Ce n’est donc qu’avec Samuel que les prophètes commencent à se multiplier, et que se fondent ce qu’on a appelé les écoles de prophètes. On y a vu tantôt des couvents, tantôt des sociétés secrètes, tantôt des écoles normales ; examinons la chose en tenant uniquement à celles qui ont fleuri sous Samuel ; car celles dont il est parlé dans l’histoire d’Elie et d’Elisée paraissent avoir eu une organisation différente (§ 174).
[On a énormément écrit sur les écoles de prophètes. C’était facile, car la Bible nous en dit fort peu de chose. Chacun y a vu ce qu’il a voulu. Jérôme en a fait des couvents, les Rabbins des batté miderasch, בתי מדרש, ou maisons à commentaires, à recherches exégétiques. Vitringa y voit des séminaires où se trouvaient « philosophi et theologi et theologiæ candidati, scientiæ rerum divinarum sedulo incumbentes sub ductu unius alicujus doctoris. » Les déistes se plaisent à faire de ces soi-disant prophètes, des libres penseurs. D’après Morgan, par ex., on étudiait dans ces écoles toutes les sciences humaines, l’histoire, la rhétorique, la littérature, les sciences naturelles et surtout la philosophie et la morale ; et non seulement cela, mais elles étaient des centres d’opposition politique. Voyez Lechler. Histoire du déisme anglais, page 380. Herring, en 1777, Traité des Ecoles de prophètes, page 34, s’élève à juste titre contre cette manière de voir. Tennemann les rapproche des écoles pythagoriciennes ; d’autres encore en font des écoles de chant. Je recommande particulièrement ici Keil, Commentaire sur les livres de Samuel, 1864, page 146 et sq. Kranichfeld indique tous les auteurs qui ont écrit sur cet objet, dans son ouvrage intitulé : De iis, quæ in V. T. commemorantur, prophetarum societalibus, 1861.]
C’est dans 1 Samuel 10.5-12, que nous rencontrons pour la première fois une compagnie de prophètes (proprement une bande, חבל. Ils descendent, musique en tête, du haut-lieu de Guibéa dans la tribu de Benjamin, et ils prophétisent. Il n’est point dit qu’ils demeurassent près de ce haut-lieu (de la hauteur de Guibéa, במה) ; il est probable qu’ils y étaient allés en pèlerinage et qu’ils s’en retournaient chez eux. — Quelques pages plus loin (1 Samuel 19.19), c’est à Rama, dans des demeuresc, une assemblée (להקה) de prophètes présidée par Samuel. C’est mal imaginé que de prononcer ici le nom d’écoles ; le don de prophétie ne s’acquiert pas par l’étude ou la réflexion, c’est un produit immédiat et libre de l’Esprit de Dieu. D’ailleurs, notez bien que ce sont des prophètes, et non pas des fils de prophètes qui sont ici réunis autour de Samuel. Ce n’est que plus tard qu’il est question de fils de prophètes. On devrait donc, pour le temps de Samuel du moins, laisser complètement de côté le nom d’écoles, et se représenter plutôt des sociétés de prophètes, des associations d’hommes de Dieu se réunissant pour se fortifier mutuellement dans l’Esprit du Seigneur. Samuel favorisait sans doute de telles associations dans l’espoir que le peuple, privé de son Arche, trouverait en elles un autre sanctuaire autour duquel il put se grouper dans ses aspirations vers un avenir meilleur. Le caractère extraordinaire de l’inspiration de ces prophètes, ainsi que l’influence irrésistible qu’ils exercent sur quiconque les approche, montre que c’est là une apparition nouvelle, qui en est encore à sa période d’éclosion et de fraîcheurd. C’est sans le moindre fondement que l’on a supposé que les prophètes de Rama étaient surtout des Lévites ; on ne saurait faire intervenir plus mal à propos qu’ici la notion d’hérédité. Quand on s’étonne que le fils de Kis ait été saisi par l’Esprit de Dieu, quelqu’un se trouvera pour répondre par cette question pleine de sens : Et qui donc est le père des autres prophètes ? Ont-ils par hasard reçu leur don spirituel comme un privilège attaché à leurs familles ? (1 Samuel 10.12) L’étude de la musique et du chant sacré n’était point le but de ces associations. Dans 1 Samuel 10.5, les musiciens sont clairement distingués des prophètes ; mais ce qu’on peut dire, c’est que la musique y était cultivée comme un moyen de disposer l’âme à percevoir la voix divine (Comp. 2 Rois 3.15), comme aussi quelquefois elle aidait l’inspiré à exprimer ce qui remplissait son cœur.
c – Nevaïôth, נוית, signifie une demeure composée de plusieurs logements. La version ordinaire : « Najoth en Rama, » est fautive.
d – Voyez 1 Corinthiens 14.24 et sq., les Camisards, etc.
[Il est cependant probable que les prophètes ne furent pas étrangers au grand développement que prit la musique sacrée depuis David, qui séjourna un certain temps à Rama (1 Samuel 19.12). Il y n une intime union entre le chant sacré et l’acte de prophétiser. 1 Chroniques 25.1-2, 5 ; 2 Chroniques 29.30, Asaph le voyant, 2 Chroniques 35.15, Jésithan, voyant du roi.]
On s’y livrait certainement aussi à l’étude de la littérature sacrée ; les premières productions qui en sortirent furent des livres historiques composés au point de vue théocratique.
[C’est probablement là qu’ont pris naissance les grands travaux historiques auxquels font tant d’emprunts les auteurs du Livre des Rois. Quant à la question de savoir quel rapport il y avait entre le livre historique cité si souvent comme source dans les Rois, — et les ouvrages cités dans les Chroniques (paroles de Samuel le croyant, de Nathan le prophète, de Gad le voyant, prophétie d’Ahija, scilonite, livre de Hiddo le voyant, paroles du prophète Sémaja, etc.), je crois que les auteurs des Chroniques n’ont pas utilisé ces divers ouvrages directement et qu’ils ne les ont connus que grâce à l’emploi qu’en avait fait déjà l’auteur du livre cité par les Rois. C’est du moins ce qui est dit expressément des écrits de Jéhu le prophète et d’Esaïe (2 Chroniques 20.34 ; 32.32). Movers pense que les Chroniques ne désignent telles ou telles parties des Rois sous le nom de tel ou tel prophète ou voyant, que parce que, dans ces morceaux, il est parlé de ces prophètes ou de ces voyants. C’est bien peu naturel. Voyez 2 Chroniques 26.22 : évidemment les auteurs des Chroniques considéraient les divers ouvrages qu’ils citaient comme ayant été composés par les hommes sous le nom desquels ils les désignent. — Nous verrons bientôt la relation qu’il y avait entre Invocation de prophète et celle d’écrivain sacré.]
Voilà tout ce qu’on peut dire sur les prétendues écoles de prophètes de l’époque de Samuel, et même le pluriel est ici de trop, car, après tout, il n’y a de prouvé que l’existence de celle de Rama.
Loin d’être des moines voués à la vie contemplative, les prophètes ont une existence des plus actives, et lorsque le culte sera rétabli et que Samuel aura abdiqué en faveur d’un roi, ils auront surtout pour mission de surveiller le sacerdoce et la royauté. Ils deviendront des sentinelles, צפים ou מצפים, en Israël (Michée 7.4 ; Jérémie 6.17 ; Ézéchiel 3.17 ; 33.7). C’était là un office que, dans une théocratie, ne pouvait absolument point remplir une assemblée de représentants du peuple ; il fallait pour cela des hommes choisis directement par Dieu, tels que les prophètes. Au reste, ils surveilleront le peuple tout entier aussi bien que ses conducteurs (Jérémie 6.27). Ils seront toujours là pour rappeler à chacun que l’Éternel seul est et demeure le souverain d’Israël, pour censurer grands et petits, pour dénoncer les jugements de Dieu à la race impénitente, quelquefois même pour les exécuter ; comme aussi pour promette la délivrance et pour la procurer par une toute-puissante intercession. — On les a assimilés, tantôt à des ministres d’état, tantôt à des démagogues, à des agitateurs populaires allant de lieu en lieu travailler les esprits. C’est dans l’un et l’autre cas leur enlever leur plus beau titre de gloire ; ils n’ont été ministres que de Dieu, et ils n’ont jamais troublé que les consciences.
Ils auront aussi à écrire l’histoire du peuple au point de vue de l’Esprit de Dieu et ce ne sera pas la moindre partie de leur tâche. Ils mettront en lumière les fautes nationales et les péchés des rois, ils montreront le développement de l’idée du salut, la vérité de Dieu dans ses menaces, sa fidélité dans ses promesses, afin que les générations à venir aient dans leurs écrits comme un miroir où elles puissent apprendre à se connaître elles-mêmes, à craindre Dieu et à se confier en Lui.