Nous avons déjà dit au § 97 quelques mots de la place qu’occupe le prophétisme dans l’organisme de la théocratie, il nous reste à nous occuper ici spécialement de la manière dont le prophétisme a pris naissance et de la tâche qui lui incombe. Nous aurons de nouveau recours pour cela à Deutéronome 18.9-22.
Le prophétisme a un tout autre caractère que le sacerdoce. Il n’est pas lié à une famille particulière. L’Éternel suscite, יקים (iakim), les prophètes de la même manière que les Juges ; il les choisit partout où il le trouve bon, et il les choisit d’entre leurs frères (v. 18) ; il suffit de faire partie du peuple de l’alliance pour pouvoir être appelé à cette dignité. Les prophètes ne doivent pas être des disciples de Moïse, mais de de l’Éternel (למוד יהוה), ils doivent recevoir directement de Lui leurs révélations. Mais par cela même ce seront des prophètes comme Moïse ; ils se rattachent historiquement à lui et ils continuent son témoignage (v. 15).
Ce ne sont pas tant les miracles qui doivent légitimer un prophète, car un faux prophète peut en faire, que bien plutôt la tendance de ses discours (Deutéronome 13.2-6) et l’accomplissement de ses prédictions (Deutéronome 18.22)a. Dans ses discours, le vrai prophète, tout en rendant témoignage à la loi de Dieu et au Dieu de la loi, ne doit pourtant pas se contenter de répéter purement et simplement ce que Moïse a dit avant lui ; il saura approprier les vérités éternelles aux besoins actuels ; il y aura de la vie et de la fraîcheur dans ses exhortations. — Les prédictions auront pour but d’éclairer le peuple sur son avenir, de l’avertir, de le consoler, de l’orienter à salut (Amos 3.7). En agissant ainsi, le vrai prophète ne fera du reste que de poursuivre l’œuvre de la loi qui, elle déjà, non contente d’exiger, révélait à Israël le but que Dieu se proposait à son égard (Lévitique ch. 26 ; Deutéronome ch. 28 à 32). Le prophétisme est à ces deux points de vue une des plus grandes grâces que Dieu puisse faire à son peuple ; il est mis à deux reprises, dans Amos 2.11 ; Osée 12.10-11, sur le même pied que la délivrance de la maison de servitude. Tandis que, pour les païens, le temps des révélations est plus ou moins passé, les Israélites, grâce aux prophètes, sont continuellement en relation avec leur Dieu, et quand la prophétie se tait, c’est que Dieu est irrité contre son peuple (Amos 8.12 ; Lamentations 2.9 ; Psaumes 74.9).
a – Ce que le prophète annonce doit arriver, venir, יבא.
L’esprit qui anime les prophètes, c’est l’esprit de l’Éternel. Ce sont des hommes pleins de l’Esprit. De là, leur nom : Navi, נביא, prophète, vient de Nava, נבע, jaillir. Le hiphil hibbïa, הבאע, se dit d’un discours qui s’échappe d’un cœur plein de mille et mille pensées. Un prophète n’est pas, comme on le dit souvent, un homme à qui Dieu parle par son Esprit, mais un homme qui parle, — non pas dans le sens purement actif, car Navi est une forme passive, — mais qui parle comme organe de Dieu. Le prophète est un interprète. Aaron est le prophète de Moïse (Exode 7.1, comparé à Exode 4.16). C’est parce que les prophètes sont ainsi inspirés par l’Esprit divin, quand ils parlent, — que le verbe Nava s’emploie surtout aux formes passives ou réfléchies du niphal et du hithpahel, נבא et התנבא.
De tous les dons spirituels que Dieu communique à ses serviteurs pour les rendre capables de travailler à l’avancement de son règne (§ 65), aucun ne suppose une relation aussi intime entre Dieu et l’homme, que le fait le don de prophétie ; le prophète a l’avantage et l’honneur de soutenir avec Dieu des rapports immédiats et personnels. Aussi les membres de la nouvelle alliance étant tous directement instruits de Dieu (Jérémie 31.34 ; Jean 7.45), seront-ils tous des prophètes (Joël ch. 2). L’Esprit de Dieu, bien entendu, n’a pas seulement pour effet d’éclairer l’intelligence, il renouvelle l’homme intérieur. Le prophète devient un homme nouveau (1 Samuel 10.6) ; il reçoit un nouveau cœur (v. 9). Le don de prophétie constitue une sorte d’anticipation de la nouvelle création des temps messianiques. De là le soupir de Moïse : « Plût à Dieu que tout le peuple de Jéhovah fût prophète et que Jéhovah leur donnât à tous son Esprit ! » (Nombres 11.29)
Ce n’est que depuis Samuel que les prophètes se multiplient en Israël, ainsi que nous le verrons au commencement du paragraphe suivant ; mais, il y en a eu longtemps avant lui. Les patriarches sont des prophètes (Genèse 20.7 ; Psaumes 105.15), car Dieu leur parle et parle par eux. Moïse est un prophète (Deutéronome 34.10 ; Osée 12.14), car, tout en jouissant comme médiateur entre l’Éternel et son peuple, et comme administrateur de toute la maison de Dieu, d’une position exceptionnelle qui fait de lui plus qu’un prophète (Nombres 12.6-8, § 66), d’autre part cependant, il a en abondance tous les dons spirituels qui constituent le prophète (Nombres 11.25)b. Marie est une prophétesse, נביאה (Exode 15.20) ; Dieu parle par elle (Nombres 12.2).
b – La révélation de l’A. T. part de la théophanie pour arriver à l’inspiration (§ 55). Eh bien ! en Moïse il y a encore théophanie et déjà inspiration.
[Ce passage montre qu’il faut prendre le mot de prophétiser dans le sens propre et ne pas faire de Marie une simple improvisatrice. — Quant à Josué, Jésus Sirach l’appelle le successeur de Moïse dans les fonctions de prophète (Siracide 46.1), mais la Bible ne lui donne nulle part le nom de prophète.]
Dans les premiers temps des Juges, les Prophètes sont encore fort clairsemés. Débora est prophétesse (Juges 4.4), Dieu parle par elle (v. 6 et 14). Le messager de Jéhovah, מלאכ–יהוה, (Juges 2.1), n’est probablement pas un homme, mais l’ange de l’Éternel ; en revanche, Juges 6.7 et sq., c’est un prophète qui vient relever le courage du peuple opprimé par les Madianites et lui parler de ses péchés, et dans 1 Samuel 2.27, l’homme de Dieu qui annonce à Héli les jugements qui le menacent, a tout à fait la manière des prophètes postérieurs.
Il y avait aussi dans ce temps-là des voyants, ainsi qu’on appelait alors les prophètes, auxquels on demandait conseil quand on se trouvait dans des circonstances embarrassantes ; mais, ils ne paraissent pas avoir exercé une influence bien considérable sur la vie religieuse du peuple. Vatke suppose qu’il y a eu des écoles de prophètes dès avant Samuel ; des sortes de couvents où l’on s’exerçait à la vie ascétique et où, dans ces siècles agités, les laïques pouvaient faire des retraites. Il appuie son hypothèse sur Amos 2.11, qui ne prouve absolument rien de semblable, et sur le fait que Samuel était Naziréen en même temps que prophète, ce qui est d’autant moins probant que lorsque Samuel reçut sa première révélation, la parole de Dieu était rare et les visions peu communes (1 Samuel 3.1). Tout ce que l’on peut conclure des exemples de Samson et de Samuel, c’est qu’il ne manqua pas de Naziréens sous les Juges. Peut-être que dans ces tristes temps, les esprits sérieux se sentirent pressés de protester contre l’oubli général de Dieu en se consacrant spécialement, à son service.
[Amos 2.11 : « J’ai suscité quelques-uns d’entre vos jeunes gens pour être naziréens. » Ce mot susciter marque la différence profonde qu’il y avait entre ces élus et le reste du peuple, ce qui résulte également du v. 12 : « Vous avez fait boire du vin aux naziréens. »]