Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE XV

Le Dieu qui a créé les corps est le Dieu qui les ressuscitera ; preuves de cette vérité tirées des passages d’Isaïe et d’Ézéchiel.

Voici ce que dit Isaïe au sujet de la promesse de la résurrection des corps après leur dissolution dans le sein de la terre, que nous a faite Dieu notre créateur : « Les morts que vous pleurez vivront, les forts d’Israël ressusciteront. Réveillez-vous, louez le Seigneur, vous qui habitez dans la poussière : Votre rosée, Seigneur, est une rosée de lumière et de vie ; » et ailleurs il dit : « Comme une mère console son enfant, ainsi je vous consolerai, et vous serez consolés dans Jérusalem. Vous verrez, et votre cœur se réjouira, et vos os se ranimeront comme l’herbe ; les serviteurs du Seigneur connaîtront son bras. » Écoutons maintenant comment parle Ézéchiel : « La main du Seigneur fut sur moi, et le Seigneur m’emporta en esprit ; et il me déposa au milieu d’un champ, et ce champ était plein d’ossements ; et il me conduisit autour de ces os ; et ils étaient en grand nombre sur la face du champ, et très-secs. Et il me dit : Fils de l’homme, ces os vivront-ils ? Et je dis : Seigneur Dieu, tu le sais. Et il me dit : Prophétise sur ces os, et dis-leur : Os arides, écoutez la parole du Seigneur. Voici ce que dit le Seigneur à ces os : Moi, j’enverrai en vous l’esprit, et vous vivrez ; et je mettrai sur vous des nerfs, et je ferai croître des chairs sur vous, et j’étendrai la peau sur vous ; et je vous donnerai l’esprit, et vous vivrez ; et vous saurez que moi, je suis le Seigneur. Et je prophétisais comme il m’avait ordonné. Pendant que je prophétisais, un bruit s’entendit, et voilà que tout fut ébranlé ; et les os s’approchèrent des os, chacun à sa jointure. Et je vis : et voilà les nerfs et les chairs qui recouvraient ces os, et la peau qui s’étendait sur les os ; mais l’esprit n’était pas en eux. Et le Seigneur me dit : Prophétise à l’esprit, fils de l’homme, et tu diras à l’esprit : Voici ce que dit le Seigneur : Viens, esprit des quatre vents, et souffle sur ces morts, et qu’ils revivent. Et je prophétisai comme il m’avait ordonné ; et en même temps l’esprit entra en eux, et ils furent vivants, et une armée innombrable se leva sur ses pieds. » Et ensuite Ézéchiel dit encore : « Voici ce que dit le Seigneur Dieu : J’ouvrirai vos tombeaux, et je vous tirerai de vos sépulcres ; et je vous conduirai dans la terre d’Israël ; et vous saurez que je suis le Seigneur, lorsque j’ouvrirai vos tombeaux et que je vous tirerai de vos sépulcres ; lorsque je répandrai mon esprit sur vous, et que vous vivrez, et que je vous ferai reposer en votre terre ; et vous saurez que moi, le Seigneur, j’ai parlé et j’ai fait, dit le Seigneur Dieu. » On le voit, c’est bien Dieu lui-même qui donnera la vie aux corps qui seront morts, qui les tirera de leurs sépulcres, et qui leur donnera l’immortalité, d’après la promesse qu’il a faite de donner la résurrection ; car « leurs jours seront désormais aussi durables que l’arbre de vie. » Mais il n’y a que Dieu qui soit capable d’opérer ces prodiges, et dont la bonté puisse accorder un si grand bienfait à ses créatures.

Aussi, le Christ a-t-il pris soin de ne laisser aucun doute à ses disciples, soit relativement à sa propre nature et à son caractère divin, soit relativement à la nature et à la toute puissance de Dieu le père ; pour apprendre à ses disciples qu’ils ne devaient pas chercher ailleurs qu’en lui-même le Dieu qui a créé l’homme et qui lui a donné le souffle de vie, et pour qu’ils ne tombassent pas dans cette idolâtrie, qui voudrait supposer un autre Dieu au-dessus de Dieu le père. Aussi, lorsqu’il guérissait, par sa parole divine, quelques infirmités du corps, qui étaient toujours la suite du péché, il renvoyait ceux qui étaient ainsi guéris, en leur disant : « Voilà que tu es guéri ; ne pèche plus désormais, de peur qu’il ne t’advienne pire, » déclarant par-là que le péché est la cause des maladies qui affligent l’humanité. Quant à l’aveugle de naissance, l’Évangile nous apprend que Jésus le guérit, non pas par la parole, mais par l’opération des mains ; et ce ne fut pas sans dessein qu’il en agit ainsi, mais afin de nous apprendre qu’il était lui-même cette main de Dieu, qui créa l’homme au commencement du monde. Aussi, lorsque ses disciples lui demandèrent la cause de l’infirmité dont avait été affligé cet aveugle de naissance, et si elle provenait de la faute de cet homme, ou de la faute de ses parents, il leur répondit : « Ni celui-ci, ni son père, ni sa mère, n’ont péché, mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. » Or, l’homme est l’œuvre de Dieu, et l’Écriture nous raconte comment cette œuvre fut accomplie, lorsqu’elle dit : « Le Seigneur Dieu prit du limon de la terre et en forma l’homme. » Nous voyons que notre Seigneur Jésus-Christ crache à terre, fit de la boue de sa salive, et en frotta les yeux de l’aveugle ; et il agissait ainsi pour rappeler, à ceux qui pouvaient le comprendre, comment Dieu avait autrefois procédé à la création de l’homme. Et le Christ, par cette action qu’il fit en présence de tous, acheva dans cette circonstance ce qui avait été omis dans la formation de cet homme, quand il était encore dans le ventre de sa mère. Or, tout ceci avait lieu afin que les œuvres de Dieu fussent manifestées en lui, et pour témoigner qu’il n’y avait pas d’autre Dieu, créateur de l’homme, que Dieu le père du Christ ; que c’est le même Dieu qui a créé l’homme au commencement du monde. Celui qui nous a créés dans le sein de notre mère, est le même Dieu qui est venu dans un autre temps sur la terre pour nous sauver, pour nous ramener à lui, et qui, chargeant sur ses épaules la brebis égarée, l’a reconduite avec joie dans le bercail du salut.

C’est le verbe de Dieu qui nous donne la vie dans le sein de notre mère ; voici comment Jérémie s’exprime à ce sujet : « Avant de t’avoir formé dans les entrailles de ta mère, je t’ai connu ; avant que tu fusses sorti de son sein je t’ai sanctifié, je t’ai établi prophète pour les nations. » Saint Paul dit aussi, en parlant de lui-même : « Mais lorsqu’il eut plu à Dieu, qui m’a choisi dès le sein de ma mère et qui m’a appelé par sa grâce, de me faire connaître son Fils, afin que je l’évangélisasse parmi les nations. » Puis donc que c’est le Verbe qui nous donne la vie dans le sein de notre mère, c’est pareillement le Verbe qui rendit la vue à cet aveugle de naissance, dont nous parlions tout à l’heure. Ainsi, il faisait voir que ce Verbe, qui nous donne la vie dans le travail secret de la création, était le même Verbe qui était venu habiter parmi les hommes et se manifester à eux ; il montrait aussi, par cette action, de quelle manière s’était faite la création d’Adam, et comment la main de Dieu avait opéré dans cette œuvre. Car le Christ, qui avait le pouvoir de rendre la vue, est celui qui crée tout le genre humain, exécutant ainsi les volontés de Dieu le père. La postérité d’Adam, souillée de la tache du péché originel, avait besoin d’être purifiée dans la piscine de la régénération ; c’était pour figurer cette purification du baptême, que notre Seigneur, après avoir frotté avec de la boue les yeux de l’aveugle, lui dit : « Va-t-en, et te lave dans la piscine de Siloé ; » lui donnant ainsi, et en même temps, la vie du corps et la régénération de l’âme. Aussi lui, après s’être lavé dans la piscine, revient-il vers le Christ, parce qu’il voulait voir son créateur, pour nous apprendre que c’était bien le Christ qui était l’auteur de la vie de cet homme, ainsi que de sa guérison.

Ils sont donc dans l’erreur ceux qui disent, d’après Valentin, que ce n’est pas avec le limon de cette terre que nous habitons que l’homme aurait été formé, mais avec une matière fluide et liquide. La raison nous dit assez que l’homme a dû être formé avec ce même limon dont se servit le Christ pour former des yeux à l’aveugle de naissance : car il eût été contradictoire de former le corps de l’homme avec une matière, et ses yeux avec une autre ; de même qu’il serait contradictoire de supposer qu’un Dieu aurait créé le corps de l’homme, et qu’un autre Dieu aurait créé ses yeux. Mais celui qui a créé le premier homme, dès le commencement, n’est autre que le Verbe, auquel Dieu le père s’adressait, quand il dit : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ; » et c’est ce même Verbe, qui, lors de sa venue sur la terre, où il s’est manifesté au monde, a créé des yeux à cet homme qui était aveugle de naissance. L’Écriture nous montre une figure de cet avènement du Verbe, lorsqu’elle dit « qu’Adam, ayant honte de sa faute, s’était caché, et que le Seigneur, étant venu sur la fin du jour, l’appela en lui disant : Adam, où es-tu ? » Ceci était la figure de l’avènement futur du Christ, qui devait venir sur le soir, c’est-à-dire vers la fin des temps, pour rappeler l’homme à lui, lui donner le moyen d’effacer le péché originel qui avait tenu jusque-là l’homme éloigné de Dieu. Car, de même que le Seigneur vint sur le soir rechercher Adam et l’appeler ; de même le verbe de Dieu est venu sur la fin des temps visiter sa postérité et lui faire entendre sa voix.

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