Après s’être préparé de longue maing, le syncrétisme religieux se manifeste sous les Juges de deux manières principales : les Israélites infidèles mêlent complètement l’erreur et la vérité, le paganisme cananéen avec la religion de Jéhovah ; ils considèrent Baal comme le même Dieu que celui qui a fait alliance avec eux, ils l’appellent Baalbérith ou Elbéritb, et ils lui consacrent le temple de Sichem (Juges 8.33 ; 9.4, 46) ; — puis, les Israélites fidèles eux-mêmes subissent plus ou moins l’influence du paganisme qui les entoure- ; ainsi Mica et les Danites.
g – Dès le séjour en Egypte, § 26.
On cite aussi Gédéon comme rentrant dans cette seconde catégorie. On l’accuse d’avoir dressé une idole (Juges 8.24), lui qui avait commencé par abattre l’autel de Baal à Hophrah, qui avait délivré Israël du joug des Madianites, qui avait refusé de la manière la plus honorable la dignité royale qu’on lui offrait. — Mais ce n’est point une idole qu’il dressa ; éphod n’a jamais ce sens-là ; c’est une partie du vêtement du souverain sacrificateur.
h – Ce qui lui vaut le nom glorieux de Jérubbaal, en place duquel nous trouvons Jérubbésath, dans 2 Samuel 11.21. Bescheth, boscheth. ignominie, est un terme de mépris appliqué par les Israélites aux idoles.
[On voit par Juges 17.5 ; 18.14, 17, que l’éphod n’est nii un marmouset, ni une image taillée, ni une image en fonte. — Cet éphod servait-il de vêtement à Gédéon quand il officiait comme prêtre, ou bien était-il exposé à la vénération des fidèles ? Le premier cas est de beaucoup le plus probable.]
On dit que pour un éphod et un pectoral, tant d’or (Juges 8.26) n’était pas nécessaire. Mais voyez Exode 28.6, et tous les versets suivants, et Exode 39.2 et sq. Puis, rien ne prouve que tout cet or ait été employé ainsi ? [Voyez dans Osée 2.10 la construction de עשה.] Gédéon n’a donc point institué un culte idolâtre, mais seulement un culte schismatique, avec un sacerdoce illégal. On ne sait trop pourquoi Bertheau, dans son Commentaire sur les Juges, page 133, s’est figuré que Gédéon avait dressé un veau d’or à côté de son autel, comme le fit plus tard Jéroboam. Il n’y a absolument pas trace de cela dans le récit. Pourquoi Gédéon n’aurait-il pu adorer Dieu qu’à l’aide d’une idole et ne se serait-il pas contenté de cet autel, qui était le symbole de la présence de l’Éternel et qui existait encore du temps de l’historien qui nous a conservé ce récit ? Gédéon voulait avoir un urim et un thummim pour consulter l’Éternel, car le pectoral légitime se trouvait avec le sanctuaire dans la tribu d’Ephraïm avec laquelle il était en guerre. Si l’écrivain sacré le blâme aussi sévèrement d’avoir établi ce culte séparatiste, c’est que la chose était mauvaise en elle-même, et qu’après la mort de Gédéon (Juges 8.33), le peuple en prit occasion d’aller encore plus loin et de se prostituer auprès des Bahalins.
[Le fait que c’est à Hophra, là-même où se célébrait ce culte illégitime, que les fils de Gédéon furent égorgés par Abimélech est significatif ; le crime de Gédéon retombe sur sa famille. Juges ch. 9.]
C’est ici le lieu de parler de Jephté (Juges 11.28-40). En partant pour faire la guerre aux Ammonites, il fait vœu, s’il revient victorieux, d’offrir en holocauste à l’Éternel le premier objet qui sortira des portes de sa maison pour venir au-devant de lui. A son retour, sa fille unique, — son unique enfant, — se présente la première à lui et il se croit obligé de remplir son engagement. Les Juifs (Targoum et Josèphe) et les Pères de l’Église, ainsi que Luther, prennent ce récit dans son sens le plus naturel, et pensent que Jephté a immolé sa fille et l’a consumée sur l’autel. Quelques Rabbins du Moyen-âge ont les premiers cherché à faire prévaloir l’opinion que Jephté s’est contenté de vouer sa fille au célibati et au service du sanctuaire. Hengstenberg, Cassel, Gerlach, Keil partagent cette manière de voir. On voit bien, disent-ils, par Exode 28.8 et 1 Samuel 2.22, qu’il y avait des femmes attachées au service du tabernacle. Oui, mais nulle part on ne voit que ces femmes fussent vouées au célibat. — On demande également comment Jephté aurait pu faire un vœu pareil, sans prévoir le cas qui s’est présenté effectivement, et comment alors il n’aurait pas reculé devant la pensée d’un sacrifice humain, puisque pareille abomination n’est jamais rapportée de personne, pas même des Israélites tombés dans l’idolatrie. On fait remarquer enfin que la désolation de Jephté s’explique suffisamment par le fait de la condamnation de sa fille au célibat, car ainsi sa famille s’éteignait. — Tout cela est fort bien, mais cette interprétation adoucie n’en vient pas moins échouer contre le sens tout simple du v. 39 : « Il lui fit selon son vœu », qu’il n’est certainement pas naturel d’entendre d’un, sacrifice spirituel en face du v. 31.
i – II faut alors traduire Juges 11.39 : Elle ne connut aucun homme, et non pas : Elle n’avait connu aucun homme. C’est en cela que consista l’exécution du vœu de son père.
Mais on n’est aucunement en droit de conclure de ce récit que les sacrifices humains aient jamais fait partie du culte de Jéhovah. C’est une exception, un fait isolé propre à faire horreur. Tout ce qui résulte de l’histoire de Jephté, c’est que, dans ces temps où Moloch et Baal disputaient tant de cœurs à l’Éternel, les meilleurs adorateurs du vrai Dieu pouvaient eux-mêmes se croire tenus à observer un vœu de la nature de celui-ci.
[L’histoire des Gabaonites (Jos. ch. 9) que le peuple épargne et à l’égard desquels il n’ose pas retirer son serment, montre cependant que le respect de Jephté pour sa parole peut jusqu’à un certain point se justifier.]
La guerre d’extermination contre la tribu de Benjamin, et en particulier le massacre des habitants de Jabès (Juges 21.5-10), est un autre trait qui montre que dans ces temps, on croyait qu’il était permis de ne reculer devant aucune cruauté, quand il s’agissait d’observer un serment.