Il résulte de ce qui précède qu’il n’y a absolument que l’A. T. qui puisse nous fournir des informations certaines sur le sens et le but du Sabbat. Les passages capitaux à cet égard sont : Genèse 2.3 ; Exode 20.11 ; 31.13-17. Qu’en ressort-il ?
Que Dieu a créé le monde en six jours ; qu’après avoir achevé son œuvre il s’est reposé pendant un jour ; que Dieu a béni et sanctifié ce septième jour, et que le peuple de l’Éternel doit montrer, en travaillant et en se reposant comme son Dieu, qu’il y a véritablement une alliance entre lui et l’Éternel. C’est ainsi que le sabbat est un signe de l’alliance. — Il résulte également de l’institution sabbatique que le Dieu de l’alliance est le même que le créateur de l’univers.
Oui, et c’est là le premier point sur lequel il faut insister, l’homme doit travailler et se reposer comme son Dieu ; la vie humaine doit se calquer sur la vie divine ; il importe surtout que le peuple qui a pour vocation d’introduire sur la terre une économie nouvelle, observe la même alternance de travail et de repos que son Dieu.
Puis, un second point important, c’est que l’activité créatrice aboutit à un temps de repos. L’œuvre divine n’est réellement achevée que lorsque Dieu s’est reposé en face de tout ce qu’il vient de faire, et qu’il a pu s’en déclarer satisfait (§ 18 et 52). L’homme de même verra en fin de compte son travail le conduire à quelque chose, — au repos, au bonheur. Telle est, en particulier, la signification de l’année de jubilé, qui est le couronnement de toutes les institutions sabbatiques (§ 152). Mais il y a plus : ce n’est pas l’activité individuelle seulement, c’est l’activité collective de l’humanité tout entière qui aboutira à quelque chose, à un résultat positif. Le septième jour n’a pas eu de soir ; ce temps de repos dure encore, il plane sur notre terre ; à la fin des siècles il l’attirera à soi et la recevra en quelque sorte dans son sein. C’est précisément sur la conviction que le repos de Dieu (κατάπαυσις θεοῦ) doit devenir un repos pour l’homme, et que c’est là ce qu’a voulu indiquer l’Éternel en instituant le Sabbat à l’imitation de son propre repos, — que l’auteur de l’Epître aux Hébreux, fait reposer la démonstration de la grande et consolante pensée que certainement il y a encore un repos pour le peuple de Dieu (Hébreux 4.9)a. — Le nombre sept, auquel l’idée sabbatique se trouve intimement liée, joue aussi un rôle particulier dans toutes les religions tant soit peu développées de l’antiquité. Philon l’appelle le nombre de la consommation (ἀριθμὸς τελεσφόρος, ἀποκαταστατικός).
a – Développant davantage encore cette pensée, on a parfois divisé l’histoire de l’humanité en sept jours de mille ans, dont le dernier doit être le grand sabbat. Voyez déjà Lactance. Inst, 7.14 et notre 1er vol., page 31.
[Telle est bien aussi la signification symbolique de ce nombre. Je ne puis absolument me joindre à Bœhr, qui en fait le chiffre de l’union du monde avec Dieu (3, nombre de Dieu + 4, nombre du monde).]
Mais ce n’est que lorsqu’on se place en face du péché et de la mort que l’on comprend toute l’importance du Sabbat ; ce n’est que lorsque, par suite de la malédiction divine, l’homme se trouve assujetti à la vanité et à un travail pénible, qu’il commence à soupirer après le repos et la rédemption (Genèse 5.29). Le séjour dans la maison de servitude, où les Israélites étaient accablés d’ouvrage sans avoir même de loin en loin la moindre journée de relâche, était bien propre à produire dans leurs cœurs de pareilles dispositions et à les faire soupirer après la délivrance. — Aussi Moïse les invite-t-il, d’après la seconde récension du Décalogue (Deutéronome 5.15), alors qu’ils jouissent d’un repos hebdomadaire régulier, à considérer aussi le Sabbat comme une fête commémorative de la délivrance d’Egypte : « Souviens-toi que tu as été esclave au pays d’Egypte et que l’Éternel ton Dieu t’en a tiré à main forte et à bras étendu. C’est pour cela que l’Éternel ton Dieu t’a commandé de garder le jour du repos. » Ce n’est ici, ni une simple considération ayant pour but d’engager les Israélites à accorder de bon cœur à leurs serviteurs le repos hebdomadaire ; — ce serait par trop restreindre le sens de ce verset ; — ni la vraie raison d’être du Sabbat ; — ce serait donner à cette parole une par trop grande importance. Non ! c’est dans la première récension du Décalogue (Exode 20.11) que se trouve exprimée la véritable origine du Sabbat, et Moïse dans Deut. v, 15, ne fait rien d’autre que de faire valoir tout spécialement, en faveur du quatrième commandement, la considération qui est le grand mobile à l’observation de la loi tout entière (Deutéronome 5.6 ; Exode 20.2)b. Les historiens profanes sont là (Tacite, Hist. 5.4 ; Justin, Hist. 36, 2), pour nous montrer combien, d’après ce qu’ils avaient pu apprendre, le souvenir de la délivrance d’Egypte était intimement lié chez les Juifs à la célébration du Sabbat.
b – Deutéronome 5.15 est à Exode 20.11 ce que Deutéronome 26.8 est aux autres lois sur les prémices, Exode 23.19.
C’est ainsi que le Sabbat apprend à l’homme à regarder en haut vers Dieu, en avant vers un magnifique avenir, en arrière à un passé misérable. Mais ce n’est pas tout : le Sabbat est le dernier jour de la semaine ; il doit être précédé de six jours de travail. La première proposition du quatrième commandement est aussi un commandement. Il faut avoir travaillé à l’œuvre de sa vocation, pour pouvoir jouir du repos sabbatiquec. Dieu a condamné l’homme à manger son pain à la sueur de son visage (Genèse 3.19) ; cette sentence n’est point levée, le Sabbat ne supprime point le travail ; il veut simplement empêcher que l’homme s’y consumed, et il le sanctifie en lui proposant pour terme le repos de Dieu. — Nous ne signalons qu’en passant le caractère humain d’une loi qui s’occupe des étrangers aussi bien que des Israélites, et qui songe même aux bêtes (Exode 20.10 ; 23.12) ; et, quant aux avantages purement terrestres qu’elle peut procurer, nous n’avons aucunement à nous en occuper ici.
c – Hengstenberg fait erreur, quand il dit que peu importe quel jour de la semaine se célèbre le sabbat. Il faut que ce soit le dernier. — Si l’on parle du dimanche, alors la chose est bien différente.
d – Keil, dans son Archéologie I, 362, représente fort bien le sabbat comme un correctif aux maux qu’apporte à l’homme le travail pénible auquel il est condamné depuis la chute.
[J.-D. Michaelis a là-dessus de fort belles pages. Tel est aussi le sujet d’un livre spécial du grand socialiste Proudhon. Mais c’est méconnaître absolument Moïse que de faire du sabbat juif une institution utilitaire.]