(11 novembre)
I. Martin était originaire de la Pannonie ; mais il fut élevé à Pavie, en Italie, et servit ensuite les empereurs Constantin et Julien, avec son père, qui était tribun des soldats. Cependant, ce n’est pas de son plein gré qu’il entra dans l’armée : car, inspiré d’en haut dès son enfance, à l’âge de douze ans il s’était enfui dans une église, pour demander à devenir catéchumène ; et il se serait fait ermite, si la faiblesse de sa santé ne l’en eût empêché. Mais lorsque les empereurs résolurent que les fils des vétérans eussent à servir avec leurs pères, force fut au jeune Martin de s’enrôler. Il avait alors quinze ans. Et, du moins, ne voulut-il avoir qu’un seul serviteur, que d’ailleurs lui-même se plaisait à servir, lui brossant ses vêtements et lui ôtant sa chaussure. Un jour d’hiver, comme il passait sous une des portes d’Amiens, il rencontra un pauvre qui était tout nu. Aussitôt, coupant en deux, avec son épée, le manteau dont il était recouvert, il en donna à ce pauvre une des deux moitiés. Et, la nuit suivante, il vit le Christ lui-même vêtu de cette moitié de manteau ; et il entendit que Notre-Seigneur disait aux anges qui l’entouraient : « Ce manteau, Martin me l’a donné quand il n’était encore que catéchumène ! » Le saint jeune homme, au reste, ne tira de cette vision aucune vanité, mais y vit seulement une nouvelle preuve de la bonté de Dieu. À dix-huit ans, il se fit baptiser. Il aurait voulu se consacrer tout entier au Seigneur ; mais son tribun lui demanda de servir deux années encore, lui promettant de le laisser, ensuite, libre de se retirer. Or, au bout de ces deux ans, et comme les barbares envahissaient la Gaule, l’empereur Julien distribua de l’argent entre les soldats chargés de les repousser. Mais Martin refusa d’en prendre sa part, disant : « Je suis soldat du Christ et n’ai pas le droit de combattre ! » Julien, indigné, lui dit que ce n’était pas par piété, mais par peur qu’il renonçait au service, devant la guerre imminente. Et l’intrépide jeune homme lui répondit : « Puisque tu mets ma conduite sur le compte de la lâcheté, je me présenterai demain sans armes en face de l’ennemi, et je braverai ses coups avec le signe de la croix en guise de casque et de bouclier. » Julien donna l’ordre qu’on le mît en demeure de faire comme il avait dit. Mais le lendemain, dès le matin, l’ennemi annonça qu’il se rendait avec tous ses biens : et ainsi la victoire fut obtenue sans perte de sang, par le seul mérite du saint.
Au sortir de l’armée, Martin se rendit auprès de saint Hilaire, évêque de Poitiers, qui l’ordonna son coadjuteur. Mais une nuit, en rêve, le Seigneur l’avertit d’avoir à aller visiter ses parents, qui étaient restés païens. Il se mit en route, prévoyant avec raison qu’il aurait à traverser toutes sortes d’épreuves. Au passage des Alpes, il fut attaqué par des voleurs, qui, après lui avoir lié les mains derrière le dos, le laissèrent à la garde de l’un d’eux. Et comme, avant de le laisser, ils lui demandaient s’il avait peur, il répondit que jamais au contraire il n’avait été plus rassuré, car il savait que la miséricorde divine se faisait voir le plus volontiers dans les tentations. Resté seul avec le voleur, il lui prêcha l’évangile, et le convertit : de telle sorte que cet homme, après l’avoir reconduit sur la grand’route, mena depuis lors une vie honorable. À Milan, ensuite, c’est le diable lui-même qui, prenant forme humaine, aborda Martin et lui demanda où il allait. Et Martin : « Je vais où mon maître m’appelle ! » Et le diable : « Où que tu ailles, tu trouveras le diable contre toi ! » Mais Martin lui répondit : « Avec l’aide du Créateur je ne crains rien de la créature ! » Enfin, arrivé à Pavie, Martin convertit sa mère : son père, au contraire, persévéra dans l’idolâtrie.
Peu de temps après, l’hérésie arienne s’étant répandue à Pavie, et Martin se trouvant à peu près seul à y résister, on le chassa de la ville, non sans l’avoir battu. Il revint à Milan et y fonda un monastère ; mais, de là encore, les ariens le bannirent. En compagnie d’un seul prêtre, il se réfugia dans l’île Gallinaria. Pendant qu’il y était, il absorba un jour, par erreur, de la graine d’ellébore ; et déjà le poison allait le faire mourir, lorsque, par la force de sa prière, il vainquit à la fois le danger et la douleur. Enfin, ayant appris que saint Hilaire était revenu d’exil, il alla le rejoindre, et fonda un monastère près de Poitiers [À Ligugé.]. Là, un jour, il apprit qu’un catéchumène venait de mourir sans avoir reçu le baptême. Il se rendit dans la cellule du défunt, pria sur son corps et le rappela à la vie. Et ce catéchumène rapporta que, au moment où on l’entraînait déjà en enfer, deux anges avaient murmuré à l’oreille de son juge que c’était là le pécheur pour qui priait saint Martin. Et le saint rendit également la vie à un homme qui s’était pendu, ce qui permit à cet homme de faire pénitence.
L’évêque de Tours étant mort, la ville désigna Martin pour lui succéder. En vain quelques évêques s’opposèrent à cette élection, sous prétexte que Martin était négligé dans ses vêtements et d’humble figure. Il n’en fut pas moins promu à l’évêché, malgré ses ennemis, et aussi malgré lui. Et comme il ne pouvait supporter le tumulte de la ville, il fonda, à deux milles de Tours, un monastère [Marmoutier (ou le Monastère de Martin).], où il vécut dans l’abstinence, en compagnie de quatre-vingts disciples. Aucun d’eux ne buvait de vin, sauf en cas de maladie ; et le bien-être même, dans ce monastère, était tenu pour un péché.
Voyant qu’on invoquait comme un martyr un homme dont il ne pouvait découvrir ni la vie ni les mérites, Martin se mit un jour en prière sur la tombe du soi-disant martyr, et demanda à Dieu de vouloir bien lui faire savoir ce qui en était. Alors, se retournant, il vit une ombre noire qui, interrogée par lui, répondit que, loin d’être l’ombre d’un saint, elle était celle d’un voleur, et frappée en châtiment de ses crimes. Sur quoi Martin fit détruire l’autel consacré à ce prétendu saint.
Sévère et Gallus, disciples de saint Martin, racontent que ce saint aborda un jour l’empereur Valentinien avec une requête, et que l’empereur fit fermer devant lui les portes de son palais, sachant que celui-ci venait demander des choses qu’on ne pouvait lui accorder. Mais Martin, ayant été ainsi repoussé trois fois de suite, se vêtit d’un cilice, se couvrit de cendres, et pendant une semaine s’abstint de manger et de boire. Puis, averti par un ange, il se rendit au palais, et pénétra librement jusqu’à l’empereur. Celui-ci, furieux de voir qu’il avait pu entrer, refusa de se lever pour l’accueillir ; mais le feu prit à son trône, et si rapidement qu’il en eut la partie postérieure du corps brûlée : de telle sorte que force lui fut bien de se lever. Alors, reconnaissant la puissance divine, il se jeta dans les bras du saint et lui accorda d’avance tout ce qu’il venait demander.
Les mêmes auteurs nous racontent comment le saint ressuscita un mort. Une mère l’ayant prié de ressusciter son jeune fils, qui venait de mourir, le saint s’agenouilla, en présence d’une foule innombrable de païens, et aussitôt l’enfant revint à la vie : sur quoi tous les païens reçurent la foi.
Telle était la sainteté de Martin que tout lui obéissait, même les éléments, les arbres, et les bêtes. Un jour qu’il avait mis le feu à un temple païen, et que le vent avait porté la flamme sur une maison voisine, il monta sur le toit de cette maison, se plaça au milieu de la flamme ; et l’on vit celle-ci se retourner contre le vent pour épargner la maison. Une autre fois, dans un naufrage, un marchand non encore converti s’écria : « Dieu de Martin, sauve-nous ! » et aussitôt le calme succéda à la tempête. Une autre fois, comme Martin voulait abattre un pin consacré au diable, en présence d’une foule de paysans, un de ceux-ci lui dit : « Si tu as vraiment confiance en ton Dieu, laisse-nous abattre cet arbre et le faire tomber sur toi ! » Et au moment où l’arbre était sur le point de tomber, Martin fit le signe de la croix, et l’arbre, retombant de l’autre côté, faillit écraser les paysans qui se trouvaient là, et qui, devant ce miracle, se convertirent à la foi. Un autre jour, voyant des chiens qui poursuivaient un lièvre, il leur ordonna de renoncer à leur poursuite : aussitôt les chiens s’arrêtèrent, et vinrent se ranger près du saint, comme s’ils étaient tenus à la laisse. Un autre jour, sur son ordre, un serpent qui traversait un fleuve rebroussa chemin et retourna d’où il était venu. Et saint Martin, gémissant, s’écria : « Les serpents m’écoutent, et les hommes ne veulent pas m’écouter ! »
Parmi les vertus du saint, on doit citer, d’abord, l’humilité. Étant à Paris, il alla au-devant d’un lépreux qui faisait horreur à tous, l’embrassa, le bénit et lui rendit la santé. Jamais il ne voulut s’asseoir dans sa cathèdre : il s’asseyait sur un petit siège rustique du genre des trépieds. En second lieu, il brilla par sa dignité : car il fut égal aux apôtres par les grâces qu’il reçut du Saint-Esprit. Un jour, comme il était seul dans sa cellule, et que ses disciples, Sévère et Gallus, l’attendaient devant la porte, ceux-ci entendirent soudain plusieurs voix féminines qui l’entretenaient avec lui. Ils lui demandèrent ensuite ce qui en était. Et lui : « Je veux bien vous le dire, mais à la condition que vous ne le répétiez à personne. Sachez donc que les saintes Agnès, Thècle, et Marie ont daigné me faire visite ! » Et il avoua que souvent il recevait la visite de ces saintes, ainsi que celle des apôtres Pierre et Paul. En troisième lieu, il brilla par sa justice. Ayant été un jour invité à dîner par l’empereur Maxime, et ayant tenu, le premier, la coupe en main, il ne passa pas ensuite celle-ci à l’empereur, comme on s’y attendait mais à un de ses prêtres, qu’il estimait le plus digne de cet honneur. En quatrième lieu, il brillait par la patience. Durant son épiscopat, il se laissait impunément injurier par ses clercs, et sans cesser, pour cela, de leur témoigner sa faveur. Jamais personne ne le vit se fâcher, ni s’affliger, ni railler. Un jour, comme il s’avançait sur son âne, vêtu d’un manteau noir, et que, à sa vue, les chevaux d’une compagnie de soldats s’étaient effrayés, les soldats se jetèrent sur lui et le battirent cruellement. Mais plus ils le frappaient, moins il paraissait se soucier de leurs coups. Puis, quand ils voulurent remonter sur leurs chevaux, ces bêtes refusèrent de bouger, malgré tous les coups de fouet : si bien que les soldats, revenant vers Martin, lui demandèrent pardon de leurs péchés ; et, sur l’ordre du saint, les chevaux consentirent à se remettre en route. Martin brillait aussi par l’assiduité dans la prière. Même quand il lisait ou travaillait, il ne cessait point de prier. Et il brillait aussi par l’austérité. Son disciple Sévère raconte, dans sa lettre à Eusèbe, que Martin, étant un jour venu dans une ville de son diocèse, y trouva, préparé à son intention, un lit moelleux ; et lui, ayant horreur de ce luxe, se coucha sur le sol, sans autre vêtement qu’un cilice, ainsi qu’il faisait tous les jours. Or, vers minuit, la paille qu’il avait rejetée prit feu ; et Martin, s’éveillant, se trouva entouré par les flammes. Il fit alors le signe de la croix ; et quand les moines, effrayés, accoururent s’attendant à le trouver brûlé, ils virent avec surprise que l’incendie ne lui avait fait aucun mal. Le saint brillait aussi par sa compassion à l’égard des pécheurs : il excusait les pires crimes dès qu’il voyait qu’on s’en repentait. Et comme le diable le lui reprochait, il répondit : « Si toi-même, malheureux, tu renonçais à tourmenter les hommes, j’aurais encore assez de confiance en ton repentir pour te promettre la miséricorde de Notre-Seigneur ! » Il brillait aussi par sa bonté pour les pauvres. Un jour qu’il se rendait à son église pour y célébrer une fête, un pauvre le suivit, qui était tout nu. Martin recommanda à son archidiacre de lui donner des vêtements ; et, comme l’archidiacre ne se pressait point de le faire, Martin, entré dans sa sacristie, donna au pauvre sa propre tunique, en lui recommandant de s’éloigner au plus vite. Puis, lorsque l’archidiacre vint l’avertir qu’il eût à célébrer sa messe, il répondit qu’il ne pouvait la célébrer, aussi longtemps que le pauvre n’aurait pas eu un vêtement. Alors l’archidiacre se rendit au marché, et y acheta, pour quelque sous, une méchante tunique, qu’il vint jeter aux pieds de saint Martin : car il ignorait que celui-ci avait besoin d’un vêtement pour lui-même, ayant donné le sien au pauvre. Et le saint revêtit cette misérable tunique, qui lui descendait à peine jusqu’aux genoux, et dont les manches lui venaient aux coudes ; et c’est dans ce costume qu’il célébra sa messe. Et, pendant qu’il la célébrait, les assistants virent qu’un globe de feu apparaissait au-dessus de sa tête. Une autre fois, rencontrant une femme qui s’était coupé les cheveux, il dit en plaisantant à ses disciples : « Voilà une personne qui a suivi le précepte de l’évangile ! Elle avait deux tuniques, et elle s’est séparée de l’une d’elles. Imitez son exemple ! » Il brillait aussi par sa puissance à chasser les démons. Voyant un jour une vache qui était possédée, et qui causait de grands dommages, il la força de s’arrêter, en levant le doigt. Puis, lorsqu’il aperçut le démon assis sur son dos, il lui cria : « Éloigne-toi de là, et cesse de tourmenter cette bête innocente ! » Aussitôt le démon s’enfuit et la vache, après s’être agenouillée devant le saint, rejoignit son troupeau. Il brillait aussi par son habileté à reconnaître les démons. Il les découvrait sous tous leurs déguisements, qu’ils prissent la forme de Jupiter, ou celle de Mercure, ou celle de Vénus ou de Minerve. Un jour le diable lui apparut sous la forme d’un roi, vêtu de pourpre, le diadème au front, et tout couvert d’or et de pierreries, avec un visage tranquille et souriant. Et il lui dit, après un long silence : « Martin, reconnais celui que tu adores ! Je suis le Christ ! Et, étant descendu sur la terre, c’est à toi, le premier, que j’ai voulu apparaître ! » Et comme Martin ne répondait toujours pas : « Martin, pourquoi hésites-tu à croire, puisque tu me vois ? Je suis le Christ ! » Alors le grand saint répondit : « Mon Seigneur Jésus, pour revenir sur la terre, ne se vêtirait point de pourpre, et ne mettrait pas un diadème sur son front ! » Sur quoi le démon disparut, remplissant de puanteur la cellule du saint.
Saint Martin connut et révéla longtemps d’avance le moment de sa mort. Un jour qu’il s’était rendu dans le diocèse de Candes, pour y apaiser une discorde, il sentit que les forces de son corps l’abandonnaient, et annonça à ses disciples que son heure approchait. Alors, les disciples, tout en larmes : « Père, pourquoi nous abandonnes-tu dans la désolation ? Car voici que les loups ravisseurs envahissent ton troupeau ! » Alors, touché de leurs larmes et de leurs prières, il pria ainsi : « Seigneur, si je suis encore nécessaire à ton peuple, je ne refuse point de poursuivre ma tâche ; que ta volonté soit faite ! » Mais il était fort en peine de savoir ce qu’il préférait, ne pouvant se résigner, ni à abandonner son troupeau, ni à retarder le moment de sa comparution devant le Christ. Et comme il souffrait de la fièvre, et que ses disciples le priaient de laisser mettre un peu de paille sur sa couche, il répondit : « Non, mes enfants, un chrétien ne doit mourir que sur des cendres ! » Il se tenait étendu sur le dos, les yeux et les bras levés vers le ciel ; et comme ses prêtres l’engageaient à alléger la fatigue de son corps en se couchant sur le côté : « Mes frères, laissez-moi regarder plutôt le ciel que la terre ! » Puis, voyant que le diable le regardait : « Que fais-tu là, méchante bête ? tu ne peux plus rien contre moi, car je vois déjà Abraham qui m’ouvre les bras ! » Et, ce disant, il rendit l’âme ; et son visage resplendit comme s’il était déjà revêtu de la gloire suprême ; et les assistants entendirent le chœur des anges l’accompagnant au ciel. Il mourut à l’âge de quatre-vingt-un ans, vers l’an du Seigneur 395, sous le règne des empereurs Honorius et Arcade.
À ses obsèques se réunirent les habitants du Poitou et ceux de la Touraine ; et une grande altercation s’éleva entre eux. Les Poitevins disaient : « Il est moine de chez nous, c’est à nous que revient son corps ! » Et les Tourangeaux : « Dieu vous l’a enlevé pour nous le donner ! » La nuit, pendant que les Poitevins dorment, les Tourangeaux s’emparent du corps, le jettent, par la fenêtre, dans un bateau, et l’emportent, le long de la Loire, jusqu’à la ville de Tours.
II. Le matin de la mort du saint, saint Séverin, évêque de Cologne, visitant son église à son ordinaire, entendit chanter les anges dans le ciel. Il appela son archidiacre et lui demanda s’il n’entendait rien. Le diacre eut beau tendre le col, dresser les oreilles, et se hausser sur le bout des pieds en s’appuyant sur un bâton : il dut avouer qu’il n’entendait rien. Cependant, l’évêque ayant prié pour lui, il commença à entendre des voix dans le ciel. Et saint Séverin lui dit : « C’est mon maître Martin qui vient de quitter le monde, et que les anges emportent au ciel ! » Et, en effet, l’archidiacre, quelques jours après, apprit qu’à cette même heure saint Martin était mort. Et, quelques jours plus tard, à Milan, saint Ambroise s’endormit au milieu de sa messe, entre la prophétie et l’épître. Personne n’osant l’éveiller, deux ou trois heures se passèrent ainsi. Enfin ses diacres se décidèrent à le tirer de son sommeil, en lui disant que le peuple s’impatientait. Et lui : « Mon frère Martin vient de mourir, et j’ai assisté à ses obsèques ; mais, en m’éveillant comme vous l’avez fait, vous m’avez empêché d’être présent aux dernières réponses ! »
III. Maître Jean Beleth affirme que les rois de France ont coutume, dans les batailles, de porter la chape de saint Martin.
IV. Soixante-quatre ans après la mort du saint, saint Perpet, ayant bâti en son honneur une grande église, voulut y transporter son corps. Mais en vain son clergé et lui veillèrent et jeûnèrent pendant trois jours : le cercueil ne se laissait point soulever. Et comme déjà ils allaient renoncer, un beau vieillard leur apparut, qui leur dit : « Qu’attendez-vous ? Ne voyez-vous pas que Martin lui-même est prêt à vous aider ? » Puis il leur prêta un coup de main, et le cercueil fut soulevé sans aucune difficulté. Cette translation eut lieu au mois de juillet.
V. Il y avait alors, à Tours, deux compagnons, dont l’un était aveugle et l’autre paralytique. L’aveugle portait le paralytique, et le paralytique guidait l’aveugle ; et, vivant ainsi, ils tiraient un gros profit de la mendicité. Quand ils apprirent qu’on portait le corps de saint Martin en procession à l’église nouvelle pour l’y déposer, ils craignirent que la procession ne passât dans la rue où ils se tenaient, et que saint Martin ne s’avisât de les guérir : car ils se disaient que, guéris, ils perdraient leur gagne-pain. Ils imaginèrent donc de s’enfuir de chez eux, et se réfugièrent dans une rue où, certainement, la procession ne devait point passer. Et, pendant qu’ils fuyaient, ils rencontrèrent le corps de saint Martin, qui les guérit tous les deux. Tant il est vrai que Dieu accorde ses bienfaits à ceux-là même qui ne les demandent pas !