Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIII

CHAPITRE VI
Tryphon convoite la royauté au détriment d'Antiochus ; il s'empare de Jonathan par ruse ; Simon prend la suite de Jonathan ; Tryphon demande à Simon de lui livrer les fils de Jonathas et de lui donner de l'argent pour libérer son frère ; Simon obtempère, mais Tryphon ne libère pas Jonathan, il le fait au contraire mettre à mort et l'ensevelit ; Simon cherche les restes de son frère et les ensevelit à Modéï en Judée ; il accède à la grande-prêtrise ; il prend la citadelle de Jérusalem, la rase jusqu'au sol et nivelle la colline sur laquelle elle se trouve, afin que le Temple la domine.

Tryphon s'empare par trahison de Jonathan.

1.[1] Tryphon, quand il eut appris le sort de Démétrius, cessa d'être fidèle à Antiochus et médita de le tuer pour s'emparer lui-même de la royauté. Mais il était arrêté dans ses projets par la peur que lui inspirait Jonathas, ami d'Antiochus ; aussi résolut-il de se débarrasser d'abord de Jonathas avant de s'en prendre à Antiochus. Il décida de se défaire de Jonathas par surprise et par ruse. A cet effet il se rendit d'Antioche à Bethsané, ville que les Grecs appellent Scythopolis, et près de laquelle Jonathas vint à sa rencontre avec quarante mille hommes de troupes choisies, car il soupçonnait que Tryphon venait pour l'attaquer. Tryphon, voyant Jonathas prêt pour le combat, le circonvint par des présents et des protestations et ordonna à ses propres généraux de lui obéir, espérant par ces moyens le persuader de ses bonnes dispositions et écarter tout soupçon, puis de s'emparer de lui sans qu'il fût sur ses gardes et à l'improviste. Il l'engagea à licencier son armée, amenée, disait-il, sans nécessité, puisqu'on n'était pas en guerre et que la paix régnait partout ; il le pria de garder cependant quelques troupes avec lui et de l'accompagner à Ptolémaïs : il voulait, en effet, lui livrer la ville et lui remettre tous les forts qui se trouvaient dans le pays ; il était venu dans ce dessein.

[1] I Maccabées, 12, 39-45.

2.[2] Jonathas, sans aucun soupçon, convaincu que Tryphon lui donnait ces conseils dans de bonnes intentions et avec une entière bonne foi, licencia son armée, ne garda que trois mille hommes en tout, dont il laissa deux mille en Galilée, et partit avec les mille autres pour Ptolémaïs, en compagnie de Tryphon. Mais les habitants de Ptolémaïs fermèrent leurs portes, sur un ordre donné par Tryphon, et celui-ci s'empara de Jonathas vivant et massacra tous ses compagnons. Il envoya ensuite des troupes contre les deux mille hommes laissés en Galilée avec ordre de les faire aussi périr ; mais ceux-ci, informés par la rumeur publique du sort de Jonathas, eurent le temps, en se couvrant de leurs armes, de quitter le pays avant l'arrivée des soldats envoyés par Tryphon. Et les troupes détachées contre eux, les voyant prêts à défendre chèrement leur vie, revinrent auprès de Tryphon sans les avoir inquiétés.

[2] I Maccabées, 12, 46-51.

Simon prend le commandement des Juifs et chasse les habitants de Jopé.

3.[3] Les habitants de Jérusalem, à la nouvelle de la capture de Jonathas et du massacre des soldats qui l'accompagnaient, déplorèrent vivement son sort et furent dans l'angoisse à son sujet ; de plus ils furent tourmentés par la crainte justifiée que, les voyant privés de ce chef vaillant et prudent, les peuples voisins qui les détestaient et que la crainte seule de Jonathas maintenait en paix, ne se soulevassent contre eux, les engageant ainsi dans une guerre qui les mettrait dans le plus extrême péril. Ce qu'ils redoutaient leur arriva en effet ; car au bruit de la mort de Jonathas ces peuples commencèrent à guerroyer contre les Juifs, qu'ils croyaient sans chef ; et Tryphon lui-même, ayant réuni ses troupes, médita de marcher sur la Judée et d'en attaquer les habitants. Mais Simon, quand il vit les habitants de Jérusalem effrayés de ces préparatifs, voulant leur parler et leur rendre courage pour soutenir vaillamment l'attaque de Tryphon, réunit le peuple dans le Temple, et se mit à l'exhorter en ces termes : « Vous n'ignorez pas, chers compatriotes, avec quelle joie mon père, mes frères et moi nous avons risqué notre vie pour votre liberté. Les grands exemples que j'ai sous les yeux, ma conviction que la destinée des membres de notre famille est de périr pour la défense du nos lois et de notre religion[4] font que nulle crainte ne sera capable de chasser de mon âme cette résolution, et de l'y remplacer par l'amour de la vie et le mépris de la gloire. Ne croyez donc pas qu'il vous manque un chef capable de supporter pour vous et de faire de grandes choses, mais suivez-moi avec ardeur contre qui je vous conduirai ; car je ne suis ni meilleur que mes frères, pour vouloir épargner ma vie, ni pire pour vouloir fuir et refuser l'honneur qu'ils ont regardé comme le plus grand, celui de mourir pour nos lois et pour le culte de notre Dieu. Ce qu'il faut faire pour montrer que je suis bien leur frère, je le ferai. J'ai bon espoir de tirer vengeance de l'ennemi, de vous arracher vous tous, vos femmes et vos enfants à leurs outrages, de préserver, avec l'aide de Dieu, le Temple de tout pillage. Car je vois que les nations, pleines de mépris pour vous, parce qu'elles vous croient sans chef, se préparent à vous faire la guerre. »

[3] I Maccabées, 12, 52 - 13, 6.

[4] Texte altéré.

4.[5] Ce discours de Simon rendit courage au peuple ; abattu naguère par la crainte, il reprit alors bon espoir ; d'une seule voix il décerna par acclamation le commandement à Simon et le prit comme chef, pour remplacer ses frères Judas et Jonathas ; tous promirent d'être dociles à ses ordres. Simon ayant donc réuni tous ceux de la nation qui étaient en état de combattre, hâta la reconstruction des murs de la ville, la fortifia de tours élevées et solides, et envoya un de ses amis, Jonathas, fils d'Absalomos[6], à la tête d'une armée à Jopé, avec ordre d'en chasser les habitants il craignait en effet que ceux-ci ne livrassent leur ville à Tryphon. Lui-même resta pour garder Jérusalem[7].

[5] I Maccabées, 13, 7-11.

[6] Est-ce le même que celui qui était appelé plus haut (V, 7) Ματταθίας Ἀψαλώμου ? Quelques mss. de I Maccabées ont ici Ματταθίαν.

[7] Contresens de Josèphe. I Maccabées dit : il (Jonathas) resta à Jopé pour la garder.

Négociations avec Tryphon.

5.[8] Tryphon, parti de Ptolémaïs avec une armée nombreuse, arriva en Judée amenant son prisonnier Jonathas. Simon, à la tête de ses troupes, vint à sa rencontre à Addida[9], ville située sur la hauteur et au pied de laquelle s'étend la plaine de Judée. Tryphon, à la nouvelle que les Juifs avaient pris pour chef Simon, lui envoya des messagers, espérant le circonvenir lui aussi par surprise et par ruse ; il lui faisait dire, s'il voulait délivrer son frère Jonathas, d'envoyer cent talents d'argent, et deux des fils de Jonathas, comme otages, afin qu'une fois relâché celui-ci ne soulevât pas la Judée contre le roi ; car s'il était retenu prisonnier, c'était à cause des sommes qu'il avait empruntées au roi[10] et lui devait encore. Simon ne fut pas dupe de l'artifice de Tryphon ; comprenant bien qu'il perdrait son argent sans obtenir pour cela la délivrance de son frère, et qu'il aurait avec celui-ci livré à l'ennemi ses fils, mais craignant d'autre part d'être accusé auprès du peuple d'avoir causé la mort de son frère, pour n'avoir voulu donner en échange ni de l'argent, ni les fils de Jonathas, il réunit son armée et lui fit part du message de Tryphon ; il ajouta que ce message cachait un piège et une trahison ; que cependant il croyait préférable d'envoyer l'argent et les enfants plutôt que de s'exposer, en refusant d'écouter les propositions de Tryphon, à l'accusation de n'avoir pas voulu sauver son frère[11]. Il envoya donc les fils de Jonathas et l'argent. Tryphon prit le tout, mais ne tint pas sa parole et ne délivra pas Jonathas ; au contraire, à la tête de son armée, il contourna le pays, et résolut de remonter par l'Idumée pour gagner finalement Jérusalem ; il partit donc et vint à Adôra[12], ville d'Idumée. Simon, avec son armée, se porta à sa rencontre, et campa constamment en face de lui.

[8] I Maccabées, 13, 12-20.

[9] El-Hadilé, à l'est de Lydda.

[10] Plus exactement (Maccabées, 15) de l'argent qu'il devait au roi en raison de ses gouvernements.

[11] Tout ce discours est imaginé par Josèphe. Ce procédé de Simon est extrêmement suspect.

[12] Les mss. de Josèphe ont Δῶρα, Maccabées Ἄδωρα. C'est peut-être cette dernière ville (infra, X, 1) que Mnaséas appelait Δῶρα dans le fragment cité par Josèphe, C. Apion, II, § 116. (Notons au passage que le verset 20 de Maccabées est omis dans la traduction de Kautzsch). Adora est à une dizaine de kil. à l’O. de Hébron.

Mort de Jonathan.

6.[13] La garnison de la citadelle ayant fait parvenir un message à Tryphon pour le prier de venir en hâte à leur secours et de leur envoyer des vivres, il fit préparer sa cavalerie comme s'il devait être la nuit même à Jérusalem. Mais pendant la nuit la neige tomba en abondance, cachant les chemins et rendant, à cause de son épaisseur, la route impraticable pour les chevaux. Tryphon fut par suite empêché d'aller à Jérusalem. Il leva donc le camp, arriva en Cœlé-Syrie, envahit rapidement la Galaaditide, et là fit mettre à mort et ensevelir Jonathas, puis il rentra à Antioche. Simon envoya à Basca[14] chercher les restes de son frère et les ensevelit à Modéï sa patrie ; le peuple entier fit pour lui de grandes démonstrations de deuil. Simon construisit à son père et à ses frères un vaste monument de marbre blanc et poli. Il lui donna une hauteur remarquable, l'entoura de portiques, et y dressa des colonnes monolithes, d'un admirable aspect ; il éleva de plus sept pyramides, une pour chacun de ses parents et de ses frères, étonnantes par leur hauteur et leur beauté, et qui existent encore aujourd'hui[15]. On voit donc le soin qu'apporta Simon à la sépulture de Jonathas et à l'érection des monuments consacrés aux siens. Jonathas mourut après avoir été grand-prêtre pendant [dix] ans et chef de la nation [pendant dix-huit][16].

[13] I Maccabées, 13, 24-30.

[14] Βασκαμά dans Maccabées. Site inconnu (en Galaad).

[15] Comme cette phrase est prise dans Maccabées on peut se demander si le monument subsistait encore vraiment au temps de Josèphe. La même observation s'applique à la remarque identique d'Eusèbe (Onamast., p. 281 Lag.).

[16] Cette phrase, ajoutée par Josèphe, est incomplète ou altérée ; on lit : ἀρχιερατεύων (ou ἀρχιερατεύσας) ἔτη τέσσαρα προστὰς τοῦ γένους. La mort de Jonathas se place en 143 (Maccabées, 13, 41) ; il avait pris la robe de grand-prêtre en 153 (Maccabées, 10, 21) ; Josèphe avait donc probablement écrit δέκα, d'où le copiste aura fait δ' c'est-à-dire 4.

Simon grand-prêtre. Prise de la citadelle de Jérusalem.

7.[17] Telle fut la fin de Jonathas. Simon, nommé grand-prêtre par le peuple, délivra les Juifs, dès la première année de sa grande- prêtrise, de la servitude des Macédoniens et de l'obligation de leur payer des tributs. La liberté et l'exemption des tributs furent acquises aux Juifs la cent soixante-dixième année du règne des Assyriens[18] à compter du jour où Séleucus, surnommé Nicator, s'empara de la Syrie. Et telle était la considération du peuple pour Simon, qu'on datait les contrats privés et les actes publics de la première année de Simon, bienfaiteur des Juifs et ethnarque. Ils furent, en effet, très heureux sous son gouvernement et vainquirent les ennemis qui les environnaient. Simon détruisit la ville de Gazara, Jopé et Iamnée ; puis, ayant assiégé et pris la citadelle de Jérusalem, il la rasa jusqu'au sol afin qu'elle ne redevint pas pour les ennemis, s'ils s'en emparaient de nouveau, une place d'armes d'où ils pourraient les molester comme autrefois. Après quoi, il jugea bon et utile de niveler la colline elle-même sur laquelle la citadelle se trouvait, afin que le Temple la dominât. Il convoqua le peuple en assemblée et l'amena à son projet en lui rappelant tout ce qu'ils avaient souffert de la garnison et des Juifs transfuges, et en démontrant tout ce qu'ils auraient à souffrir si quelque étranger s'emparait encore du pouvoir et plaçait là une garnison. Par ces arguments il convainquît le peuple dans l'intérêt duquel il parlait. Tous se mirent à l'ouvrage pour abaisser la colline et, sans s'interrompre ni nuit ni jour, en trois ans, la rasèrent jusqu'à la base et jusqu'au niveau de la plaine. Désormais le Temple domina toute la ville, la citadelle et la colline sur laquelle elle était bâtie ayant été détruite. Tels furent les actes du gouvernement de Simon.

[17] I Maccabées, 13, 41-42 (= Josèphe jusqu'à ...environnaient.). A partir de là Josèphe paraît suivre une autre source, quoique I Maccabées mentionne la prise de « Gaza » (Gazara) (43-48) et celle de la citadelle de Jérusalem (49-51), mais non sa démolition.

[18] Josèphe prend ici Assyriens comme synonyme de Syriens. L'ère des Séleucides (équinoxe d'automne 312 av. J.-C.) a d'ailleurs pour origine l'occupation par Séleucus Nicator de Babylone et non de la Syrie. L'an 170 Sél. correspond à 143/2 av. J. C.

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