(15 octobre)
I. Léonard vivait vers l’an 500. Fils d’un des premiers fonctionnaires de la cour de France, il fut baptisé par saint Remi, archevêque de Reims, et instruit par lui des vérités de la foi. Et telle fut sa faveur auprès de son souverain qu’il obtint la permission de mettre en liberté tous les prisonniers qu’il voulait délivrer. Longtemps le roi le garda près de lui, jusqu’à ce qu’enfin la voix du peuple le contraignit à lui offrir un évêché. Mais Léonard refusa cet honneur, et, aspirant à la solitude, il se rendit à Orléans avec un autre chrétien nommé Liphard. Ils vécurent là pendant quelque temps de la vie cénobitique ; mais ensuite Liphard resta seul sur la rive de la Loire, et Léonard, conduit par l’Esprit-Saint, se rendit en Aquitaine pour y prêcher le Christ. Il prêchait dans les villes et les villages, et opérait de nombreux miracles ; mais, de préférence, il habitait dans une forêt voisine de Limoges, où se trouvait une des chasses favorites du roi. Or, un jour, comme le roi était venu chasser dans la forêt, et que la reine, par amour pour lui, l’y avait suivi, celle-ci éprouva soudain les douleurs de l’enfantement. Le roi et toute la cour s’affligeaient fort du danger où ils la voyaient ; et Léonard, qui passait par là, entendit leurs gémissements. Ému de pitié, il aborda le roi, qui, en apprenant qu’il était disciple de saint Remi, s’empressa de le conduire auprès de la reine, afin qu’il priât pour elle et pour l’enfant qui allait naître. Léonard se mit en prière, et obtint aussitôt ce qu’il demandait à Dieu. Alors le roi lui offrit de nombreux présents ; mais le saint les refusa, l’engageant plutôt à les donner aux pauvres. Du moins le roi voulut lui donner la forêt où se trouvait son ermitage. Mais lui : « Non, je n’aurais que faire de toute la forêt ; mais donne-moi seulement l’espace que pourra parcourir mon petit âne durant la nuit ! » Ce à quoi le roi consentit volontiers. Et Léonard, dans l’espace ainsi obtenu, construisit un monastère, où il vécut dans l’abstinence en compagnie de deux moines. Et il appela ce lieu Nobliac, pour rappeler la grande noblesse du roi qui le lui avait donné. Et comme l’eau manquait à une lieue alentour, Léonard fit creuser un puits, pria, et le puits se remplit d’eau. Et il brilla par tant de miracles que tout prisonnier qui invoquait son nom se trouvait aussitôt délivré, en souvenir de quoi il offrait au saint les chaînes de ses mains et de ses pieds. Et plusieurs de ces prisonniers restèrent avec lui pour servir le Seigneur. Il y eut aussi sept familles nobles qui, vendant tous leurs biens, et en distribuant le profit aux pauvres, vinrent demeurer près de lui dans la forêt. Enfin saint Léonard rendit son âme à Dieu le quinzième jour d’octobre ; et, après sa mort, une voix d’en haut révéla au clergé de son église que, à cause de l’affluence de la foule, son corps eût à être transporté dans une église nouvelle. Le clergé et le peuple passèrent alors trois jours dans le jeûne et la prière ; après quoi, regardant autour d’eux, ils virent toute la région couverte de neige, à l’exception d’un seul endroit qui était resté vert. Et ils comprirent que c’était là que saint Léonard voulait être enseveli. Ils l’y transportèrent donc ; et l’énorme quantité de chaînes qu’on voit, aujourd’hui encore, suspendues en ex-voto autour de sa tombe, suffisent à prouver combien il a opéré de miracles en faveur des prisonniers.
II. Le vicomte de Limoges, pour effrayer les méchants, avait fait sceller au pied de la plus haute tour de son palais une lourde chaîne qu’il faisait attacher au cou des criminels ; et ceux-ci, exposés aux intempéries de l’air, souffraient là un supplice pire que mille morts. Or un serviteur de saint Léonard se trouva un jour attaché à cette chaîne sans avoir fait aucun mal ; dans sa détresse, il pria saint Léonard de le délivrer, lui rappelant combien d’autres prisonniers il avait déjà délivrés. Et aussitôt le saint lui apparut, tout vêtu de blanc, et lui dit : « Ne crains rien, mais prends cette chaîne, et suis-moi jusqu’à mon église ! » Devant la porte de l’église, le saint disparut ; et le prisonnier, après avoir raconté à tous sa miraculeuse aventure, suspendit la grosse chaîne au-dessus du tombeau.
III. Un homme vivait, auprès du monastère de saint Léonard, qui entretenait pour le saint une dévotion toute particulière. Cet homme fut pris par un tyran. Et le tyran se disait : « Léonard délivre tous les prisonniers : tous mes efforts seront vains pour l’empêcher de délivrer aussi celui-là. Mais je sais ce que je vais faire ! Sous ma tour je ferai creuser une fosse, où je jetterai mon prisonnier avec des chaînes aux pieds ; et à l’entrée de la fosse j’élèverai une arche de bois que je remplirai de soldats armés. Car Léonard a beau briser toutes les chaînes, jamais encore je n’ai entendu qu’il pénétrât sous terre. » Le tyran fit donc comme il avait dit ; et comme le prisonnier invoquait saint Léonard, celui-ci, la nuit, vint à son aide. Il commença d’abord par retourner l’arche de bois où étaient les soldats, écrasant ceux-ci sous son poids. Puis, descendant au fond de la fosse avec une grande lumière, il prit la main de son serviteur et lui dit : « Dors-tu, ou es-tu éveillé ? Je suis Léonard que tu as appelé ! » Et le prisonnier : « Seigneur, secours-moi ! » Aussitôt le saint, brisant ses chaînes, le prit sur ses épaules et l’emporta hors de la tour ; après quoi il le ramena jusque dans sa maison, s’entretenant avec lui comme un ami avec son ami.
IV. Un pèlerin, qui revenait du tombeau de saint Léonard, fût pris par des brigands, en Auvergne, et enfermé dans un caveau. En vain il suppliait les brigands de le remettre en liberté, au nom de saint Léonard. Ils répondaient toujours qu’ils ne le relâcheraient point avant qu’il se fût racheté par une forte rançon. Alors le prisonnier : « Que saint Léonard, mon patron, décide donc entre vous et moi ! » Et, la nuit suivante, le saint apparut au chef de la troupe et lui ordonna de relâcher le pèlerin. Mais le chef, quand il s’éveilla, n’attacha point d’importance à son rêve ; et il fit de même la nuit suivante, où le saint lui apparut de nouveau. La troisième nuit, saint Léonard vint chercher le prisonnier et l’emmena hors de la forteresse ; et, dès l’instant d’après, la grosse tour de celle-ci s’écroula, écrasant tous les brigands, à l’exception du chef qui, les membres brisés, comprit enfin combien il avait eu tort de dédaigner les avertissements de saint Léonard.
V. Un soldat, emprisonné en Bretagne, invoqua saint Léonard : aussitôt celui-ci, au vu et à la stupeur de tous, entra dans la prison, brisa les chaînes de l’homme qui l’invoquait, les lui mit dans les mains, et l’entraîna au dehors, sans que personne osât lui résister.
VI. Il y a eu encore un autre saint Léonard, également moine et plein de vertu, dont le corps repose aujourd’hui dans la ville de Corbigny. Celui-là, étant abbé de son monastère, s’humiliait au point d’apparaître comme le dernier des moines. Son exemple entraînait tant de vocations que des envieux le dénoncèrent au roi Clotaire, disant à celui-ci que, s’il n’y mettait bon ordre, Léonard finirait par dépeupler son royaume. Le roi, trop crédule, envoya à Corbigny une troupe pour chasser Léonard de son monastère. Mais à peine ces soldats eurent-ils vu et entendu le saint que, touchés, ils demandèrent à devenir ses disciples. Alors le roi, pénitent, vint demander pardon au saint, et priva de leurs honneurs ceux qui l’avaient dénoncé, mais Léonard, intercédant pour eux, obtint leur grâce. Il obtint aussi de Dieu, comme l’autre saint Léonard, la permission de faire tomber les chaînes de ceux qui invoqueraient son nom. Et un jour qu’il était en prière, un grand serpent sortit de terre à ses pieds, et rampa le long de son corps. Mais Léonard n’en acheva pas moins sa prière ; après quoi il s’écria : « Je sais que, depuis la création, tu tourmentes les hommes autant que cela t’est possible. Mais si, maintenant, Dieu m’a livré à toi, inflige-moi la punition que j’ai méritée ! » Et aussitôt le serpent, sortant par son capuchon, s’étendit mort à ses pieds.
Un jour de l’année du Seigneur 570, saint Léonard, après avoir tranché une querelle entre deux évêques, annonça qu’il mourrait le jour suivant ; et en effet c’est ce jour-là qu’il rendit son âme à Dieu.