Histoire de l'Église - Théodoret de Cyr

LIVRE V

CHAPITRE XXIII
DIFFÉREND ENTRE FLAVIEN ÉVÊQUE D'ANTIOCHE, ET LES ÉVÊQUES D'OCCIDENT

Flavien qui avait soutenu avec Diodore un si grand nombre de combats pour la défense du troupeau du Sauveur, prit après la mort du Grand Mélèce, la conduite de l'Église d'Antioche. Paulin prétendit qu'elle lui appartenait ; mais les Évêques rejetèrent sa prétention, et jugèrent qu'il n'était pas juste de permettre qu'il occupât le Siège de Mélèce, dont il avait méprisé les avis, ni qu'il dut préféré à un autre, qui s'était souvent signalé par la générosité avec laquelle il avait gardé, et défendu les fidèles. Ce différend-là, aigrit si fort les Romains, et les Égyptiens contre les Orientaux, que leur aigreur continua encore après la mort de Paulin, et qu'ils conservèrent toujours de l'animosité contre flavien, et de l'affection pour Evagre, bien qu'il eût été ordonné contre les règles, et que Paulin qui l'avait choisi, eût violé en cela un grand nombre de Canons. Ces Canons ne permettent pas à un Évêque mourant de choisir son successeur. Ils demandent le consentement des Évêques de la Province, et veulent de plus que l'ordination soit faite au moins par trois Évêques. Bien qu'aucune de ces règles n'eût été observée dans l'ordination d'Evagre, les Romains, et les Égyptiens ne laissèrent pas de communiquer avec lui, et de donner à l'Empereur de mauvaises impressions de Flavien. Ce Prince lassé de leurs importunités, le manda un jour à Constantiople, et lui ordonna d'aller à Rome. Flavien s'excusa sur la rigueur du froid, promit de faire le voyage au commencement du printemps, et s'en retourna cependant à Antioche. Les Évêques de Rome, savoir non seulement l'admirable Damase, mais Sirice son successeur, et Anastase successeur de Sirice ayant depuis reproché à l'Empereur, qu'au lieu qu'il s'opposait aux desseins de ceux qui voulaient s'emparer de la puissance temporelle, il souffrait les entreprises de ceux qui exercent une domination tyrannique dans le Royaume spirituel de Jésus-Christ, il envoya quérir une seconde fois Flavien, et le voulut obliger d'aller à Rome. Alors cet Évêque qui était rempli d'une merveilleuse sagesse lui dit avec une honnête liberté :

Si quelqu'un m'accuse ou d'avoir des sentiments qui ne soient pas Orthodoxes, ou de déshonorer par mes mœurs la dignité de l'Épiscopat, je ne refuse pas d'avoir mes accusateurs pour Juges, et de subir le jugement qu'il leur plaira de prononcer. Mais si ce n'est qu'à mon Siège qu'on en veut, je ne contesterai point sur ce sujet, et je n'empêcherai point qu'un autre ne le prenne. Donnez-le à qui il vous plaira.

L'Empereur étonné de sa prudence, et de sa fermeté lui permit de s'en retourner, et de reprendre le gouvernement de son Église. Ce Prince étant allé à Rome longtemps depuis, les Évêques d'Occident lui renouvelèrent leurs plaintes, de ce qu'il souffrait la tyrannie de Flavien. Il leur demanda alors quelle sorte de tyrannie Flavien exerçait, et leur déclara qu'il était prêt de le défendre. Les Évêques lui ayant répondu qu'ils n'avaient garde de plaider contre un Empereur, il les exhorta à s'accorder, et à renoncer à une contestation, qui était très-inutile, et très-mal fondée, puisque Paulin était mort, qu'Evagre avait été mal ordonné, que les Églises d'Orient reconnaissaient Flavien pour Évêque légitime, que celles d'Asie, de Pont, et de Thrace communiquaient avec lui, et qu'enfin celles d'Illyrie le regardaient comme Primat d'Orient. Les Évêques d'Occident se rendirent à ces raisons, et promirent de communiquer avec Flavien. Il envoya bientôt après à Rome des Évêques, des Prêtres, et des Diacres. Acace ce célèbre Évêque de Bérée, fut le chef de la troupe. Il assouplit ce différend qui avait duré dix-sept ans. Quand les Évêques d'Égypte virent que les Évêques d'Occident s'étaient accordés avec Flavien, ils s'y accordèrent aussi. L'Église de Rome était alors gouvernée par Innocent, qui avait succédé à Anastase, et qui était un Prélat d'une singulière prudence. Celle d'Alexandrie l'était par Théophile dont nous avons déjà parlé. Voilà de quelle manière la piété de l'Empereur rétablit une parfaite intelligence parmi les Évêques.

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