1. Peu après que Démétrius eut été fait prisonnier, Tryphon mit à mort son pupille, le fils d'Alexandre, Antiochus, surnommé Théos, qui avait régné quatre ans[2]. Il raconta que ce prince était mort des suites d'une opération ; puis il envoya ses amis et ses familiers auprès des soldats, pour leur promettre de leur donner beaucoup d'argent s'ils l’élisaient roi : Démétrius, disait-il, était prisonnier des Parthes, et son frère Antiochus, s'il parvenait au pouvoir, les traiterait durement, pour se venger de leur défection. Les soldats, dans l'espoir de vivre grassement s'ils donnaient la royauté à Tryphon, le proclamèrent souverain. Mais Tryphon, dès qu'il fut le maître, laissa voir son naturel pervers. Simple particulier, il flattait la foule, feignait la modération et amenait par ce moyen le peuple à ses fins ; une fois roi, il jeta le masque et fut le véritable Tryphon. Par là il renforça ses ennemis : l'armée, en haine de lui, se rangea du côté de Cléopâtre, femme de Démétrius, alors enfermée à Séleucie avec ses enfants. Et comme le frère de Démétrius, Antiochus, surnommé Sôter[3], errait sans qu'aucune ville le reçut, à cause de Tryphon, Cléopâtre l'appela auprès d'elle en lui offrant sa main et la royauté. Elle faisait à Antiochus ces propositions en partie sur le conseil de ses amis, en partie dans la crainte que quelques habitants de Séleucie ne livrassent la ville à Tryphon.
[1] A partir d'ici Josèphe n'a certainement pas connu la suite de I Maccabées, dont il s'écarte notablement dans son récit, d'ailleurs très abrégé, du principat de Simon. L'observation en a déjà été faite par Whiston et Ewald ; elle est longuement développée par Destinon, Die Quellen des Flavius Josephus, p. 80 suiv. Il semble d'ailleurs que le dernier chapitre de I Maccabées (depuis XIV, 16) soit une addition postérieure, comme l'a vu Destinon. Pour la fin du XIIIe livre, Josèphe parait avoir combiné, comme précédemment, un ou plusieurs historiens hellénistiques (Posidonius, Strabon, Nicolas) et des documents spécialement juifs, consistant principalement en anecdotes édifiantes ou miraculeuses, avec un goût pour les détails atroces ; plusieurs de ces anecdotes sont conservées indépendamment dans la tradition rabbinique. Cf. Destinon, op. cit. p. 40 suiv. Il n'y a pas lieu d'admettre, avec Bloch et Nussbaum, que Josèphe ait consulté les Annales de Jean Hyrcan (I Maccabées, 16, 23) ou d'autres chroniques semblables. — Le récit parallèle de la Guerre (I) est puisé aux mêmes sources ; il est un peu plus sommaire, mais entièrement d'accord avec les Antiquités. Nous ne signalerons que les divergences.
[2] 146/5 à 143/2 d'après le témoignage des monnaies. Tite Live et Diodore s'accordent avec Josèphe pour placer le meurtre d'Antiochus VI pendant la captivité de Démétrius II ; au contraire I Maccabées raconte d'abord le meurtre (13, 31, immédiatement après la mort de Jonathan), donc probablement en 170 Sél. = 143/2, ensuite (14, I) l'expédition de Démétrius contre les Parthes en 172 Sél. = 141/0 av. J.-C. Ce dernier arrangement paraît préférable. — Les titres complets d’Antiochus VI sont Théos Epiphanès Dionysos ; Josèphe n'a retenu que le premier, qui est insignifiant.
[3] Ce titre n'apparaît pas sur les monnaies, où Antiochus VII (vulgo Sidétès) s'intitule Evergète ; il n'est pas donné par d'autres historiens.
2. Antiochus, arrivé à Séleucie, vit ses forces augmenter de jour en jour. Il partit donc en guerre contre Tryphon, le vainquit dans un combat, le chassa de la haute Syrie en Phénicie, et l'ayant poursuivi jusque là, l'assiégea dans Dôra, place forte difficile à prendre, où il s'était réfugié. Il envoya aussi des ambassadeurs à Simon, le grand-prêtre des Juifs, pour faire alliance et amitié avec lui. Simon accueillit avec joie ses propositions, et, après avoir rendu une ambassade à Antiochus, envoya force argent et vivres aux troupes assiégeant Dôra, de manière à leur assurer l'abondance. Aussi fut-il pendant quelque temps compté parmi les plus intimes amis d'Antiochus[4]. Tryphon s'enfuit de Dôra à Apamée, y fut assiégé, pris et mis à mort après avoir régné trois ans[5].
[4] I Maccabées présente les choses autrement. C'est avant d’entreprendre son expédition en Syrie qu'Antiochus Sidétès sollicite l'alliance de Simon (XV, 1 suiv.). Au contraire pendant le siège de Dora il refuse les troupes et les subsides de celui-ci (XV, 26 suiv.).
[5] Plutôt quatre ans (143/2-139/8). Les monnaies de Tryphon ne sont pas datées de l'ère des Séleucides, mais d'une ère nouvelle partant de son usurpation ; or, il en existe avec le chiffre 4 (Babelon, Séleucides, p. CXXXVIII).
3. Antiochus, par avarice et méchanceté, oublia les secours que lui avait apportés Simon dans des circonstances difficiles. Il donna une armée à l'un de ses amis, Kendebaios, et l'envoya piller la Judée et s'emparer de Simon[6]. Simon, à la nouvelle de la déloyauté d'Antiochus, bien qu'il fût déjà vieux, s'indigna cependant de l'injustice d'Antiochus à son égard ; montrant une résolution qu'on n'eut pas attendue de son âge, il entreprit la guerre avec l'ardeur d'un jeune général[7]. Il envoya en avant ses fils avec les plus intrépides de ses soldats, et lui-même s'avança d'un autre côté avec le gros de l'armée ; il plaça de nombreux détachements en embuscade dans les défilés des montagnes, et, sans avoir jamais éprouvé d'échec, battit l'ennemi sur toute la ligne ; il put ainsi finir sa vie en paix, après avoir, lui aussi, fait alliance avec les Romains[8].
[6] Récit très incomplet. En réalité, Antiochus commença par demander aux Juifs la restitution de leurs conquêtes récentes (la citadelle, Jopé, Gazara) ou une indemnité pécuniaire ; on ne put s'entendre sur la somme (I Maccabées, 15).
[7] D'après I Maccabées, 16, Simon ne prit aucune part à la campagne.
[8] Voir pour les détails I Maccabées, 14, 16 suiv., 24 ; 15, 15 suiv.
4. Il gouverna les Juifs huit années en tout[9], et mourut dans un banquet, victime d'un complot ourdi contre lui par son gendre Ptolémée ; celui-ci s'empara aussi de la femme de Simon et de deux de ses fils, qu'il jeta dans les fers ; puis, il envoya contre le troisième, Jean, qu'on appelait aussi Hyrcan, des émissaires chargés de le tuer. Mais le jeune homme, prévenu de leur arrivée, put échapper au danger dont ils le menaçaient, et se réfugier dans la ville, se fiant à la reconnaissance du peuple pour les services rendus par son père et à l'impopularité de Ptolémée. Et le peuple, après avoir reçu Hyrcan, repoussa Ptolémée qui essayait d'entrer par une autre porte.
[9] 142-135 av. J.-C. La mort de Simon est placée par I Maccabées, 16, 14 du mois de Schebat 177 Sél. = février 135.