[Le livre des Juges commence par une double introduction, Juges 1.1-2.5 et Juges 2.6-3.6, qui est comme la clef de ce qui va suivre et qui explique comment l’histoire d’Israël a pu dès lors prendre une telle direction. Rien dans le livre de Josué n’annonçait ce qui allait arriver. Ces deux chapitres et demi sont la transition entre la fidélité du peuple sous Josué et son infidélité après sa mort. Voyez Cassel, Le livre des Juges, Introd. VIII.]
La seconde introduction du livre des Juges a bien raison : cette période est une suite non interrompue d’infidélités suivies de châtiments, une longue série de chutes et de relèvements. Le peuple s’éloigne de Dieu ; il est puni ; il revient à Dieu et il est délivré, pour retomber de nouveau.
Josué meurt sans laisser de successeur ; les anciens qui avaient connu tout ce que l’Éternel avait fait pour son peuple, meurent aussi. Voilà le peuple, livré à lui-même. Le moment est venu pour lui de se mettre à marcher librement dans la voie que Dieu lui a tracée, et c’est ce qu’il fait aussi longtemps que le souvenir des grandes délivrances dont il a été l’objet demeure vivant dans son cœur. Voyez le zèle théocratique que décèle l’histoire de la croisade contre Benjamin ; elle est rapportée dans les trois derniers chapitres du livre, mais elle a dû avoir lieu peu après la mort de Josué, car Phinées était encore souverain sacrificateur (Juges 20.27-28). Mais c’est là pour bien longtemps le dernier effort collectif que fit le peuple. Josué avait confié à chaque tribu isolément le soin de terminer la conquête du territoire ; l’esprit national va perdre du terrain au profit d’un mauvais particularisme. Les tribus vont entreprendre de petites guerres partielles, qui ne seront point toutes heureuses. On cessa de traiter les Cananéens à la façon de l’interdit, on leur laissa même leur indépendance, ou bien on les rendit tributaires ; ils purent vivre tranquilles parmi les Israélites, ils purent même les entraîner dans l’idolâtrie et redevenir en divers lieux les maîtres du pays. A l’est, les Madianites et les Amalécites, les Moabites et les Ammonites sont toujours prêts à inonder le pays de Canaan de leurs hordes pillardes. A l’ouest, les Philistins avec leurs cinq grandes villes deviennent une puissance de jour en jour plus formidable.
Il est vrai que les tribus n’étaient pas frappées toutes à la fois. Mais cela même hâta la dislocation du peuple ; les tribus épargnées demeuraient honteusement tranquilles quand leurs sœurs étaient opprimées, et Débora n’a pas seulement à louer celles qui se sont bien montrées, elle reproche énergiquement aux autres leur lâcheté et leurs longues hésitations. « Le long des ruisseaux de Ruben, il y a eu de grandes incertitudes. Pourquoi es-tu resté entre les bancs des étables, pour entendre le bêlement des troupeaux ? Le long des ruisseaux de Ruben, il y a eu de grandes incertitudes. Galaad demeure au-delà du Jourdain, et Dan… pourquoi se tient-il dans ses navires ? Pourquoi Ascer s’est-il tenu au bord de la mer à l’abri de ses havres ? » Juges 5.15-17.
Alors, quand le peuple opprimé criait à l’Éternel, (Juges 3.9,15 ; 4.3 et sq.), l’Éternel lui répondait en remplissant de son Esprit des hommes qui rappelaient à leurs concitoyens les hauts faits de l’Éternel, qui les ramenaient à leur Dieu et qui les délivraient de leurs ennemis. Mais ces hommes, l’écrivain sacré n’en fait point des héros, il ne cherche aucunement à les glorifier ; il s’efforce bien plutôt de montrer qu’ils ne sont ce qu’ils sont, et qu’ils ne font ce qu’ils font, que par la vertu d’En-haut ; il raconte leurs modestes origines ; il se plaît à signaler la petitesse des instruments mis en œuvre par le Seigneur. Sçamgar tue 600 Philistins avec un aiguillon à bœufs. Gédéon, le plus célèbre de tous les Juges, est le plus petit de la maison de son père, et il sort de la plus petite bourgade de la tribu de Manassé (Juges 6.15 ; 7.2).
[C’est pour surmonter la timidité bien naturelle de cet humble Israélite, que Dieu lui accorde des signes particuliers (Juges 6.21, comparez Lévitique 9.24). A propos de Juges 7.3, comparez Deutéronome 20.8. La montagne de Galaad est une l’auto ; c’est probablement Guilboah qu’il faut lire, à moins qu’on n’adopte l’opinion d’Ewald, qui y voit une expression proverbiale (Histoire d’Israël, I, 3e édition, page 543). Les 300 Israélites qui restent debout pour boire et qui lappent l’eau dans leurs mains, ne sont pas des lâches, comme l’a cru Josèphe (Ant.5.6, 3), mais ceux au contraire qui sont remplis de zèle et qui ne veulent pas prendre l’attitude peu martiale de gens agenouillés. L’histoire de Gédéon est racontée avec plus de détails que celle des autres juges. Il avait pour père Joas, de Hophra dans la tribu de Manassé, et bien probablement dans la partie de cette tribu située de. l’autre côté du Jourdain. Il était de la famille d’Abi-Ezer. Depuis 7 ans, les Israélites gémissaient sous le joug des Madianites. Ils en étaient réduits à se cacher dans les cavernes des montagnes pour échapper aux incursions de ces innombrables hordes de nomades. On comprend que le souvenir de Gédéon soit toujours demeuré vivant dans la mémoire de son peuple (Ésaïe 9.3 ; 10.26 ; Psaumes 83.10,12).]
Aussi ces libérateurs ne sont-ils appelés ni rois, ni princes ; ce sont des Juges. Ce nom ne leur vient pas seulement de ce qu’ils rendaient la justice, comme Débora (Juges 4.5), Héli et Samuela (1 Samuel 7.15 ; 8.2) ; mais encore de ce qu’ils étaient au milieu du peuple les représentants du droit de Dieu et de ce qu’ils cherchaient à relever l’autorité divine compromise par suite des péchés nationaux. Leur charge était quelque chose de tout à fait personnel : ils ne pouvaient la transmettre à leurs enfants. Ils exercent de leur vivant une profonde influence sur les tribus à la tête desquelles ils se placent ; mais quand ils ne sont plus, et que les tribus asservies se trouvent délivrées, elles retombent dans leurs errements précédents (Juges 2.16-19). La plupart des Juges paraissent avoir exercé jusqu’à leur mort la justice au sein du peuple qu’ils avaient commencé par délivrer avec l’aide de Dieu.
a – Samuel jugeait en différents lieux (1 Samuel 7.15 et sq.) et il établit ses fils comme juges à Béerséba (1 Samuel 8.2).