Si l’on suppose que Dieu ne juge pas les hommes, c’est, ou parce qu’il n’en a pas le droit, ou parce qu’il donne son assentiment à tout ce qui se fait, au bien comme au mal : mais si Dieu ne juge personne, alors tous seront égaux à ses yeux, et il ne fera ni choix ni séparation. Or, dans cette hypothèse, le dernier avènement du Christ n’aurait aucun motif, il serait même opposé à la volonté d’un Dieu qui ne jugerait personne. Le Christ a dit en effet : « Je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, et la belle-fille de sa belle-mère ; » de deux qui sont dans le même lit, prendre l’un et laisser l’autre, et de deux femmes qui sont occupées à moudre, emmener l’une sans l’autre ; ou bien, ordonner aux moissonneurs d’arracher d’abord l’ivraie et de la lier en gerbes pour la brûler, puis d’amasser le froment dans le grenier ; ou encore faire entrer les agneaux dans le royaume qui leur est préparé, et renvoyer les boucs dans le feu éternel, que Dieu a destiné au diable et à ses anges. Eh quoi donc ? le Verbe n’est-il pas venu pour la ruine des uns et pour l’exaltation des autres ? Pour la ruine de ceux qui ne croient pas en lui, et qu’il a menacés d’une damnation plus terrible que ne fut le châtiment de Sodome et de Gomorrhe ; et pour l’exaltation de ceux qui auront cru en lui, et qui auront fait la volonté de son Père, qui est dans les cieux. Si donc tous les hommes doivent prendre également part à l’avènement du fils de Dieu, c’est qu’il viendra pour les juger tous, pour séparer les croyants des non-croyants, parce que les uns et les autres auront mérité ou démérité volontairement, les uns par leur soumission à sa volonté, les autres par leur désobéissance. De là, la preuve que Dieu, en créant les hommes, leur a donné à tous également la liberté et le libre arbitre ; car il veille sur tout, et il pourvoit à tout ; « c’est lui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes. »
Ainsi Dieu donne sa communion à tous ceux qui gardent fidèlement son amour. Et cette communion consiste dans la jouissance de la vie et de la lumière, et de tous les biens qui en dérivent. Mais quant à ceux qui s’éloignent volontairement de lui, il prononce définitivement leur séparation d’avec Dieu, séparation qu’ils ont eux-mêmes choisie. Or, la séparation d’avec Dieu, c’est la mort ; de même que la privation de la lumière, c’est la nuit ; et la séparation d’un Dieu entraîne la privation de tous les biens qui sont le partage des bons. Ceux donc qui ont perdu par leur apostasie tout droit à ces biens dont nous parlons, sont plongés dans toute espèce de maux. Et ce n’est plus Dieu lui-même, en quelque sorte, qui les punit, c’est le châtiment même qui s’attache à eux, parce qu’ils sont privés de tous les biens qui auraient pu l’éloigner. Or, les biens qui viennent de Dieu ont une éternelle durée ; c’est pour cela que leur privation est aussi éternelle et sans fin. Il en est à cet égard comme de ceux qui ont perdu par leur faute, ou à qui d’autres ont fait perdre le bienfait de la vue ; ils en demeurent éternellement privés, non pas que la lumière elle-même leur inflige cette privation de la vue, mais c’est leur cécité même qui est cause de ce malheur. Voilà pourquoi notre Seigneur a dit : « Qui croit en lui ne sera point jugé ; » c’est-à-dire ne sera point séparé d’avec Dieu ; « car celui-là s’est uni à Dieu par la foi. Mais qui n’y croit point est déjà jugé ; car il ne croit point au nom du fils unique de Dieu ; » c’est-à-dire qu’il s’est lui-même volontairement, et de propos délibéré, séparé de Dieu. « Or, voici le jugement : Parce que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises ; quiconque fait le mal hait la lumière, et ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient accusées ; mais celui qui accomplit la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient manifestées, parce qu’elles sont faites en Dieu. »