs habitants dans les combats : ainsi la Syrie tout entière, du fait de Ptolémée, fils de Lagos, alors appelé Sôter (Sauveur), supporta des maux qui démentaient le surnom de son roi. Celui-ci s'empara aussi de Jérusalem par ruse et par surprise : il vint en effet le jour du Sabbat dans la ville comme pour offrir un sacrifice, et sans que les Juifs fissent la moindre opposition, car ils ne le supposaient pas leur ennemi. Profitant de ce que, sans défiance et en raison du jour même, ils étaient inactifs et insouciants, il se rendit facilement maître de la ville et la gouverna durement. Ce récit est confirmé par Agatharchidès de Cnide, qui écrivit l'histoire des diadoques, et qui nous reproche notre superstition, prétendant qu'elle nous a fait perdre notre liberté : « Il y a, dit-il, un peuple appelé le peuple juif, qui, possédant une ville forte et grande, Jérusalem, la vit avec indifférence passer au pouvoir de Ptolémée, pour n'avoir pas voulu prendre les armes, et souffrit, grâce à une intempestive superstition, un maître rigoureux[1] ». Voilà ce qu'Agatharchidès a déclaré au sujet de notre peuple. Ptolémée fit de nombreux prisonniers dans la partie montagneuse de la Judée, dans les environs de Jérusalem, sur le territoire de Samarie et près du Garizim, et les emmena tous pour les établir en Égypte. Puis ayant appris, par leur réponse aux envoyés d'Alexandre après la défaite de Darius, que les gens de Jérusalem étaient les plus sûrs observateurs de la foi jurée et les plus fidèles, il en répartit un grand nombre dans les garnisons, leur donna à Alexandrie le même droit de cité qu'aux Macédoniens, et leur fit jurer de garder leur foi aux descendants de celui qui s'était fié à eux. Beaucoup d'autres Juifs allèrent s'établir en Égypte, tant à cause des avantages du pays qu'attirés par la bienveillance de Ptolémée[2]. Leurs descendants eurent cependant des démêlés avec les Samaritains, parce qu’ils voulaient conserver leurs coutumes nationales ; il y eut entre eux des guerres, ceux de Jérusalem assurant que le Temple qui était chez eux était saint et qu'on devait y envoyer faire les sacrifices, les Samaritains prétendant au contraire qu'il fallait aller au mont Garizim.

[1] Agatharchidès florissait vers le milieu du IIe siècle av. J.-C. La citation ci-dessus est reproduite plus complètement dans le Contre Apion, I, 22, § 205-211. La date exacte de l'occupation de Jérusalem par Ptolémée Ier n'est pas connue.

[2] Pour les §§ 8-9, comparer la Lettre d'Aristée, § 12 suiv. (Wendland), qui mentionne également la transplantation de captifs et de colons juifs par Ptolémée et leur emploi comme garnisaires. Mais Josèphe ne paraît pas avoir eu ici le document sous les yeux : il indique avec plus de précision l'origine des captifs, parle d'émigrants volontaires (d'accord avec Hécatée, fr. 44 = Textes, p. 229), ne reproduit pas les chiffres fabuleux d'Aristée et mentionne un serment que celui-ci passe sous silence ; nous croyons donc qu'il a combiné ici des renseignements de source diverse et de valeur inégale. Ni la réponse des Juifs aux envoyés d'Alexandre (cf. liv. XI, VIII, 3), ni l'octroi du droit de cité macédonien aux Juifs (quoique cette assertion soit répétée à satiété : C. Ap., II, 4 ; Ant., XIX, V, 2) ne peuvent être acceptés comme des faits historiques ; mais l'existence de garnisons juives dans le Delta est certaine et confirmée notamment par l'inscription d'Athribis (Ret. et. juives, XVII, 235).

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