Mais avant que de faire cet accord, et après avoir appris la mort de Valentinien, et la révolte d'Eugène, il mena son armée en Europe. En partant il envoya consulter un Solitaire d'Égypte nommé Jean, que Dieu avait gratifié du don de Prophétie, et lui demander s'il devait prendre les armes contre l'usurpateur de l'autorité légitime. Il lui avait prédit à la première guerre qu'il remporterait une victoire aisée, et sans essuyer de sang. Mais il lui prédit cette fois, que sa victoire serait sanglante. L'Empereur Théodose étant parti avec la confiance que cette réponse lui avait donnée, il en vint aux mains avec les rebelles, en tua un grand nombre, et perdit une partie de ses troupes auxiliaires. Les gens de commandement lui ayant représenté, que son armée était fort diminuée, et lui ayant conseillé de différer la guerre jusques au printemps, et jusqu'à ce qu'il eût fait de nouvelles levées, il rejeta leur conseil, en disant qu'il n'était pas juste de faire cette injure à la Croix qui servait d'étendard à son armée, et cet honneur à l'image d'Hercule, qui servait d'étendard à ses ennemis. Ayant fait cette réponse avec une foi invincible, bien que ses troupes fussent fort diminuées, et fort affaiblies il entra dans une Chapelle, qu'il trouva sur une montagne, et après y avoir passé toute la nuit en prières, il s'endormit à l'heure que l'Aurore commence à poindre. Pendant son sommeil il crut voir deux hommes vêtus de blanc, et montés sur des chevaux blancs, qui l'exhortèrent à avoir bon courage, à ranger ses troupes, et à donner le combat, et qui lui déclarèrent l'un qu'il était Jean l'Évangéliste, et l'autre Philippe Apôtre, et qu'ils avaient été envoyés à son secours. Ce songe accrut la dévotion de l'Empereur, et l'obligea à redoubler ses prières. Un soldat eut un songe semblable, et le raconta à son Centenier. Le Centenier mena le soldat au Tribun, qui en avertit le Maître de la Milice. Celui-ci ayant été le rapporter à l'Empereur, comme quelque chose de fort nouveau, il lui répondit, ce n'est pas pour mon intérêt que ce soldat a eu ce songe ; car j'ai ajouté une pleine et entière créance aux paroles des Saints, qui m'ont promis la victoire. Mais le protecteur de mon Empire a eu la bonté de lui révéler ce qui doit arriver, de peur qu'on ne me soupçonnât de l'avoir supposé par le désir de donner bataille. Suivons donc sans crainte les Généraux qui se chargent de notre conduite, et mettons notre espérance dans leur protection.
Ayant répété les mêmes discours à ses soldats, et les ayant exhortés à ne point appréhender la multitude des ennemis, et à ne pas s'imaginer que la victoire dépende du nombre de combattants, il les mena au bas de la montagne. Le rebelle ayant vu de loin l'armée de Théodose rangée en bataille, rangea aussi la sienne, et dit aux Commandants que l'Empereur ne le préparait au combat que par désespoir, et par le désir de mourir, et qu'ils eussent soin de lui sauver la vie, et de le mettre vif entre ses mains. Quand les deux armées furent en présence, celle des rebelles parut beaucoup plus nombreuse que celle de Théodose, mais quand le combat fut commencé, on vit l'effet des promesses des protecteurs invisibles de ce Prince. Le vent repoussa les traits des ennemis sur eux-mêmes. Il n'y eut pas un soldat parmi eux qui pût blesser le moindre de l'armée de l'Empereur. Le même vent qui avait rendu leurs armes inutiles, leur jeta une si prodigieuse quantité de poussière dans les yeux, qu'ils furent contraints de les fermer. L'armée de Théodose n'étant point du tout incommodée de cet orage, tailla les rebelles en pièces jusques à ce qu'ayant reconnu que Dieu leur était contraire, ils mirent les armes bas, et demandèrent quartier. L'Empereur le leur accorda, et commanda qu'on lui amenât le chef de la révolte. Ils coururent donc vers la colline ou Eugène attendait l'événement du combat, dont il n'avait encore appris aucune nouvelle. Quand il les vit courir en si grande hâte, il leur demanda s'ils lui amenaient Théodose lié, comme il leur avait commandé.
Nous ne courons pas si vite, lui répondirent-ils, pour vous amener Théodose, mais pour vous mener à lui.
En disant ces paroles, ils le lièrent et l'emmenèrent. Théodose lui reprocha le meurtre de Valentinien, l'injustice de cette rébellion, et l'insolence qu'il avait eue de prendre les armes contre son légitime Souverain. Il le moqua aussi de l'image d'Hercule qu'il avait fait porter à la tête de son armée, et de la confiance qu'il avait eue en la protection de ce dieu, et le condamna enfin à la mort. Voilà un fidèle crayon de la conduite que l'Empereur Théodose garda constamment en temps de paix, et de guerre, et de l'assurance qu'il eut toujours de la protection divine, dont il ne sut jamais privé en aucune rencontre de sa vie.